Chaque semaine, Déborah Malka-Cohen vous fait plonger au cœur du monde des Yéchivot pour vivre ensemble les intrigues passionnantes de quatre étudiants, sur fond d’assiduité et d’entraide…

Dans l’épisode précédent : De nouveau arrêté par la police, Avraham tente de convaincre l’inspecteur de s’impliquer davantage pour retrouver Ménou’ha et David, mais en vain. Libéré sur caution grâce à l’intervention de son Roch Yéchiva et du père de David, il sort du commissariat lorsque des agents du Chabak lui proposent un marché : sauver les siens en échange de son accord à rejoindre les rangs de l’organisation… Dans leur sous-sol, Ménou’ha est violemment emmenée pour se préparer en vue de son mariage forcé tandis que David sent sa fin approcher… 

Après le témoignage d’Avraham, aspiré tel un tourbillon, tout s’était très vite enchainé. L’homme à la forte corpulence composa un numéro de téléphone pendant que son collègue pianotait un message pour donner des instructions.

“Chouki, ‘Ofer, Moti, Itsik, tout est en place ? C’est bon, on peut y aller. Tout est entre vos mains maintenant. On compte sur vous pour nous ramener qui vous savez.”

En entendant ces paroles énigmatiques, Avraham, qui était plus que jamais nerveux, scotché sur sa chaise, préféra ne pas poser plus de questions et attendit qu’on lui donne des nouvelles.

Presque en simultané, alors que le malfaiteur s’apprêtait à remettre sa deuxième lettre anonyme à un étudiant de la Yéchiva qui venait de sortir de l’établissement, brusquement une camזionnette apparut dans un crissement de pneu. Un sigle peint dessus indiquait la marque d’un réseau téléphonique. En trombe, deux hommes en civil l’attrapèrent furtivement et personne n’entendit jamais plus parler de lui.  

Mohamed Wajdoud, l’homme qui était à la tête de l’organisation des enlèvements en masse de filles juives, était en route vers le laboratoire du traiteur pour peaufiner les derniers préparatifs du mariage de son fils. Il s’était arrêté en chemin à une station essence pour faire le plein. Devant la trappe à essence de sa voiture, tel un gigantesque sac de plomb, il tomba au sol de manière brutale sans que personne ne sache pourquoi. Le pompiste, interdit, se ressaisit et se rua à l’intérieur pour appeler les secours. En revenant, le corps du père du futur marié avait disparu mystérieusement. Aucune âme qui vive ne retrouva sa trace.

Sur ordre de son oncle, Abdoul, celui qui gardait le garage ce jour-là, dut descendre les marches qui menaient au sous-sol pour régler le problème “lui-même”. L’homme de main avec qui il travaillait habituellement ne répondait plus à ses appels. L’heure tournait, le mariage de son cousin arrivait à grand pas. Il ne pouvait pas se permettre d’être en retard. Son oncle avait raison, il fallait qu’il en finisse au plus vite avec le cas du Juif. Il avait prévu de passer son costume suspendu à la porte juste après avoir fini “le travail”. Le criminel se dirigeait vers le sous-sol, l’arme au poing, la cruauté pour seule compagne…

Ménou’ha était habillée d’une robe blanche qui sentait atrocement le renfermé. L’habit lui allait trois fois trop large et ses cheveux avaient été si serrés qu’il lui était presque impossible de remuer le moindre muscle de son visage sans que cela ne déclenche une vive douleur. Elle soupçonnait celle qui l’avait coiffée d’avoir pris un malin plaisir à la faire souffrir aussi physiquement que moralement. Et dire qu’elle allait être sa belle-sœur… Depuis qu’elle avait été amenée dans cette petite pièce adjacente à la salle des fêtes qui avait été louée pour l’occasion, c’était comme si elle avait fait en sorte de ne plus rien ressentir. C’était la seule parade qu’elle avait trouvée pour ne pas s’effondrer face au grand malheur qui l’attendait. Elle entendit les musiciennes s’échauffer sur leurs tambourins et darboukas, et les différents sons qui émanaient de ces instruments lui donnèrent la nausée.

Sa belle-mère, qu’elle avait entraperçue en habit traditionnel, donnait l’impression d’avoir des grenades à la place des pupilles. Rien qu’à l’observer, il n’était pas difficile de comprendre que si elle avait pu la tuer, elle l’aurait fait sans la moindre hésitation. Une sorte de haine silencieuse transpirait de son regard froid, lourd de sens. En attendant ce qui allait être sa guillotine spirituelle, elle s’était posée dans un coin, sans prononcer un mot. Elle ne put retenir des sanglots qui coulaient le long de ses joues. Elle pensa à ce qui allait lui arriver dans quelques minutes mais aussi à David. Son esprit imaginait le pire le concernant, alors elle décida d’implorer Hachem de leur venir en aide. Au moins pour que l’un d’eux puisse s’échapper de ce cauchemar éveillé.

***

Les agents du Chabak l’avaient averti que dès qu’ils auraient du nouveau, il serait informé dans les plus brefs délais. Dévoré par le stress et la frustration de ne pas avoir plus d’informations, et l’attente étant insoutenable, Avraham avait fini par retrouver ses amis et sa famille. Les yeux rivés sur son livre de Téhilim, il ne cessait de se ronger les ongles jusqu’au sang. Manie qui refaisait surface après bien des années en sommeil.

***

La tête de David penchait dangereusement sur le côté quand Abdoul poussa avec une vive férocité la porte du sous-sol. Depuis le départ inattendu de Ménou’ha, le jeune Juif, toujours attaché au radiateur dans une posture des plus inconfortables, épuisé, s’était assoupi quelques minutes. Ce qui avait mis une pause à ses souffrances. En se réveillant, il sentit que la fièvre l’avait gagné. Celle-ci était peut-être dûe à la blessure nichée derrière sa tête, à cause du coup qu’il avait reçu un peu plus tôt. Il n’avait jamais étudié la médecine à proprement parler mais il savait que si le corps réagissait par une forte température, c’était souvent qu’une infection en était la cause. Abasourdi par la fièvre, il comprenait à peine ce que son ravisseur s’était mis à déblatérer dans cet étrange mélange d’arabe et d’hébreu assez incompréhensible. D’après le ton qu’il avait employé, David sentit que celui qui tenait dans sa main gauche un couteau aussi pointu que tranchant était nerveux et avait la ferme intention de le tuer d’une manière ou d’une autre. Preuve en était que sa main avait tremblé quand l’Arabe avait brandit l’arme en sa direction. Toujours le regard menaçant, sans que David ne comprenne trop pourquoi, Abdoul avait scié la corde qui avait lacéré les poignets de David. En essayant de lutter contre ses vives douleurs et son état de santé qui n’était pas au beau fixe, David profita de ces quelques secondes de cette liberté retrouvée pour sauter sur l’Arabe et l’assaillir de coups. Il mit toute sa maigre puissance, due à son manque d’entrainement, pour arriver à le neutraliser. Pour une fois dans sa vie, il trouva avantageux d’avoir son léger embonpoint qu’il avait si souvent rêvé de perdre. Grâce à “lui”, il avait espoir d’arriver à étouffer son ravisseur. Son plan était presque parfait jusqu’à ce qu’Abdoul essaye de lui transpercer le ventre avec la pointe de son couteau. Maintenu par l’adrénaline de cette rage de vouloir s’en sortir coûte que coûte, David réussit in extremis à le repousser d’une force qui lui venait surement de son illustre ancêtre Chimchon. L’Arabe contre le mur, totalement abasourdi par cette attaque inattendue, mit du temps à reprendre ses esprits. Ce qui permit à David de faire quelques pas vers la porte qui menait à sa liberté...

Hélas, en voulant s’élancer, il tomba brutalement. Abdoul s’était ressaisi et lui avait attrapé le pied pour le faire tomber. Et avant que la pointe de son couteau ne soit enfoncée dans la cheville du jeune étudiant, par le plus grand des miracles, il sentit une balle lui transpercer l’omoplate droit. Avant de s’éteindre, il eut le temps d’apercevoir deux hommes armés de mitrailleuses tendre la main vers le Juif, l’aidant à se relever et lui assurer qu’il était définitivement hors de danger.

***

On appela “Yisma” plusieurs fois de suite avant que Ménou’ha ne réagisse. Sa belle-sœur, coiffeuse-malfaisante, l’avait secouée comme un prunier pour qu’elle se lève. Celle qui allait être sa future belle-mère avait glissé son bras sous le sien et l’avait entrainée vers la salle des fêtes. La musique retentissait contre les murs, l’ambiance se voulait festive. Un nombre incalculable d’invités étaient déjà présents et assis pour assister à ce mariage forcé, cette mascarade. Personne ne lui prêtait réellement attention. Une agitation inhabituelle régnait parmi les invités. Même si elle ne comprenait pas vraiment l’arabe, les murmures qu’elle percevait lui indiquaient que quelque chose n’allait pas. Pendant qu’elle suivait les pas de la vieille dame, une jeune fille arriva à leur hauteur pour à son tour se pencher vers celle qui l’accompagnait et lui murmurer quelque chose d’inaudible pour Ménou’ha. Abruptement, la belle-mère la lâcha, se laissa tomber au sol et se mit à pousser des hurlements déchirants qui ne bouleversèrent pas le moins du monde la jeune captive. Les autres invités s’agitèrent dans tous les sens en criant “Yaouldi ! Yim chet ! Yim chet !” et plusieurs d’entre eux vinrent réconforter la dame en burqa. À cet instant, ne comprenant vraiment plus la tournure des évènements, Ménou’ha entendit trois coups de feu que l’on avait tirés en direction du plafond de la salle. Tout le monde autour d’elle s’était mis de plus belle à hurler.

En tournant la tête pour suivre l’endroit d’où avaient été tirées les balles, elle vit plusieurs hommes. Instinctivement, elle sut qu’ils venaient pour elle, pour la sauver. Dans sa misérable robe de mariée, toujours beaucoup trop large pour elle, Ménou’ha Lévy s’effondra au sol à son tour, mais de joie. Le bonheur l’avait submergée, elle allait être enfin libre…

 ***

Cinq mois plus tard….

 “Es-tu sûre ma sœur que c’est cette robe que tu veux acheter ?

– Avraham, je t’ai dit que celle-ci ou une autre, cela m’est égal !

– Alors Maman va choisir pour toi. Pour ma part, je n’ai aucune préférence entre les deux. À quelle heure tu as rendez-vous avec Madame Shimtz ?

– 11h. Je crois que je vais ralentir mes séances de thérapie avec elle. Baroukh Hachem je me sens… un peu mieux et…”

Ménouha ne finit pas sa phrase, comme cela lui arrivait souvent depuis que la famille Lévy avait retrouvé avec une immense émotion leur fille. Cela ne leur avait pas échappé qui lui arrivait aussi de mettre du temps à répondre aux questions qu’on lui posait. Certaines fois c’était carrément de longues absences qui happaient complètement son cerveau. Les spécialistes les avaient prévenus que c’était un fait courant post-traumatique. Au milieu d’une conversation, Ménou’ha pouvait se montrer tantôt enjouée, tantôt triste. Ses humeurs pouvaient changer d’une seconde à l’autre. Conséquence directe des traumatismes dus à ses mois de captivité. Seul David réussissait à la comprendre vraiment et l’acceptait telle qu’elle était, en faisant preuve d’une patience d’orfèvre. D’ailleurs pour lui, elle était de l’or.

Un mois après ce qu’il lui était arrivé, David avait fait appel à la même Chadkhanit que Yona et Éden avaient pris pour eux. Par son intermédiaire, il avait demandé aux parents de leur fille retrouvée une rencontre en bonne et due forme. Quand ils avaient reçu ce coup de fil, Monsieur et Madame Lévy en avaient conclu qu’il était beaucoup trop tôt pour que leur fille pense à se marier, avec tout ce qu’elle avait traversé. Sauf que lorsqu’on posa la question à l’intéressée, aussi surprenant que cela pouvait paraître, elle accepta. À dire vrai, si David n’avait pas entamé lui-même cette démarche, elle aurait formulé à son père et sa mère le désir d’organiser avec lui un Chidoukh. L’expérience traumatisante qu’ils avaient traversée ensemble avait créé un lien indescriptible entre eux.

Il leur avait fallu très peu de temps pour commencer à planifier leur mariage. Et c’était avec une joie immense que tous les amis et la famille allaient le fêter dignement la semaine suivante.

Quant à Yossef, il avait pris plaisir à retrouver un quotidien parsemé d’étude. Les épreuves qu’il avait traversées avec ses amis de la Yéchiva lui avait permis de comprendre qu’étudier paisiblement, l’esprit libre, était un luxe. Un cadeau du Ciel. Depuis, chaque jour quand il ouvrait sa Guemara, il marquait un temps de pause pour remercier Hachem pour ce cadeau quotidien qu’Il lui faisait.

Plusieurs mois auparavant, Éden était rentrée de son voyage. Elle avait revu Yona et ensemble, ils avaient projet de passer eux aussi sous la ‘Houpa d’ici quelques semaines.

Avraham avait revu les hommes du Chabak mais seulement en présence de son Roch Yéchiva. Celui-ci, après avoir consulté plusieurs autres Rabbanim, conclut que notre jeune étudiant pouvait collaborer sur quelques missions à la condition qu’elles ne viennent pas trop perturber ses études en Torah et qu’elles ne l’emmèneraient jamais trop loin de la Yéchiva. L’accord fut signé. Avraham travaille jusqu’à ce jour pour l’Etat d’Israël tout en continuant sa vie de Ba’hour Yéchiva

FIN