Chaque semaine, Déborah Malka-Cohen vous fait plonger au cœur du monde des Yéchivot pour vivre ensemble les intrigues passionnantes de quatre étudiants, sur fond d’assiduité et d’entraide…

Dans l’épisode précédent : Evanoui, David se réveille dans un sous-sol humide, où il reconnait Ménou’ha, la soeur d’Avraham. Abasourdi et heureux à la fois, il lui assure que personne n’a cru à un départ consenti. Pendant ce temps, Avraham tente de convaincre l’agent Moss de se lancer à la recherche de sa soeur et de son ami David, dont il pense que les disparitions sont liées, mais en vain. Il ne récolte que son dédain. De retour à la Yéchiva et bien décidé à venir au secours de Ménou’ha et de David, Avraham pirate encore le serveur de la police pour obtenir de nouvelles informations. Et quelques heures plus tard, la police débarque de nouveau pour arrêter Avraham qui est, ils le savent désormais, à l’origine des piratages à répétition de leurs serveurs. 

Yona et Yossef ne comprirent pas tout de suite ce qui était arrivé à Avraham. C’est seulement lorsqu’ils virent les menottes aux poignets de leur ami qu’ils comprirent la gravité de la situation. Si grave, qu’ils restèrent un moment interdits quand l’agent embarqua leur ami au poste de police.

Reprenant ses esprits, Yona courut avertir le Roch Yéchiva. Quant à Yossef, il suivit Avraham jusque dans la voiture qui l’emmenait, lui promettant de le sortir de cette situation au plus vite. Bien après le départ du Yéchiviste, tous les autres étudiants n’étaient toujours pas partis se recoucher et avaient tenté de comprendre pourquoi on avait arrêté Avraham. Une fois prévenu de la situation, le Roch Yéchiva avait appelé l’un de ses contacts afin qu’il intervienne auprès de son élève.

Dans la salle d’interrogatoire, face à l’homme revêche qui se trouvait devant lui et qui n’hésitait pas à le traiter de criminel, Avraham tenta de se défendre en expliquant les raisons qui l’avaient poussé à agir ainsi. Tomer Moss n’était pas du tout convaincu. Il se bornait à croire que le jeune homme se moquait de lui.

Comprenant qu’il avait en face de lui un homme qui ne le prenait pas du tout au sérieux, la panique gagna Avraham et il perdit son sang-froid.

“Vous ne comprenez pas que c’est une question de vie ou de mort ?! Je suis venu vous voir hier avec l’espoir de trouver de l’aide mais vous m’avez renvoyé sans même essayer de me croire. J’étais bien obligé d’agir !

– C’est ce que nous verrons, Monsieur Levy. Pour le moment, vous allez devoir répondre de vos actes !”

Soudain, on fit entrer dans la pièce un homme assez haut de taille et charismatique. Pour l’avoir rencontré la veille, Avraham reconnu le papa de Yossef. 

Pour tenter de venir en aide à son ami, Yossef s’était rué sur la cabine téléphonique la plus proche et avait composé un numéro à la hâte :

“Papa, Mé’hila de te réveiller mais j’ai besoin de toi.

– Ce n’est pas grave, mon fils. Qu’est-ce qu’il se passe ? Calme-toi, tu m’as l’air affolé.

– Non papa, je ne peux pas me calmer. Il va falloir que tu aides mon ami à sortir de prison.” 

Au même moment de l’autre côté de la rue, l’un des hommes de main d’Abdoul, l’employé qui gardait enfermés David et Ménou’ha dans le sous-sol, avait observé la scène qui s’était déroulée sous ses yeux. Il se sentait d’humeur colérique car son plan venait de tomber à l’eau. C’était lui qui avait suggéré à son patron de demander une rançon. Voyant les voitures de police garées devant l’établissement des Juifs, il avait compris qu’il allait devoir mettre au courant son supérieur. Il savait qu’il allait passer un mauvais quart d’heure mais il n’avait pas le choix et rebroussa chemin. Au départ, il n’avait pas planifié de tuer le Juif. Du moins, pas dans l’immédiat. Le grand boss, le patron du garage, Mohamed Wajdoud, avait été très en colère quand il avait été mis au courant.

“Séquestrer un Juif et demander une rançon ! Tout ça la veille du mariage de mon fils ! Tu as perdu la tête, Abdoul ! Dis à ton sbire de se calmer sinon je devrais m’occuper moi-même de son cas.”

Il avait payé assez cher la fille qu’on lui avait proposée. Il n’avait pas besoin de pareil problème. “Mais le Juif a donné un mot à la fille. Il aurait parlé de toute façon. Si on peut se faire de l’argent en même temps, non seulement il y aura un Juif en moins sur cette terre mais en plus, on sera plus riche. Je t’ai rendu service.”

Pour se sentir utile et voulant trouver grâce aux yeux d’Abdoul, lui le sbire, comme Monsieur Wajdoud l’avait surnommé, leur avait promis un beau cadeau de mariage avec l’argent de la rançon. Il décida d’attendre encore un peu avant de remettre la deuxième lettre anonyme coincée dans la poche arrière de son jean. Après tout, il avait encore un peu de temps pour improviser un nouveau plan. 

Lorsque le père de Yossef était arrivé au poste de police pour prendre en charge l’affaire dans laquelle l’ami de son fils s’était embourbé, puis face à l’inspecteur, il sentit que les choses allaient être compliquées. Ses doutes s’étaient renforcés à la minute où il lui avait prié de laisser sortir de sa cellule le jeune homme qui avait été enfermé avec précipitation. Indigné face à cet abus de pouvoir, le père de Yossef avait riposté :

“Mais enfin vous voyez bien que Monsieur Levy n’est en rien un criminel !

– J’ai des documents qui prouvent le contraire, Monsieur ! Et vous êtes ?

– Je suis son avocat alors je vous prie de le relâcher, pour que l’on règle cette affaire en gens civilisés.”

L’inspecteur Moss paraissait agacé des rengaines de son prisonnier sur lequel il n’avait pas cessé de vociférer depuis son arrestation.

“Vous ne comprenez pas qu’il faut envoyer une équipe à l’adresse que je vous ai indiquée ?! Mon ami Yona Amsellem vous servira de guide. Il faut agir !

– Étant donné que je ne suis pas encore sourd, je vous ai entendu. Cela dit, j’ai du mal à croire quelqu’un qui se croit au-dessus des lois comme vous !

– Cela fait des centaines de fois que je vous le répète, si j’ai été amené à pirater des codes secrets, c’est pour sauver la vie de quelqu’un !

– C’est drôle, car tous les criminels ont toujours une bonne raison pour justifier leurs actes.”

Exaspéré, Avraham abandonna l’idée de convaincre cet ancien haut-gradé de l’armée qui s’était avéré plus têtu qu’une mule. Lui n’avait qu’un but en tête : sortir au plus vite de cet endroit et partir à la recherche de David. Pendant les cinq heures qu’il avait passé en cellule, il avait espéré que Yossef et Yona n’avaient pas pris d’initiative imprudente, comme celle d’aller s’aventurer au garage. La situation était bien trop dangereuse pour que deux jeunes étudiants en Torah se dressent contre des potentiels terroristes. La phrase qu’il venait d’entendre le fit sortir de ses pensées. 

“Monsieur l’inspecteur, j’ai un document validé en urgence par le juge ‘Hayot, qui stipule que vous devez relâcher immédiatement Monsieur Levy, contre caution”, déclara le père de Yossef. 

L’agent Moss paraissait très embêté. Il regarda le papier signé avec dégoût. Face à l’authenticité de ce document officiel, il n’avait pas d’autre choix que de se plier à cette décision.

“Bien. Je vais vous demander de patienter mais sachez que je suis contre et je mettrai tout en œuvre pour vous faire tomber pour de bon.

Dès que Moss eut quitté la pièce, Le père de Yossef se tourna vers Avraham :

“Écoutez jeune homme, à l’aide de votre Rav et de ses relations haut placées, je vais vous faire sortir d’ici mais vous n’êtes pas pour autant tout à fait sorti d’affaire. Ce Tomer Moss me semble un dur à cuire. Il ne vous lâchera pas. Croyez-en mon expérience. Je ne serais pas étonné si à cause de lui, vous passiez en appel et vous écopiez d’une peine de prison en plus de cette caution très élevée. C’est votre père qui a remué ciel et terre pour réunir la somme en si peu de temps. Même si je suis à la retraite depuis quelques années, je sais reconnaître quand quelqu’un veut faire d’une affaire un exemple. Il a clairement une dent contre le monde religieux et rien que pour cela, il essaiera de se venger sur vous. Je vais tout faire pour atténuer votre jugement. Attendons son retour. Mon fils et Yona m’ont accompagné et ils vous attendent à l’étage plus bas.”

Deux bonnes heures s’était écoulée avant que l’agent ne refasse surface et autorise Avraham a rentrer chez lui, à la condition de revenir le lendemain afin de lui remettre son passeport, l’empêchant ainsi de quitter le pays. Ne pouvant s’en empêcher, le jeune hurla presque :

“Et vous voulez que j’aille où, exactement ?!”

Sans attendre de réponse, il se leva de sa chaise et sortit, suivi du père de Yossef. Un fois à l’extérieur de la salle d’interrogatoire, tout en se dirigeant vers les ascenseurs qui menaient à la sortie, il prit le temps de remercier son désormais avocat.  

“Je vous remercie de m’être venu en aide. Vous avez toute ma reconnaissance mais cela ne règle rien à la situation !

– Vous ne pouvez rien faire de plus pour le moment. Je vous conseille de rester tranquille et vigilant jusqu’à votre jugement. Allons rejoindre tout le monde.”

En dévalant les marches, Avraham fut surpris de trouver à la place de ses amis deux hommes d’une quarantaine d’année l’accoster et lui demander de les suivre à l’extérieur. Ils demandèrent à l’avocat de s’éclipser car ils avaient besoin de s’entretenir urgemment avec le jeune Levy. Les badges que les deux personnes avaient discrètement montrés incitèrent le père de Yossef à partir sans demander plus d’explications.

Ce qui avait interpellé Avraham, c’est que les deux hommes étaient l’archétype de l’israélien moyen. Moins d’un millimètre de cheveux sur la tête, le teint mat, la peau hâlée. Très vite, ils lui expliquèrent qu’ils avaient pris l’initiative de renvoyer les deux Ba’hourim à leur Yéchiva, pour qu’ils aillent étudier et lire le plus de Téhilim possible. Il était primordial qu’ils parlent tous les trois, et uniquement tous les trois, en privé.

“Partons d’ici et allons dans ce café à quelques pâtés de maison. Nous allons tout vous expliquer Monsieur Levy.

– Comment vous connaissez mon nom ?

– Oh, nous connaissons beaucoup de choses sur vous. Même plus que votre propre mère.”

Intrigué et déstabilisé, Avraham les suivit sans prononcer un mot de plus. Très vite, ils s’installèrent à une table et commandèrent deux cafés. Leurs mines graves indiquaient qu’ils allaient avoir une conversation sérieuse. Celui qui portait des lunettes en écailles prit la parole en premier :

“Bien. Nous sommes des agents du Chabak. Nous travaillons en étroite collaboration avec le Mossad et l'Aman. Suite à votre intrusion sur le serveur de notre maison, nos supérieurs ont pris la décision de s’intéresser à vous de plus près. 

– Pourquoi s’intéressent-ils à moi ?

– Vos vastes compétences informatiques, votre mode de vie, votre personnalité sont exactement ce que nous recherchons. Nous souhaitons vous recruter. Votre génie dans le domaine de l’informatique mis à notre disposition serait un atout extraordinaire pour nous et l’Etat israélien.  

– Écoutez je suis pressé. Je n’ai malheureusement pas plus de temps à vous accorder, je dois…

– … aller sauver votre ami Monsieur David Laloum. Oui, oui nous avons eu des bribes d’informations sur ce sujet et nous aimerions vous écouter afin d’agir au plus vite. Vous devriez savoir que pour la sécurité de notre Etat, nous travaillons en parallèle des lois. Nous sommes au service d’Israël pour assurer la sécurité des Israéliens et des Juifs du monde entier. Nous avons besoin d’être au courant des manœuvres d’autres pays pour nous protéger contre ceux qui nous veulent du mal et croyez-moi, ils sont nombreux. En travaillant pour nous, vous effectuerez en Kidouch Hachem permanent.”

Le plus replet des deux hommes sortit de sa sacoche une pochette cartonnée et appuya sur une touche de son téléphone, comme pour enregistrer la conversation qui allait suivre. À l’intérieur de la pochette, se trouvaient différentes photos de lui, Yona, Yossef et David. Elles avaient été prises à des moments du quotidien totalement banals, mais pas seulement. En les faisant défiler entre ses mains, Avraham faillit sauter sur place quand il reconnut, d’après la description de Yona, la station essence située dans le village arabe.  

“Comme vous pouvez le constater depuis des semaines, nous vous avons suivis à votre insu, ainsi que tous ceux qui vous entourent. Sachez que nous aussi, nous souhaitons revoir Monsieur Laloum vivant. Nous parlerons des conditions de notre éventuelle collaboration plus tard. Êtes-vous d’accord ?

– Je ne demande que cela !

– Donc nous sommes au diapason.

– J’espère seulement qu’il n’est pas trop tard.

– Si cela peut vous rassurer, voyez-vous, nous avons une équipe déjà sur place prête à intervenir en face du garage.

– Qu’est-ce que vous attendez pour intervenir, alors ?

– À l’instant même où nous parlons, Monsieur Yona Amsellem a été lui aussi pris en charge par nos gens. Nous attendons vos deux témoignages pour coordonner nos efforts.”

L’agent à lunettes avait ajouté : “Pour information, Abdoul Abenssali et Mohamed Wajdoud, les ravisseurs de Monsieur Laloum, ne sont pas de simples citoyens. L’un est un haut trafiquant d’armes. L’autre est à la tête d’un trafic d’esclaves. Grâce à vous, nous allons enfin les arrêter…” 

Les mains toujours ligotées au radiateur, David ne sentait presque plus la douleur lancinante de ses poignets. Entendant les pas précipités dans la cage d’escaliers, il eut le réflexe de parler à D.ieu dans le laps de temps qu’il lui restait à vivre… Il remercia Hachem de tout son cœur de lui avoir permis de retrouver Ménou’ha. Il demanda à D.ieu de lui pardonner pour toutes les ‘Avérot qu’il avait accumulées tout au long de sa jeune vie, même celles qu’il n’avait accomplies que par inadvertance. Son esprit nébuleux commençait à divaguer. Il pria pour qu’Il l’aide à accepter son sort. 

Les battements de son cœur, qui avaient auparavant repris un rythme raisonnable, étaient à nouveau redevenus anormaux. À mesure qu’il entendait les pas avancer, la peur la gagnait. Quand la porte s’ouvrit, il avait cru défaillir, mais il était étrangement prêt à embrasser son funeste destin. Sauf que les personnes qui avaient envahi l’espace n’étaient pas venues pour s’occuper de sa fin. Quatre femmes en tchador avaient foncé sur Ménou’ha. Trois d’entre elles portaient des paquets, dont des plateaux de gâteaux orientaux et ce qui semblait être des bijoux. Elles ne jetèrent pas le moindre regard à l’autre prisonnier. Elles s’étaient toutes focalisées sur Ménou’ha pour l’emmener avec elles. La jeune fille n’avait même pas protesté quand les femmes voilées la poussèrent vers les escaliers. Elle envoya un simple regard de soutien et partit.

En moins de quelques secondes, David se retrouva seul et des larmes se mirent à couler le long de ses joues. Il aurait voulu leur hurler de la laisser tranquille mais il savait que cela n’aurait servi à rien. La seule issue qu’il avait était de prier, prier et encore prier pour qu’Hachem envoie quelqu’un les sauver tous les deux avant qu’il ne soit trop tard...

La suite mercredi prochain...