À votre avis, quelle est la première question que l’on me pose lorsque l’on me rencontre pour la première fois avec Sheyna dans la poussette ?
Comment je m’appelle ?
Quel est mon métier ?
Combien je gagne par mois ?
Point nenni. Désolée, si vous avez coché une de ces trois réponses, retentez votre chance.
Alors… ?
Eh bien on me demande presque systématiquement :
« Tu le savais… enceinte ? »
Les bonnes gens demandent si je le savais qu’elle était down, bien entendu.
Même question plusieurs fois par jour, mais sur un ton différent.
Ça passe de l’étonnement sympathique à l’étonnement désapprobateur : toutes les gammes et toutes les tonalités sont représentées, modulées autrement selon l’interlocuteur.
La même question signifie en réalité : « Bah ! Si tu le savais, alors pourquoi elle est toujours là ? Et si elle est là, c’est que tu ne le savais pas ! »
Comment expliquer que je l’ai aimée dès sa première seconde de vie ? D’un amour que je ne connaissais pas, du style de celui qui foudroie.
Le seul endroit où l’on ne me pose pas cette question, c’est aux réunions des mamans d’enfants spéciaux, celles où je me rends toutes les deux semaines avec d’autres mamans- héroïnes accompagnant des petits trésors, autistes ou trisomiques.
À la première rencontre, j’avais l’impression d’être aux alcooliques anonymes :
« Bonjour, je m’appelle ‘Hava et je suis accro à une drogue dure : aux sourires de ma fille. J’aime ma fille, son regard bon, rieur, son sourire, son rire qui me donnent envie de me battre pour elle, pour l’aider dans la vie et lui offrir un bel avenir. »
Ce matin, avec Sheyna en promenade, après la fameuse question, une flèche a suivi.
Celle-là, je ne l’avais jamais entendue. Coup de poing verbal :
« Tu sais que là c’est facile, elle est bébé, mais plus tard tu vas morfler ! » Merci pour les encouragements.
Alors oui, la vie, c’est un match de boxe parsemé d’épreuves, mais je n’ai pas décidé de poser les gants. Je reste sur le ring et je continue le combat.
Pas de knock-out.
Ma fille mérite le meilleur, et elle l’aura, Bé’ézrat Hachem.
Rien n’est impossible, les limites ne sont que celles que nous nous imposons.
La Maman de Sheyna






