À la fin d’une journée de travail, Yossi Wallis était en route vers son domicile. Homme d’affaires florissant, la trentaine, il gagnait largement sa vie. Il travaillait toujours dans le domaine dans lequel il s’était lancé lorsqu’il vivait à Los Angeles : importer et exporter les pièces détachées d’aviation pour des compagnies et des gouvernements à travers le monde. Son entreprise, située à Tel-Aviv, était respectée dans le monde de l’industrie et dégageait de gros bénéfices. Ses trois fils étaient de bons élèves, Sandy s’était fait des amis et était heureuse dans sa maison toute neuve. Tout allait bien.

Sandy l’avait appelé une demi-heure avant qu’il ne quitte son bureau.

« Yossi ?

– Oui ?

– Cela ne te dérangerait pas d’acheter des plats à emporter sur le chemin ?

– Aucun problème. »

Sandy n’aurait jamais pu imaginer que cette simple requête allait transformer leur existence à jamais. Ni Yossi d’ailleurs ; il était juste un bon père et un mari dévoué qui allait acheter à manger pour le dîner.

C’était une chaude journée d’été à Tel-Aviv et l’air moite rendait les gens léthargiques. Le soir se rapprochait, mais la chaleur ne s’était pas encore dissipée et on aurait pu faire cuire des œufs sur le trottoir. Il monta dans sa Subaru et, cinq minutes plus tard, il conduisait le long de l’autoroute en direction de Ra’anana où il habitait. En chemin, il réfléchit à plusieurs options pour le dîner. Divers endroits intéressants pouvaient être choisis le long de l’autoroute : falafels, shawarma, viandes grillées. Où aller ?

Sans trop y réfléchir, il s’était engagé sur une route le menant à sa maison et passant par l’intersection de Kfar Hayarok. Sur le côté de l’autoroute, se tenait un célèbre restaurant appelé l’Elephant Grill, composé d’une salle de restaurant confortable où des familles pouvaient se détendre et apprécier la bonne compagnie, ainsi que d’un comptoir de nourriture à emporter. C’était un restaurant populaire, comme la plupart des grills du bord de route. Toutefois, contrairement à la plupart d’entre eux, l’Elephant grill proposait des spécialités non Cachères par excellence.

Yossi quitta l’autoroute et se gara dans le parking bordant le restaurant, manifestement bondé. Le jour déclinait tandis qu’il pénétra à l’intérieur de l’établissement. Dix à douze clients environ faisaient la queue devant le comptoir de nourriture à emporter pour passer leur commande. Il entendait le grésillement de la nourriture et des oignons frits. De là où il se tenait, il lui sembla que tout ce que l’on pouvait trouver dans le monde était cuisiné sur ce grill. Se plaçant au bout de la file d’attente, il leva les yeux vers les tableaux rétroéclairés des plats artistiquement présentés, suspendus au-dessus du comptoir. Des sandwichs de steak ? Des côtelettes d’agneau ? Que devait-il acheter ?

Une image séduisante au milieu attira alors son regard.

« Porc dans une pita, disait-elle avec des lettres brillamment colorées. Salades et boissons à volonté. »

L’image de la viande blanche le tenta. Du porc. Du bœuf. Du veau. Quelle différence cela faisait-il ? Yossi Wallis, l’homme d’affaires de Tel-Aviv, avait pris sa décision. Du porc dans une pita. Les enfants allaient se régaler.

Il attendit dans la queue son tour, et tandis qu’il était debout dans le grill entouré par des gens de bonne humeur, prenant tous du bon temps et se délectant de leur porc et de leur ‘Houmous, il se mit à rêver. Des images perturbantes envahirent son esprit, le transportant plusieurs décennies en arrière. Le grill parut se dissiper pour finir par disparaître complètement, et une pensée s’imposa à lui, une histoire qu’on lui avait racontée lorsqu’il était jeune.

Une histoire au sujet de son grand-père. Le père de sa mère, Rav Shraga Feivel Winkler, un véritable Tsadik.

Lorsque les nazis arrivèrent à Debrecen et déportèrent la famille, son grand-père fut le seul envoyé dans un camp de travail au lieu d’Auschwitz. Séparé de ses proches, à mille lieues du monde qu’il avait connu, le grand-père de Yossi Wallis fut condamné à un travail éreintant. Mais, quels que fussent les tourments qu’il endura, rien au monde ne put briser son amour pour Hachem et Sa Torah.

Les travailleurs devenus esclaves recevaient de très maigres et insuffisantes rations de nourriture, et bien que presque tout le monde autour de lui mangeât tout ce sur quoi ils pouvaient poser leurs mains d’affamés, le grand-père de Yossi ne souillait jamais sa bouche avec une nourriture impure. Il ne tenait, semblait-il, que grâce à l’air qu’il respirait. Aucun aliment Taref pour lui.

Avait-il faim ? Tout le temps. Mais son existence en tant que Juif avait bien trop d’importance à ses yeux pour risquer tout ce qu’il avait construit depuis son entrée au monde pour contenter momentanément son estomac.

Le peuple juif n’a jamais tenu d’élections pour choisir leurs dirigeants de Torah. Il s’agit plutôt d’un processus fondamental semblant s’effectuer de lui-même. On ne peut pas tromper le peuple, il sait toujours. Il en était ainsi du grand-père de Yossi. Tout le monde dans le camp de travail savait qu’il était un Juif unique et particulier. Ils le considéraient tous avec admiration, et respectaient cet homme qui avait la ‘Houtspa de rester sans manger par conviction, alors que les déportés succombaient à leur faim vorace et mangeaient tout ce qu’ils pouvaient.

Les mois passèrent et les détenus et leurs geôliers savaient que les Russes étaient en chemin et que la défaite allemande était imminente. La seule question était de savoir quand. Les échos des combats se rapprochant peu à peu, chaque jour véhiculait l’espoir de devenir celui de la libération.

Un matin, les détenus furent rassemblés en un immense cercle sur la place du rassemblement pour l’appel du matin lorsque l’officier SS responsable du camp se leva et déclara :

« L’Allemagne a perdu la guerre. »

Son visage était plus pâle que d’habitude, ses yeux étaient rouges et injectés de sang. Ses bottes, d’ordinaire cirées et luisantes comme un miroir, étaient poussiéreuses et éraflées. On pouvait voir qu’il était devenu un autre homme par rapport à celui qu’ils avaient connu, exécré et terrifiant.

« Les Russes seront ici d’un instant à l’autre. Nous ne pourrons plus exécuter nos ordres de manière honorable. Il est à présent clair que le temps est venu pour nous de retirer nos uniformes et de sauver notre peau. La guerre est finie. Vous êtes sur le point de redevenir des hommes libres. Vous quitterez cet endroit, rentrerez chez vous et retrouverez vos femmes et vos enfants. »

Une pause.

« Mais avant de vous laisser partir, poursuivit-il, avant de déverrouiller les portes et de vous laisser accéder sans restriction au monde extérieur, nous voulons faire un dernier test. Une dernière épreuve.

Les détenus se regardèrent mutuellement d’un air las. De quoi les menaçait-il à présent, juste quelques minutes avant la libération ? Le nazi les regarda tous, se réjouissant de la tension et du drame occasionnés, même en ces derniers instants.

« Avant que vous ne partiez tous, nous allons mettre à l’épreuve votre rabbin. Le Rabbin Winkler. Nous avons entendu qu’il était un homme très spécial. Maintenant, nous voulons découvrir la vérité. Est-il aussi spécial que vous le prétendez ? Il n’y a plus de temps à perdre, nous devons le découvrir maintenant. Immédiatement.

Le nazi se saisit de Rav Shraga Feivel Winkler et le traîna au centre du cercle.

« Monsieur le Rabbin, proclama le nazi en s’adressant à son prisonnier, vous voulez rentrer chez vous comme n’importe qui d’autre, n’est-ce pas ? »

Le nazi fit signe à l’un des officiers, qui s’avança en portant une assiette sur laquelle était déposé un morceau de porc.

« Monsieur le Rabbin, si vous voulez rentrer chez vous, et je suis certain que vous le souhaitez, il vous suffit de manger ce délicieux morceau de porc. Dès l’instant où vous en prendrez une bouchée, vous serez libéré. Vous pourrez passer le portail d’entrée et rentrer chez vous. Une seule bouchée, Monsieur le Rabbin, une seule bouchée, c’est tout ce que l’on vous demande. »

Tout le monde retenait sa respiration, attendant de voir ce que Rav Shraga Feivel allait faire. Quel terrible dilemme ! Une bouchée de porc était soudainement équivalente à la vie. Tous les visages étaient tournés vers leur dirigeant spirituel bien-aimé, curieux de savoir quelle serait sa décision. Qu’allait faire le Tsadik maintenant ? La voix de l’Allemand résonnait dans le camp… et dans le cœur de chaque personne présente.

« Si vous mangez ceci, vous rentrerez chez vous comme tous les autres, mais si vous refusez, Monsieur le Rabbin, vous serez la dernière personne tuée dans ce camp. Comprenez-vous ? Le choix vous appartient. »

L’Allemand sortit son revolver et l’appuya contre la tempe du Rav.

« Décidez-vous, maintenant, Monsieur le Rabbin. »

Personne n’osait respirer.

Le maudit nazi se tourna alors vers les détenus.

« Voyons quel choix a fait votre rabbin. Le nazi se tourna à nouveau vers le grand-père de Yossi. Avez-vous pris une décision ?

– Oui.

– Et ?

– Et je ne mangerai pas ce porc. »

L’Allemand tira sur le grand-père de Yossi qui s’effondra au sol, mort sur le coup, le dernier Juif à périr dans ce camp. C’est ainsi qu’il rendit son âme au Créateur, en refusant de renoncer à la sainteté qui l’avait rendu si unique, s’interdisant de faire un compromis avec les idéaux élevés de ce que signifie être un Juif.

🙦🙧🙥

Un bruit sourd ramena Yossi Wallis à l’Elephant Grill.

Mais que suis-je donc en train de faire, ici ? se demanda-t-il, l’image de son grand-père exécuté par le nazi emplissant son esprit avec une force sauvage.

Ton grand-père est mort au moment de la Libération, après avoir si longtemps espéré ce jour, et bien qu’il sût que cela lui coûterait la vie, il choisit de mourir plutôt que de manger ne serait-ce que le plus petit morceau de porc.

Tu vis en Erets Israël, poursuivit-il dans cette conversation intérieure silencieuse, et tu es en train de faire la queue avec d’autres Juifs, prêt à payer pour le « privilège » d’acheter la viande pour laquelle ton grand-père a préféré mourir plutôt que de la manger. Et toi, tu veux donner cette viande à ta femme et à tes enfants, alors que tu pourrais acheter n’importe quel autre type de nourriture ?

Yossi était debout au milieu de ce restaurant bondé, bruyant, joyeux – et très Taref – inconscient de tout ce qui se déroulait autour de lui, uniquement concentré sur la voix résonnant au fond de lui.

C’était il n’y a pas si longtemps. À peine quelques décennies. Quelque chose ne va pas et je ne sais pas ce que c’est. Soit j’ai perdu la tête, soit c’est mon grand-père qui a perdu la tête. Et je refuse de croire que mon grand-père était dément – ce doit donc être…

Yossi Wallis tourna les talons et sortit de l’Elephant Grill, les mains vides.

Extrait du livre : INCROYABLE 

Edité par les Editions Téhila
Vous pouvez trouver le livre Incroyable dans les librairies juives de France et sur le site www.editonstehila.com 

L’histoire vraie d’une vie pleine d’action, de courage physique et spirituel, de Providence divine et d’aventures à vous donner des frissons dans le dos… une vie de dévouement sincère à la Torah et que l’on peut réellement qualifier d’incroyable !

Directeur d’Arakhim, l’organisme mondial de Kirouv au succès sans précédent, Rav Yossi Wallis a touché et transformé l’existence de dizaines de milliers de Juifs, et entretient d’étroites relations personnelles avec la plupart de nos plus grands dirigeants de Torah.

Avant de devenir un maître renommé en Kirouv, Yossi (« Joe ») Wallis a vécu une existence d’exploits époustouflants et d’aventures palpitantes. Tout a commencé dans les rues dangereuses d’un quartier défavorisé de New York, où Joe était à la tête du premier gang juif du Bronx, avec blousons de cuir noirs à leur effigie. Cette période marquée par les dangers et de surprenantes opportunités avec la Mafia fut suivie d’une autre dans l’Armée de l’air israélienne puis d’une découverte inattendue de son héritage de Torah alors qu’il faisait la queue dans un restaurant pour commander un sandwich au porc.

Rav Wallis n’est pas le seul membre illustre de sa famille. Grâce au récit habile de l’auteur à succès, Rav Na’hman Seltzer, vous découvrirez l’ancêtre de Rav Wallis, Raphaël Wallis, l’un des trois derniers Juifs à avoir été publiquement brûlés sur un bûcher par l’Inquisition en Espagne. Vous ferez également la connaissance de Yeedle Wallis, le père de Rav Wallis, dont le récit de sa survie improbable durant la Shoah et de son parcours rocambolesque vers la Palestine, juste avant la création de l’État d’Israël, est si phénoménal et surprenant qu’on le croirait tout droit sorti d’une fiction.

Cette histoire, pleine de rebondissements, qui se lit comme un roman d’aventures constitue, en même temps, une source d’inspiration et un exemple de spiritualité.

C’est tout simplement… incroyable !