D’après le Tour, chacun de Chaloch Régalim (trois fêtes de pèlerinage) correspond à l’un des Patriarches. Pessa’h est lié à Avraham Avinou, Chavouot à Its’hak Avinou et Souccot à Yaacov Avinou[1]. En effet, dans la Paracha de Vayichla’h, la Torah nous raconte qu’après sa rencontre avec Essav, Yaacov alla dans une ville nommée Souccot et il y construisit des Souccot pour ses animaux.[2] Comment comprendre le lien entre cette fête et Yaacov ?

Souccot a une particularité : même les activités les plus mondaines, comme manger ou dormir, deviennent des Mitsvot. Ces comportements sont d’ordinaires neutres. Pourtant le simple fait de s’assoir dans une Soucca est une Mitsva et nous permet de réciter la bénédiction de « Léchev Bassoucca ». Ainsi, Souccot a la capacité de convertir la routine en actes saints.

Le Kol Bo souligne que l’on récite une bénédiction à chaque fois que l’on accomplit la Mitsva de séjourner dans la Soucca. En revanche, même si nous avons l’obligation de consommer de la Matsa durant toute la fête de Pessa’h[3], nous ne disons la Brakha que le premier soir[4]. Pourquoi pas chaque jour ? Il répond que lorsqu’une personne mange de la Matsa pendant toute la fête, il n’est pas manifeste qu’elle le fait parce que c’est une Mitsva. C’est peut-être uniquement parce qu’elle a faim et qu’il lui est interdit de manger du pain. Par contre, à Souccot, il n’y a pas de raison logique au séjour dans la Soucca ; on pourrait rester tranquillement chez soi. Si l’on est dans la Soucca, c’est réellement pour la Mitsva. C’est pourquoi on peut réciter la Brakha tout au long de la fête.[5]

Le Ben Ich ’Haï ajoute que seule la fête de Souccot est appelée « Zman Sim’haténou ». Pessa’h et Chavouot sont aussi des moments de joie, alors pourquoi ce titre est-il réservé à Souccot ? La joie supplémentaire de Souccot est celle de pouvoir accomplir des Mitsvot en permanence, même en faisant les mêmes actions qu’à l’accoutumée.

En quoi cet aspect de Souccot est-il lié à Yaacov Avinou ? Ce dernier fut le patriarche qui traversa le plus de vicissitudes, comme le fait d’avoir affaire à des gens malhonnêtes, de travailler durant de longues périodes, d’élever une grande famille. Durant de nombreuses années, il dut s’occuper de son travail et de sa famille, sans parvenir à consacrer son temps à l’étude ou à la prière. Ce qui fit la grandeur de Yaacov, c’est qu’il éleva ces activités routinières et les transforma en actes saints. À son retour de ’Haran, il déclara à son frère Essav : « J’ai séjourné (garti) avec Lavan. »[6] ’Hazal affirment que le mot « garti » est l’anagramme de Taryag, qui fait référence aux 613 Mitsvot. Yaacov disait par allusion qu’il était resté loyal dans son service d’Hachem, malgré les influences négatives et les conditions défavorables.[7]

Yaacov Avinou avait donc cette capacité d’ennoblir et de sanctifier le monde matériel. ’Hazal disent que les Avot décrivent le Beth Hamikdach (et par extension, le service d’Hachem) de différentes façons. Avraham l’appelle « montagne », Its’hak le nomme « champ » tandis que Yaacov le désigne par le terme « maison »[8]. Pourquoi cette dernière comparaison ? La maison est l’endroit où l’on effectue toutes les actions de la vie quotidienne. Yaacov éleva ces actes, parce qu’il les considérait comme des opportunités d’atteindre la sainteté, comme une aide au Service Divin.

Dans le même ordre d’idées, les patriarches sont liés aux trois prières quotidiennes. Avraham institua celle du matin, Cha’harit ; Its’hak celle de Min’ha et Yaacov fixa celle du soir, Arvit[9], qui est, contrairement aux autres, facultative[10]. Pourquoi est-ce précisément Yaacov qui est associé à une prière optionnelle ? Du fait de sa capacité à transformer les actes facultatifs en Mitsvot. Cela représente le souhait de la personne de se lier à Hachem, même quand elle n’en est pas obligée. Yaacov correspond également à la troisième bénédiction du Chmoné Essré[11], celle de la Kédoucha. Ceci, car la sainteté ne signifie pas simplement « abstention de matérialité », mais son élévation ; le fait de l’utiliser pour servir Hachem.[12]

Le lien entre Souccot et Yaacov Avinou est à présent clair. Tous deux métamorphosent les actes optionnels. Il est assez facile de se sentir vertueux lorsque l’on est plongé dans des actions spirituelles, comme l’étude ou la prière. Mais il est plus difficile de se rapprocher d’Hachem quand on mange, on dort ou bien que l’on travaille. Ce n’est qu’à Souccot que ces actions deviennent des Mitsvot du simple fait qu’elles sont effectuées dans la Soucca. Bien évidemment, cela ne signifie pas qu’il est permis de trop manger ou de trop dormir dans la Soucca.

En saisissant l’opportunité présentée par cette fête, nous pourrons continuer de sanctifier nos actions mondaines, même après Souccot.



[1] Tour, Ora’h ’Haïm, Siman 417.

[2] Béréchit, 33:17.

[3] C’est l’avis du Kol Bo et du Gaon de Vilna.

[4] Celui qui ne vit pas en Erets Israël récite la bénédiction sur la Matsa le deuxième soir également.

[5] Kol Bo, Hilkhot Soucca, 71. Voir Baal Hamaor, Pessa’him, 26b-27a, pour une approche différente.

[6] Béréchit, 32:5.

[7] Rachi, ibid.

[8] Pessa’him, 88a.

[9] Berakhot, 26b.

[10] Notons que de nos jours, les hommes sont tenus de réciter la prière d’Arvit.

[11] Prière qui contenait à l’origine 18 bénédictions, mais actuellement 19, qui forme le noyau central des offices de chaque jour de la semaine. 

[12] Yaacov est aussi lié au Chabbat, qui correspond à la sanctification des activités matérielles. Voir Yéchaya, 58:13-14 et Chabbat 118a-b.