Mordékhaï est bien entendu, l’un des caractères principaux de la Méguila d’Esther et on peut tirer de nombreuses leçons de ses actions au fil du récit. Il est important d’avoir à l’esprit que les événements relatés par les Prophètes ne se trouvent pas hors de tout contexte et les événements de la Méguila d’Esther sont intrinsèquement liés à des épisodes précédents dans la Torah et les Prophètes. Nous analyserons ici certaines relations entre Mordékhaï et ses ancêtres et la manière dont il a rectifié des fautes antérieures.

Lorsque Haman devient Premier ministre de l’empire perse, il s’attend à ce que tout le monde se prosterne devant lui lorsqu’il passe dans la rue, mais Mordékhaï s’y refuse.[1] Les serviteurs lui demandent pourquoi il ne se prosterne pas, et lorsqu’il persiste dans son refus, ils en informent Haman. Le Midrach développe cet épisode.[2] Mordékhaï répond à Haman qu’il s’était érigé en divinité, et qu’il lui était donc interdit de se prosterner devant lui. Mordékhaï ajoute qu’il est issu de la tribu de Binyamin qui a été la seule tribu née en Erets Israël et il se trouve à un niveau de sainteté plus élevé que les autres tribus, et ne peut donc se prosterner.[3] Lorsque Haman en est informé, il répond qu’ils doivent rétorquer à Mordékhaï que son ancêtre, Yaakov Avinou, s’était incliné devant l’ancêtre de Haman, Essav, lorsque ce dernier avait confronté Yaakov après son retour d’Erets Israël. Mordékhaï répliqua que son ancêtre, Binyamin, ne s’était pas incliné devant Essav, n’étant pas encore né à l’époque.[4]

Ce dialogue demande une explication : lorsque Yaakov et ses fils s’inclinèrent devant Essav, d’une certaine façon, ils se sont soumis, eux et leurs descendants, à Essav et à ses descendants. Mais comme Binyamin ne s’est pas soumis, ses descendants n’ont pas été sujets à cet asservissement.[5]

Les sources kabbalistiques mentionnent également cette idée, en expliquant que lorsque Yaakov s’est incliné devant Essav, il a provoqué une faiblesse dans le pouvoir spirituel du peuple juif, et Mordékhaï a rectifié cette faiblesse par son refus de se prosterner devant Haman.

Plus loin dans le récit de la Méguila, Haman rentre chez lui, très heureux de son sort jusqu’à ce qu’il rencontre Mordékhaï, qui refuse à nouveau de s’incliner devant lui, n’affichant aucune peur des conséquences. La Méguila déclare : « qui ne se levait ni ne bougeait devant lui (Haman)». Rav Aharon Kotler zatsal[6] relève qu’ici aussi, Mordékhaï rectifiait un manquement chez l’un de ses ancêtres, dans ce cas, le roi Chaoul. Le prophète Chemouël avait ordonné au roi Chaoul d’éliminer Amalek, mais Chaoul ne compléta pas la tâche, craignant la réaction du peuple qui voulait l’empêcher de détruire la nation dans son ensemble. En raison de sa crainte du peuple, il ne fut pas assez fort pour réaliser la volonté de Hachem. Rav Kotler explique que lorsque Mordékhaï refusa de s’incliner devant Haman et ne montra aucune peur, il rectifia la lacune de Chaoul, et pour récompense, il eut le mérite de diriger lui-même le peuple juif.

De plus, le Midrach affirme que les descendants de Ra’hel avaient la faculté de vaincre le descendant d’Essav, et que Chaoul, à titre de descendant de Ra’hel, était potentiellement capable d’éliminer Amalek, mais il ne s’y résolut pas, par peur du peuple. Mordékhaï, autre descendant de Binyamin, réussit là où Chaoul avait échoué, et élimina Amalek au mieux de ses capacités.[7]

Un dernier exemple de la manière dont Mordékhaï rectifia des fautes antérieures est abordé par le ‘Hida. Il écrit que le décret de destruction émis par Haman était partiellement une punition pour la vente de Yossef par ses frères. Il cite une Guémara[8] affirmant qu’être capturé est pire que la mort, car les souffrances sont plus nombreuses. En conséquence, le décret de destruction rectifiait l’esclavage dont Yossef avait souffert par la faute de ses frères. Le ‘Hida[9] ajoute que la cause principale de la vente de Yossef a été le manqué d’unité, et cela a été également la base de l’affirmation de Haman selon laquelle les Juifs sont « Méfouzar Ouméfourad Bein Haamim - qu’ils sont désunis. » Mordékhaï n’a pas été sujet à cette faiblesse, car il était issu de la tribu de Binyamin, la seule tribu non impliquée dans la vente de Yossef. Il rectifia le problème de désunion lorsqu’il rassembla tous les Juifs pour prier afin que le décret soit annulé, les réunissant ainsi par ce geste. C’est également la raison pour laquelle les Mitsvot de Michloa’h Manot (envois de paquets alimentaires) et de Matanot Laéviyonim (dons aux pauvres) ont été instituées - pour maintenir l’amour et l’unité parmi les membres du peuple juif.

L’exemple de Mordékhaï nous rappelle que les histoires des Prophètes ne sont pas hors contexte, elles sont intrinsèquement liées l’une à l’autre, et en analysant ces connections, nous pouvons comprendre bien plus en profondeur les récits et personnalités des Prophètes.



[1] Les commentateurs discutent pourquoi Mordékhaï ne s’est pas incliné, bien que par cette attitude, il mît le peuple juif en danger. Voir Michbétsot Zahav, Esther, pp.83-85.

[2] Esther, chapitre 3.

[3] Voir Michbétsot Zahav, Esther, p.84.

[4] Esther Rabbah, 7:8.

[5] Michbétsot Zahav ,Esther, p.84.

[6] Cité dans Michbétsot Zahav, Esther, p.146.

[7] Bien entendu, Mordékhaï n’a pas totalement détruit Amalek, mais ce n’est pas en raison de ses propres manquements.

[8] Baba Batra, 8b.

[9] ‘Homot Hanakh, Esther, Os 12, Na’hal Echkol, chapitre 1, Os 10,16.