« Sauve-moi, de grâce, de la main de mon frère, de la main d'Essav. »[1] Même si Essav le tueur se comporte avec moi comme un frère, sauve-moi de ses mains, implora Jacob.

Par cette prière, notre patriarche nous révèle que le combat pour l’identité juive est tout aussi féroce face au glaive que face à l’étreinte fraternelle. De la sémantique de sa phrase, nous pourrions même déduire qu’elle est plus redoutable encore.

À peine remis des maux de la Haskala du siècle dernier, où sans crier gare, d’énormes ébranlements ensevelirent d’intègres gentilshommes par centaines de milliers, un nouvel ennemi pernicieux se profile pour le peuple juif. Si la Haskala proposa son lot d’idéologies utopiques que furent le communisme, le marxisme, le darwinisme et ses autres parentismes, ce nouveau frère, lui, ne propose rien, il déconstruit. S’attaquant tout d’abord à notre attention puis à nos valeurs, ce tueur silencieux n’a jamais à forcer le rempart de notre forteresse, il est invité tout simplement par l’hôte.

Un serpent sans sonnette

Une fois investi dans notre vie, il ne lutte pas, il séduit. Irrésistible, il capte notre attention et nous dévie des buts principaux de notre vie et finalement du maître des lieux – D.ieu.

Cet ennemi s'acquiert partout, parfois bon marché ; et, sans prévenir, il devient le maître incontesté de ses victimes. Son effet est si puissant qu’il se pourrait même qu’il modifie épigénétiquement certaines zones du cerveau [2] et influe considérablement sur l’humeur de l’homme [3].

La conscience de l’homme juif est ainsi placée au centre d’un combat ontologique pour savoir qui l’emportera – D.ieu ou les influenceurs ? Dans cette lutte, les armées s’entrechoquent, croisant le fer dans des champs de bataille qui ne paraissent pourtant pas hostiles. D’un côté, une industrie marketing multimilliardaire assise sur une idéologie progressiste ; de l’autre, une Torah divine qui donne à la vie son sens fondamental.

Au niveau tactique, cela se joue au canon des notifications qui activent les zones de récompense de notre cerveau, suscitant les mêmes leviers dopaminergiques que ceux des drogues, mais aussi du rêve, de la luxure et une fausse impression d’être toujours connecté avec ses proches (bizarrement devenus lointains !). Le terrain stratégique est celui du divertissement, et le fer de lance, celui de la frustration quotidienne.

Face à cela, la Torah propose une batterie de remparts. 

Souviens-toi toujours !

À commencer par un sceau fait à l’endroit le plus intime du corps de l’homme. « Vous retrancherez la chair de votre excroissance, et ce sera un symbole d'alliance entre Moi et vous. [4] » Le Talmud [5] nous raconte que le roi David fut un jour peiné d’être dans son bain sans le moindre signe lui rappelant son judaïsme. Il se souvient alors qu’il portait en sa chair le sceau du Roi des rois et s’apaisa.

Ne se limitant pas à cela, D.ieu exige également que des franges soient tissées aux quatre coins du vêtement rappelant Ses 613 commandements. « Vous vous rappellerez ainsi et vous accomplirez tous Mes commandements, et vous serez saints pour votre D.ieu. [6] » Avec en prime, un fil bleu azur couleur ciel qui fait référence au Trône céleste [7].

Autre stratagème visant à ne pas détourner son attention de l’essentiel, les phylactères. L’un sur le bras en gage de maîtrise de ses passions et l’autre sur le haut du front pour dompter l’imaginaire, les Téfilines sont le rappel quotidien de l’existence de D.ieu. « Tu les attacheras, comme symbole, sur ton bras, et les porteras en fronteau entre tes yeux [8] ». À l’image du Chéma’, la profession de foi juive, qui se lit matin et soir [9] pour se rappeler encore et toujours de D.ieu, même dans le tumulte d’un monde cherchant à Le dissimuler.

Ensuite, la Torah prit soin de disposer un rappel de l’unicité de D.ieu pour tous, hommes comme femmes, avant de pénétrer dans leur maison, laissant derrière eux les idées superflues de la société mondaine. « Tu les inscriras (en symbole) sur les linteaux de tes portes et de tes portails [10] ».

Na’hmanide [11] déduit de manière générale que tous les commandements de la Torah, y compris le Chabbath et les fêtes, tendent vers ce même but, se souvenir de D.ieu. Le Ram’hal, en introduction de son Messilat Yécharim, explique que la principale tâche de l’homme est de méditer sur sa venue au monde afin de se rapprocher du divin. Il analyse que l’un des principaux stratagèmes du mauvais penchant est de le distraire dans sa quête spirituelle en le surchargeant de soucis liés à la subsistance ou, de nos jours, de surinformation. Il déduit cela de la tactique du premier des grands tyrans de l’histoire juive, Pharaon, qui, lorsqu’il voulut endiguer l’éveil spirituel du peuple, ordonna de surcharger de travail les Hébreux pour les en détourner. « Qu'il y ait donc surcharge de travail pour eux et qu'ils y soient astreints. [12] »

L’emporter face à soi-même

L’enjeu est donc avoué : attirer notre attention. Élever notre conscience ou la travestir. 

D’un côté, un protocole divin fait de rappels spirituels et symboliques ; de l’autre, un système humain fait de stimuli virtuels. L’homme, au milieu de cette arène, n’a d’armes que son libre arbitre pour décider de l’issue de ce combat. Épousera-t-il les usages de D.ieu ou ceux des algorithmes ? 

Une chose est toutefois inévitable : plus il s’avance profondément dans un camp, plus le retour à l’autre lui sera difficile. Il n’est pas évident de prier le matin lorsqu’une personne a enchaîné six épisodes de la dernière série Netflix la veille, un peu comme si la voix du “héros” se confondait avec celle du ‘Hazan… À l’inverse, essayez de proposer à un bon Juif de transgresser Chabbath pour 100 000 dollars, même Bill Gates n’y est pas parvenu !

Il est indispensable de comprendre l’envers du décor, pourquoi D.ieu nous assigna tel ou tel commandement. Ainsi, nous braverons les écueils des sentiers encore non battus, sachant comment se mouvoir dans un monde sans repères francs. Le maître mot de notre GPS intérieur doit être de savoir si une chose augmentera en nous la conscience de D.ieu ou l’inverse.

[1] Genèse 32, 12

[2] https://www.planetesante.ch/Magazine/Addictions/Hyperconnectivite/Ecrans-sauvegarder-son-attention 

[3] https://www.planetesante.ch/Magazine/Addictions/Hyperconnectivite/Nouveau-la-Facebook-depression 

[4] Genèse 17, 11

[5] Traité Ménakhot p. 43

[6] Nombres 15, 40

[7] Traité Ménakhot, Ibid.

[8] Deutéronome 6, 8

[9] Ibid. 6, 7

[10] Deutéronome 6, 9

[11] Commentaire sur la Bible, section Bo

[12] Exode 5, 9