Le roi Salomon, dans l’Ecclésiaste, nous divulgue un principe fondamental de la Création. D.ieu répartit le bien et le mal à égalité : il y a autant de sainteté que de profane dans notre monde. C’est le principe d’équité des forces, libre arbitre oblige ! (Kohélet 7, 14)

Pourtant, lorsque nous arrivons aux Maxime des Pères (Pirké Avot), nous découvrons un enseignement quelque peu contradictoire.

Ben Azaï nous dit (chapitre 4, Michna 2) : « Cours après toutes les Mitsvot (bonnes actions) et fuis les péchés ». Jusqu’ici rien de vraiment problématique, mais lorsqu’on se penche un peu plus profondément sur le sens de cette Michna, nous y découvrons une certaine ambigüité.

En effet, si nous analysons les propos de Ben Azaï, on déduirait qu’il faut « courir » après les bonnes actions, sans quoi on ne les saisirait pas, tandis que les mauvaises, les fautes, c’est elles qui nous courent après. C’est-à-dire que, dans un état statique, sans courir ni fuir, les fautes nous rattrapent tandis que les vertus sont encore loin de nous… 

Alors, où se trouve donc l’équité dont parlait le roi Salomon ? Le libre arbitre ne serait-il pas si libre ?

Pour comprendre cela, il nous faut remonter aux sources, à l’origine de la Création. 

L’homme, une imperfection perfectible 

La Torah nous apprend que D.ieu est l'Être parfait.

Ce que nous connaissons de l’imperfection n’est autre que la faiblesse humaine, nous n’avons pas d’autre référentiel que celui-ci. Des caractéristiques comme la colère, l’envie, la lâcheté, la honte... sont dues à la corporalité de l’homme qui en fait sa déficience. Chez D.ieu, il n’y a ni corps, ni silhouette, donc pas de place à la vulnérabilité. 

Le Kouzari écrit au début du second chapitre de son livre : « On attribue à D.ieu de la miséricorde et de la compassion, mais chez nous, ces sentiments dénotent en réalité une faiblesse de l’âme et un émoi de notre nature, qui sont incompatibles avec D.ieu. Celui-ci est un juge équitable qui décrète la pauvreté pour un homme et la richesse pour un autre sans en être altéré dans Son essence ».

D’un point de vue scientifique également, nous savons aujourd’hui que le monde n’étant que matière, il doit nécessairement son origine à une source libérée des affres de cette dernière qui sont principalement le temps et l’espace. D.ieu est aussi Infini.

Nous parlons donc d’un D.ieu créateur absolument parfait en tout point. Pourtant, Sa création ne l’est pas et l’homme en est la preuve !

Pourquoi le Créateur parfait n’a-t-Il pas créé de création parfaite, un homme sans faiblesses, un monde sans limites… ? 

Le Ram’hal, Rabbi Moché ‘Haïm Luzzato, explique dans plusieurs de ses ouvrages que D.ieu créa l’homme imparfait dans le but de lui donner la possibilité de se parfaire afin de lui accorder rétribution et salut mérités.

Cependant, dans son livre Daat Tévounot, le Ram’hal aborde une autre question, celle du mécanisme de cette création. Comment D.ieu, qui est parfait, a-t-Il opéré pour créer de l’imparfait ? La question, qui est pourtant d’ordre conceptuel et théologique, va nous donner un éclairage sur notre Michna et même sur notre vie de tous les jours…

Lumière et obscurité

Le Ram’hal explique que D.ieu créa l’existence suivant deux démarches distinctes, le rayonnement de la Face et le voilement de la Face. Le corps et l’âme sont tous deux des créations du D.ieu unique mais elles résultent de deux sources différentes. L’âme provient de Son rayonnement, tandis que le corps résulte du voilement de cette lumière, le constituant de cette faiblesse qui lui sera nécessaire pour accomplir son dessein. Ainsi, le prophète Isaïe (45, 7) déclarait « Il forme la lumière et crée l’obscurité, fait la paix et créé le mal, Je suis l’Eternel qui fait tout cela. » On discerne cette différence entre la lumière qui a seulement besoin d’être « formée » car émanant directement de Lui, tandis que l’obscurité se devait d’être « créée »… La spiritualité provient directement de cette lumière Divine, tandis que la matérialité fut créée pour les besoins du dessein que D.ieu assigna à l’humanité. Il en va de même pour l’âme et le corps.

Le libre arbitre rééquilibré

C’est pour cela que Ben Azaï, notre maître, ne voyait aucune contradiction avec le libre arbitre, lorsqu’il nous disait de courir après les bonnes actions, sans quoi les mauvaises prendraient le dessus, car il connaissait très bien la nature profonde de l’homme. 

En réalité, Ben Azaï nous enseigne qu’étant donné que l’âme de l’homme est créée par le dévoilement de la Face Divine, si D.ieu n’avait pas éloigné les bonnes actions de lui et fait que le mal le poursuive, ou si les bonnes comme les mauvaises actions étaient à distances égales, l’homme n’aurait jamais succombé au mal, sa nature l’aurait poussé à saisir naturellement les bonnes actions et à éviter les mauvaises. C’est à ce moment-là qu’il y aurait réellement eu un déséquilibre du libre arbitre. D.ieu a donc rééquilibré les forces en schématisant ainsi Sa création.

Se rattacher à sa source

Fort de ce constat, nous pouvons déduire un autre précepte de la façon dont D.ieu créa l’Homme.

Le maître Kabbaliste déduit une importante règle qui tombe sous le sens une fois son schéma explicité. Il écrit au sixième chapitre : « Si l’homme renforce son corps et en fait le maître, le Souverain agit à son égard suivant la même mesure, uniquement avec dissimulation. Il en viendrait alors à s’éloigner davantage de la lumière de vie, de la sagesse et de la connaissance, pour s’enfoncer dans les résidus de la bourbe de la souillure matérielle et dans les vanités de ce monde. »  Autrement dit, si l’homme exalte son corps, il se connecte avec la source de laquelle l’instance du corps a été créé, le voilement de la Providence, et les conséquences seraient qu’il s’enfoncerait de plus belle dans l’opacité de la matière. A l’inverse, s’il développe son âme, c’est directement au creuset du Trône divin qu’il se raccorderait, et on ose imaginer le bien-être retiré…