Comment enseigner à nos enfants, et surtout à nous-mêmes, l’art de la bonté et de la compassion ? Comment devenir meilleur ? Y a-t-il une université qui nous enseigne la bonté, la sensibilité ou la considération pour autrui ?

En tant que survivante de la Shoah, je peux attester qu’il n’y pas une seule université ou autre institution pédagogique qui s’en charge. J’ai vu des diplômés des plus célèbres universités s’abaisser à un niveau inférieur aux animaux : mutiler, torturer, et abattre sans un brin de mauvaise conscience, sans jamais perdre le sommeil. Ils étaient les produits des « éclairés » du 20ème siècle. On y trouvait des scientifiques, des universitaires, des avocats, des médecins. Ils sont facilement devenus d’impitoyables meurtriers.

Certains protesteront que j’ai choisi un exemple extrême. Les Nazis ont été une anomalie de l’histoire. Vraiment ? Plongez dans la Torah et examinez la genèse même de notre histoire, et vous découvrirez le premier holocauste, en Egypte, que le peuple juif dut subir. De même qu’Hitler, Pharaon nous a forcés à travailler comme des esclaves. Tout comme Hitler, qui a conduit des enfants vers les chambres à gaz, Pharaon s’est servi de bébés comme briques placées dans les murs, des murs qui pleuraient… Ils pleuraient de douleur, et leurs parents qui les entendaient sanglotaient encore plus fort.

Depuis cette première Shoah, le peuple juif n’a eu aucun répit. « Békhol Dor Vador », à chaque génération, certains visent à nous annihiler, mais le Saint béni soit-Il nous sauve de leurs griffes.

Non, il n’y a rien de nouveau dans cette brutalité qui sature notre culture aujourd’hui - mais on relève toutefois un élément nouveau. De même que les Nazis ont été capables d’exploiter la technologie du 20ème siècle pour tuer des millions d’individus, nos nouveaux gadgets du 21ème siècle sèment le chaos également. Nous sommes devenus indifférents aux pleurs et à la douleur des autres.

Qui aurait pu imaginer que par la merveille des ordinateurs personnels et d’Internet, la haine et le venin se répandraient et infecteraient le monde au point où il en est actuellement ? Nous possédons de nouveaux jeux qui nous rendent aveugles et sourds à notre prochain. Nous sommes toujours occupés, non seulement au travail, mais même en marchant dans la rue ou lorsque nous prenons un repas de famille, car ces gadgets ne nous quittent jamais. Nous avons créé une société robotisée et décadente. Nous ne nous identifions plus à des traits de caractère comme la bonté et l’engagement. L’apathie et l’insensibilité ont pris le dessus dans notre vie.

Une question douloureuse : comment se portent nos communautés, nos écoles, et plus important, nos foyers juifs ? Le ‘Hessed - la bonté - est-il le principe qui guide notre existence ? Les enfants voient-ils du ‘Hessed dans nos écoles, nos foyers ?

L’histoire de Yossef devrait être la lumière qui guide notre existence. A l’âge de 17 ans, il était un Juif isolé en Egypte. Qu’il fût esclave, en prison, ou dans le palais de Pharaon, il n’a jamais oublié les priorités qu’un Juif doit s’approprier. Comment a-t-il pu réaliser une telle prouesse ? La réponse est simple, mais, en réalité, très complexe pour nous. Nous n’avons tout simplement pas les outils qu’il possédait.

« Diyoukno chel Aviv - l’image de son révéré père Ya’acov » n’a jamais quitté son esprit ou son cœur. C’est cette image qui lui a permis de rester fermement ancré à ses valeurs et c’est cette image qui sépare un homme de l’autre : l’image de bonté qui peut faire d’un homme une brute, ou, au contraire, un ange de bonté.

Mais la question demeure : comment communiquer de tels enseignements, aussi élevés ? Nous devons intégrer une leçon simple de notre Torah : « Lev Adam Ra’ Miné’oray : le cœur de l’homme est mauvais depuis son enfance ». Les êtres humains ne naissent pas bons ou gentils, généreux ou compatissants. Ce sont des traits de caractère qu’il faut acquérir. Alors que nos petits peuvent être adorables et mignons, ils peuvent également se montrer égoïstes et très insolents. Ils doivent apprendre à dire « merci », « s’il vous plaît », et « excusez-moi. » Ils doivent apprendre à partager, à donner, à être gentil. Ce n’est pas une tâche aisée dans notre culture obsédée par le « soi ».

Mon révéré mari, le Rav Méchoulem Halévi Jungreis Zatsal, me répétait souvent qu’en Europe, même avant la prière du matin, les garçons étudiaient du Moussar - des enseignements qui se focalisent sur la conduite morale. Malheureusement, de nos jours, ce sujet est à peine enseigné dans nos Yéchivot.

Je me souviens, il y a quelques années, de ma rencontre avec un jeune homme qui m’avait abordé après un discours prononcé à Londres. « Rabbanite, m’avait-il lancé, j’aimerais réellement être plus gentil et faire preuve de plus de considération pour les autres, mais je ne le sens pas. Ce n’est pas dans ma nature, alors si vous me donnez un raccourci qui pourrait marcher pour moi, je l’accepterai. »

Je vis qu’il était sincère. « Réfléchissons à cela un instant, lui répondis-je. Avez-vous déjà analysé précisément ce qui constitue votre nature ? Nos Sages nous donnent des idées profondes à ce sujet : "Un homme est façonné par ses actes", nous enseignent-il, à savoir que si vous agissez d’une certaine manière pendant une durée assez longue, cela devient une seconde nature, et c’est ce qui fait de vous votre "vous-même". Ainsi, par exemple, si vous avez des mauvaises habitudes, vous devenez un individu mauvais. Si vous vous habituez à exprimer vos sentiments sur un coup de tête, vous devenez sauvage et colérique. Le contraire est vrai également. Si vous agissez avec bonté, au bout du compte, vous devenez bon. Si vous vous forcez à donner, avec le temps, vous devenez généreux.

L’aspect positif de cet enseignement est renforcé dans notre Talmud : "Mitokh Chélo Lichma, Ba Lichma" - à savoir que si vous agissez au départ machinalement, vous finirez par agir avec sincérité si vous persévérez. L’action deviendra si profondément ancrée dans votre psyché que votre personnalité s’en verra transformée. »

Il réfléchit quelques instants, puis répondit : « Mais faire les choses machinalement, sans sentiment ou croyance, me semble hypocrite. »

Je relatai une histoire écrite par l’auteur britannique, Max Beerbohm, intitulée « L’hypocrite heureux ». C’est l’histoire d’un gentleman, Lord George Hell, dont le nom reflétait la personnalité. Son mauvais tempérament était reflété par ses yeux, son visage, son comportement même. Un jour, Lord George tomba follement amoureux d’une jeune fille mignonne, délicate, et adorable, mais elle fut tellement rebutée par son apparence qu’elle lui fit savoir qu’elle ne pourrait jamais penser à se lier à un homme dont le visage était si cruel et colérique.

Lord George eut alors une idée brillante. Il commanda à un maître artisan un masque qui reflétait une personne gentille, généreuse et délicate. Déguisé ainsi, il appela la demoiselle, qui tomba immédiatement amoureuse de lui. Ils se marièrent et vécurent heureux ensemble, jusqu’à ce qu’un jour, un ancien ennemi vint leur rendre visite et déclara à la femme : « Vous pensez être marié à un homme gentil et délicat : je vais vous montrer qui est réellement votre mari ! »

Et sur ce, il arracha le masque du visage de Lord George. Mais incroyable, le visage sous le masque était identique au masque.

Au cours de leur mariage, Lord George avait prétendu être gentil et généreux, pour que sa conduite ne trahisse pas son masque. Cette attitude laissa une marque profonde sur son caractère et le transforma en celui qu’il prétendait être.

« Une belle histoire, déclara mon ami de Londres, mais qui frôle le miraculeux plutôt que la réalité. »

« Les miracles sont notre réalité, répondis-je, si nous le souhaitons. »

Ne devenons-nous pas tous des miracles lorsque nous changeons notre nature ? Si vous souhaitez trouver un raccourci pour vous améliorer, mettez ce « masque » et devenez un individu gentil et compatissant conformément aux injonctions de la Torah.