Ce fut la soirée la plus excitante de ma vie; si intense qu’elle semblait irréelle. Ma fille, la Kalla, était radieuse. Elle brillait telle la lumière du soleil. En la regardant, nul ne pouvait deviner toutes les épreuves qu’elle a dû surmonter, en commençant par la mort de son père alors qu’elle n’avait que sept ans. Sa mort sordide ne fit qu’exacerber l’ampleur de cette tragédie : il fut tué par balle en plein jour. Lors de cette journée inoubliable, il se tenait à côté de sa voiture, prêt à se rendre au travail. Puis, brusquement, sans crier gare, il fut assassiné par une balle tirée depuis une vitre de voiture. L’on n’a jamais découvert l’identité de l’assassin. Lorsque la police m’appela pour m’annoncer que son cerveau ne répondait plus, mon cœur s’est arrêté de battre pour ce qu’il semblait être une éternité. Ma fille a entendu la conversation et a couru se cacher derrière le canapé pour pleurer. Elle avait toujours adoré son père, et elle fut complètement décontenancée par cette terrible nouvelle.

En vérité, elle ne s’était jamais vraiment arrêtée de pleurer depuis cet événement tragique. Bien que ses larmes ne fussent pas visibles de l’extérieur, son cœur saignait. En grandissant, elle s’est abandonnée aux drogues dures afin d’oublier sa douleur et devint vite accro à ces narcotiques. Elle fut hospitalisée à plusieurs reprises, à tel point qu’une fois, elle tomba dans un coma pour plus de trois jours. Je me souviens que le médecin m’avait dit que son état était critique et qu’elle pouvait emprunter une voie comme une autre… En d’autres termes, ma fille se trouvait à l’abysse de la mort. Bien que je me considère comme quelqu’un d’optimiste, les mots du médecin reviennent parfois me hanter l’esprit. Lorsque je les entends, je rejoue la scène effroyable que représentaient ces trois jours interminables. Lorsque je la regardais inerte et allongée sur son lit d’hôpital, j’étais engouffrée par une terrible noirceur qui menaçait de ne jamais disparaître. À l’époque, je n’aurais jamais envisagé qu’elle survivrait pour raconter son histoire et se marier un jour.

Après une addiction accrue aux drogues durant de nombreuses années, je reçus la surprise la plus agréable de ma vie. Plus d’une décennie après cette période, l’inimaginable se produisit. Avec l’aide d’Hachem et ses efforts surhumains, elle s’est finalement défaite de son addiction. Lorsque cela s’est produit, mon cœur se remplit de joie. Je savourai chaque moment et devins une tout autre personne. Je devins entière à nouveau. Mon corps et mon âme se remplirent d’optimisme jour et nuit. Avec mon nouvel état d’esprit et sa nouvelle réalité, j’ai senti que le moment était arrivé de la marier. Avec mon soutien, elle entra dans le monde des Chidoukhim et finit par se fiancer à un garçon extraordinaire.

Lorsque mon futur gendre passa le pas de la porte pour rencontrer ma fille pour la première fois, la pièce se remplit de lumière. Il semblait être très érudit en Torah, tout en étant ouvert. En mon for intérieur, je sus qu’il s’agissait de l’âme sœur de ma fille. Mon instinct fut juste. Ils se fiancèrent après seulement quelques rencontres et l’on fixa une date de mariage. En nous préparant pour le grand jour, nous comptions les secondes et les minutes qui nous séparaient de ce moment tant attendu, et ce dernier arriva enfin. Une panoplie de gens vinrent nous aider à célébrer cette Sim’ha si unique.

Assise sur sa chaise blanche et majestueuse en acceptant les Mazal Tov de chaque invité, ma fille avait l’air d’une princesse. Mon cœur était rempli de joie en la regardant donner des Brakhot à toutes ses copines qui étaient encore célibataires. J’espérais aussi qu’elles se fianceraient à leur tour. Peu après, j’entendis les musiciens qui jouaient « ’Od Yichama’ », et le ‘Hatan entra pour mettre le voile sur le visage de ma fille, telle que la coutume l’exigeait, faisant de cet instant un moment très solennel. Ce fut un moment de joie extrême, mais entremêlée de tristesse, puisque le père de la Kalla n’était pas physiquement présent pour ce moment si critique dans la vie d’une jeune fille. Son absence était palpable. Je savais que s’il avait été présent, il aurait donné à ma fille la plus longue et puissante Brakha.

À ce moment précis, je ressentis un vide profond et douloureux. Mon mari me manquait terriblement. Je savais également qu’il manquait à ma fille aussi, bien qu’elle arborait un sourire rayonnant sur son visage. C’est pour cette raison que je décidai d’être forte comme elle, et, avec cette force, je sus qu’il nous regardait depuis les cieux et qu’il se réjouissait avec nous. Cette prise de conscience fut réconfortante. Avec ces pensées, le ‘Hatan s’approcha de ma fille. Lorsqu’il lui couvrit le visage, je perçus sa gentillesse et sa grâce. Quelques secondes plus tard, son futur beau-père s’approcha d’elle et lui donna une Brakha, et son regard larmoyant fut rempli de joie et d’espoir. Je fus profondément touchée par sa bienveillance. Ma fille avait besoin d’une panoplie de Brakhot à ce moment critique, et je sentais qu’il éprouvait un amour paternel à son égard. J’étais si reconnaissante qu’elle allait maintenant avoir une figure paternelle dans sa vie ! Étant témoin de cette puissante scène, mon corps et mon âme s’unirent pour ne former qu’une seule entité remplie de joie. Après cet épisode, j’accompagnai ma fille dans une petite pièce afin qu’elle se prépare pour la ‘Houppa. Après ce moment intime entre ma fille et moi, quelqu’un m’indiqua qu’il était maintenant temps de l’amener à la ‘Houppa. Lorsque je fis mon premier pas, je serrai fermement la main de ma fille et je sentis que nos cœurs battaient à l’unisson. Après tout, nos espoirs et rêves étaient les mêmes. Ce moment sera gravé à jamais dans ma mémoire. Mon fils et moi-même marchâmes avec elle dans l’allée, qui était parsemée de fleurs. Lorsque je me tenais finalement sous la ‘Houppa, je fus saisie de plusieurs émotions contradictoires. D’une part, j’étais enchantée, mais d’autre part, je fus inquiète pour la suite des événements. Des flash-back du passé de ma fille rivalisaient avec les Brakhot qui étaient récitées. Ce fut profondément désagréable. Mais peu après, je me rendis compte que ces souvenirs étaient une bonne chose. Ils m’avaient donné un regain d’énergie et une prise de conscience du ‘Hessed (bonté) inégalé qu’Hachem octroyait à ma famille.

Je serai reconnaissante pour le restant de mes jours de la joie que je ressentis cette soirée-là.

Razey Segal (source : magasine AMI)