A chaque crise les mêmes effets, nous avions connu au moment du 11 septembre 2001 un nombre incalculable de théories conspirationnistes qui servaient des causes diverses et variées. Dans la plupart des cas, ces théories qui ont pour point commun de ne pas avoir de fondement, sont moquées par les médias de tous horizons. Avec le Covid-19, on observe que ceux qui traitent ces théories avec le juste mépris qui leur revient sont en fait les mêmes qui adhèrent à tout un tas d'idées préconçues qu'ils relaient sans vergogne. 

Aujourd'hui, en Israël, le maniement des chiffres du Covid-19 sert à la décrédibilisation du monde religieux. Combien de fois les titres catastrophes "nombre de contaminés " sont directement associés à la photo d'un 'hassid ultra- orthodoxe de Bnei Brak ou de Mea Shearim ? En illustrant quotidiennement les statistiques les plus anxiogènes depuis un siècle par une photo représentant les villes orthodoxes, on fait une exploitation politique du virus. D'une part on incrimine subrepticement la responsabilité du monde religieux pour expliquer la situation israélienne, et d'autre part on tient pour acquis l'incapacité des religieux à appliquer des règles élémentaires. 

Le vice cognitif a été étudié par des sociologues depuis des dizaines d'années déjà. Accoler une statistique, c’est-à-dire une donnée objective (un nombre, un taux) à une photo illustrative qui résume à un élément une réalité complexe, est un procédé fallacieux qui permet de faire impunément un travail de sape avec le glaive du saint nom "droit à l'information" entre les dents. On ne peut que déplorer de voir que le sens de la mesure et de l'éthique soient restés de grands principes vains à l'heure où les citoyens demandent à être informés comme jamais. 

Penchons-nous sur la raison pour laquelle les statistiques de Kokhav Yaakov et Efrat passent-elles si inaperçues. Il est curieux de constater que ces villes n'incitent pas les journaux israéliens, francophones ou français à varier leurs Unes alors qu'ils ont depuis plus d'un mois la possibilité de sortir du ghetto. Rendre à son lecteur sa liberté de penser et sa capacité de discernement ne fait-il pas parti des principes déontologiques de base sur laquelle un journaliste fait reposer sa prestigieuse vocation ? 

Malheureusement, les chiffres de Kokhav Yaakov hissent la bourgade à égalité avec celle de Ela'd, troisième ville du pays dans les contaminés par habitant avec 685 cas pour 100,000 habitants. Efrat a même été pendant plusieurs jours classée première de cette triste liste. Ce mutisme assourdissant aurait mérité qu'on s'y intéresse. 

Tous les journaux sans exception parlent de nombre de contaminés ou de nombre de contaminés rapportés à la population. En réalité, il est étonnant de voir que les chiffres qui circulent ne sont pas pondérés par le facteur "familial" : lorsqu'un cas de Coronavirus se déclare, la plupart du temps des membres de la famille ont déjà été infectés avant même la mise en quarantaine. De plus, les mesures les plus strictes ne suffisent pas toujours à éviter la propagation du virus au sein de la famille : l'impact statistique d'une même contamination n'est pas le même lorsque la famille cible a 10 enfants ou seulement 2 enfants. 

Pour avoir une vue objective de la situation, il faudrait que le ministère de la Santé communique le nombre de foyers d'infections plutôt que le nombre de contaminés et parallèlement à cela, le taux de tests effectués par ville. 

Si les chiffres sont si mauvais dans les villes orthodoxes c'est aussi parce que le gouvernement donne des moyens supérieurs à ces villes là pour détecter le virus. En effet, les interactions sociales y sont tellement nombreuses que le virus menace très fortement ces populations jeunes qui vivent dans un espace confiné où qu'ils soient (habitation, synagogue, Yéchiva, Collel, commerces). 

Pour conclure, les chiffres très sommaires communiqués par le Ministère de la Santé n'expliquent rien de ce qui se passe dans la société israélienne. Cette absence d'informations permet justement de véhiculer des idées non argumentées qui frôlent avec les théories du complot. Est-ce qu'il serait venu à l'idée du monde religieux d'arrêter le curseur à un instant T pour dire, au début de l'épidémie, que le virus se répandait très largement chez des voyageurs non religieux ? C'est aberrant de non-sens. Nous partageons tous un destin commun et, au lieu de sortir grandi d'une épreuve collective, bon nombre utilisent le sentiment de panique générale pour jeter l'opprobre sur une partie du peuple Juif sans aucune preuve ni aucun fondement scientifique.