Au lendemain de l’implosion de l’illusion soviétique, en 1989, certains croyaient que c’était la fin de l’Histoire, la fin des affrontements internationaux. Un chercheur américain a même écrit un livre sur ce sujet, à cette époque. Non seulement ce fut une grande erreur de l’analyse historique, mais c’est aussi une fausse compréhension de l’âme humaine, qui tend toujours à « désirer davantage ». « Le système international n'est régi, semble-t-il, que par une seule loi, celle du chaos. Aucun mécanisme de règlement des conflits, aucun dialogue interétatique institutionnalisé, aucun forum de gouvernance mondiale ne paraît en mesure de peser sur les tragédies du moment » écrivait déjà en 2014 un journaliste dans « Le Monde ».

La tragédie de l’affrontement actuel entre la Russie et sa voisine l’Ukraine, illustre ce propos. La vanité de ce conflit, nullement fondé sur des motifs idéologiques, ou même économiques, véritables, est un exemple actuel de cette volonté de domination. Il semble bien qu’il importe, pour le côté russe, d’établir, ou plutôt de rétablir, la force impériale de la Russie. Cette situation n’est, dans notre perspective (celle de la Torah), qu’un avatar supplémentaire dans le devenir historique de l’humanité. Il serait naturel et normal que l’humanité, consciente de sa puissance, crée une société harmonieuse et pacifique. Les progrès scientifiques et technologiques remarquables peuvent prolonger et améliorer la vie sur terre, mais ils ne réussissent pas à effacer, à détruire cet instinct de possession, cette rivalité source de l’affrontement entre les nations. Il importe de dépasser cette dimension et de voir dans cette lutte un élément de construction. Les sages expliquent que le premier affrontement de l’Histoire – entre Caïn et Hével – avait pour raison le désir de donner sa signification à la création. L’offrande de Hével, dans cette perspective, concernait les animaux, alors que l’offrande de Caïn – des fruits de la terre – était moins prestigieuse. La préférence accordée par l’Eternel à Hével apparaît fondée sur la différence de signification de l’offrande. Les sages expliquent, de façon diverse, les raisons de cette appréciation. Caïn – comme son nom hébreu l’indique (signifiant acquisition, possession) – est attaché aux biens de la terre, et ce qu’il offre à D.ieu, selon Rachi, c’était des fruits de mauvaise qualité, alors que l’offrande de Hével était composée d’animaux de choix. Caïn avait choisi la possession, alors que son frère représente les valeurs humaines. Selon l’explication du « Ha-Amek Davar » (Netsiv de Volozhin – fin du 19ème siècle), alors que Caïn représente la puissance matérielle, Hével signifie les possibilités de l’humanité : dépasser le stade animal de l’homme – la science, l’art, la littérature, ce qui fait la spécificité de l’homme (Ha-Amek Davar sur Beréchith et Noa’h). Cependant, si les activités humaines, intellectuelles ne se relient pas à l’Infini, au Créateur, elles sont finalement vaincues par les forces matérielles : Caïn tue Hével, car la matière l’emporte finalement, s’il n’y a pas de relation avec l’Eternel. Ne pourrait-on voir ici une image de l’Histoire de l’humanité, car en fin de compte, c’est toujours la force de la matière qui l’emporte. Il semble qu’il ne soit pas outrecuidant, aujourd’hui, de voir la Russie tenter d’écraser l’Ukraine, grâce à sa puissance matérielle. Caïn tuant Hével symbolise la permanence de l’Histoire, du fort écrasant le faible, peut-être plus intelligent, plus civilisé. L’offrande de Hével était plus belle, plus agréable que celle de Caïn, de qualité inférieure, mais c’est Caïn qui avait la force, et a éliminé Hével (en hébreu : futilité). Dans ce monde matériel, s’il n’y a pas de référence à la Transcendance, à l’Eternel, toute valeur n’est que futilité. La lutte actuelle, entre la Russie et l’Ukraine, désole le monde civilisé, détruit les rêves d’harmonie universelle. Au peuple d’Israël, aux fidèles de la Torah, infime minorité, il convient de transmettre l’étincelle divine : réaliser le message de Seth, puis de Chem, et enfin d’Avraham et de Moché Rabbénou, et des Sages du Talmud, savoir que l’humanité doit finalement réaliser le programme des prophètes, supprimer la force de la matière, préparer l’avènement de la Guéoula, de la Rédemption finale.