Israël fête ses 75 ans d’existence dans l’ombre de nombreux points de préoccupation que la situation actuelle soulève. Il y a bien sûr la sécurité ou le coût de la vie qui ne fait qu’augmenter, mais il y a surtout un problème de fond qui a fait surface lors des dernières manifestations : celui de l’identité du pays.

En effet, comme tout le monde le sait, le gouvernement en place actuellement et dirigé par Netanyahou s’emploie à apporter des réformes au système juridique, réformes visant à établir un relatif équilibre dans le corps des juges, correspondant au découpage électoral qui reflète la volonté du peuple. Il semblait nécessaire que la Cour suprême israélienne, qui possède les moyens d’annuler des décisions votées à la Knesset, soit composée de membres d’opinions diverses afin que son jugement soit équitable et non pas le résultat d’une certaine conception. 

Avec consternation, on a pu assister à un déchaînement de manifestations soutenues par les médias, les partis de l’opposition et la Histadrout (syndicat des travailleurs), qui menaçaient de déstabiliser tout le pays. Des limites jamais atteintes dans l’histoire d’Israël ont été franchies, comme la diffusion de messages sournois décourageant les investisseurs étrangers à placer leur argent en Israël, l’intervention de nations étrangères pour saper les efforts du gouvernement dans la mise en place de la réforme, mais aussi et surtout la menace provenant de hauts placés militaires de refuser de servir le pays si la réforme passait. (À titre de référence, les soldats ont accepté de participer au retrait des implantations du Gouch Katif, même si cela n’était pas conforme à leurs opinions personnelles).

Si on analyse plus profondément ce qu'il se passe aujourd’hui en Israël, c’est en fait la confrontation de deux conceptions totalement opposées qui coexistent depuis le début de l’histoire moderne du pays et qui n’a jamais été réglée. En effet, beaucoup de Juifs se sont installés en Israël dans le but d’y fonder un État laïc comme toutes les Nations. D’autres, par contre, aspiraient à y retrouver les valeurs que véhicule la Tradition juive. Concrètement, ce sont les premiers, avec à leur tête David Ben-Gourion, qui depuis le début ont pris les rênes du pouvoir, qui ont imposé leur système d’éducation dans les écoles publiques et qui quelque part ont donné le ton à l’esprit du nouveau Yichouv. Cependant, afin d’éviter trop de tensions avec les traditionnalistes, il fut établi un compromis sous la forme d’un statu quo (Chabbath et jours fériés chômés ; mariages, enterrements et conversions selon la Tradition juive, etc.).

Si pendant 40 ans, cet état de fait n’a pas varié, lors de la montée au pouvoir de Ména’hem Bégin et de la droite en 1977, on a commencé à entrevoir dans le pouvoir politique un début de retour à la Tradition. Depuis, ce changement a continué à s’affirmer et le gouvernement actuel est même composé d’une majorité de Juifs pratiquants. Cependant, il est rapidement apparu que tant que la Cour Suprême conserverait sa composante habituelle - de laïcs de gauche - aucune loi allant dans le sens de la Tradition ne pourrait être décrétée, dans la mesure où la Cour chercherait systématiquement à les neutraliser. Tel était le but de la réforme, et les manifestants ont bien compris que si elle était menée à bien, le pouvoir réel leur échapperait des mains. Pour l’heure, ils sont parvenus à écarter le “danger”; chez les Juifs traditionnels en revanche, cette constatation est terriblement décevante, car ils réalisent qu’au fond, il n’y a pas de réelle démocratie. 

Mais l’espoir doit demeurer, car même si on ne parvient pas par la voie des urnes à insuffler un nouvel esprit dans le pays, celui-ci pénètre discrètement et sûrement par la voie de la diffusion du judaïsme : le nombre de Ba’alé Téchouva est en constante augmentation et le fait que dans de nombreuses synagogues en Israël, on propose tout le long de cette journée chômée qu’est Yom Ha’atsmaout des cours de Torah prouve bien l’aspiration profonde de ‘Am Israël.