Il n’est pas facile de passer trop rapidement d’un domaine viral, d’origine physique, à un domaine moral, qui n’est pas moins empoisonné : du virus, covid-19, au virus antisémite qui refleurit, et en particulier à cause, précisément, des problèmes sanitaires. Les faits se répètent : il y a une grave épidémie dans le monde. Il faut trouver un bouc émissaire, et il est tout trouvé : le peuple juif. Qui aurait pensé, 75 ans après la Shoah, qu’on retrouverait les mêmes accusations qu’à l’époque où les Juifs « empoisonnaient les puits » pour répandre la peste noire ?

Essayons d’analyser ces développements : qui est responsable de la pandémie ? On le sait, l’origine est chinoise, mais il se répète, de bouche à oreille, que les Juifs ont développé le virus. L’une des premières responsables est l’ancienne ministre de la santé du gouvernement Macron, la juive Agnès Buzyn, fille d’un ancien déporté. Les caricatures la dessinent avec un nez crochu, une figure entièrement diabolique laissant entendre sa responsabilité. Personne, bien sûr, ne l’accuse directement, mais elle et son mari, lui aussi médecin, et représenté dans les caricatures de façon ridicule, ne sont pas les seules victimes, en France, d’une atmosphère délétère. Les milieux de droite, ou d’extrême gauche, de même que les islamistes, laissent aussi entendre que les Juifs sont intéressés au développement de l’épidémie, car, quand elle sera achevée, les prix monteront et les Juifs s’enrichiront. Ce n’est d’ailleurs, malheureusement, pas seulement la France. En Angleterre, aux Etats-Unis, en Amérique du Sud, toutes sortes de médias laissent même entendre que les Juifs tirent profit de l’épidémie. Ainsi une enquête à ce sujet faite à l’Université d’Oxford précise que plus de 19% de la population anglaise considère que la diffusion de l’épidémie dans le monde est due à une conspiration des Juifs.

A quoi correspond cette calomnie, d’autant plus ridicule que, malheureusement, la maladie n’a pas épargné la population juive. Au début du 20ème siècle, un faux célèbre – intitulé « Protocole des Sages de Sion » – expliquait qu’il y a une conspiration internationale des Juifs pour dominer les gouvernements et diriger l’Europe. On a presque l’impression, hélas très triste, qu’une rumeur se répand ainsi dans le monde, d’une conspiration montée par les Juifs. Le journal israélien orthodoxe, Yatèd Nééman, présente un dossier bien documenté (basé sur des faits précis dans le monde entier) et analyse la rumeur qui circule aujourd’hui. Le titre de l’article : « Protocole des Sages de virus Covid19 », en allusion au Protocole des Sages de Sion (Yatèd Nééman du 17 Juillet 2020). Comparaison incroyable que, bien sûr, rien ne vient corroborer.

Alors, une question immédiate se pose : « Pourquoi ? » Que signifie cet antisémitisme sournois ? Herzl avait espéré que, lorsque les Juifs auraient un Etat à eux, l’antisémitisme disparaîtrait. C’est bien le contraire qui s’est produit, et l’Etat d’Israël a pris le relais du Juif parmi les nations. L’antisionisme est clairement un antisémitisme camouflé, qui n’ose pas s’avouer. Le virus antisémite n’est pas physique, car les Juifs ne sont nullement différents des autres hommes. La source est indiscutablement idéologique, non pas religieuse, comme cela a pu l’être au Moyen-Âge, mais fondée sur une conception inavouée de complexe : infériorité ou supériorité, là n’est pas le problème. Au Sinaï (terme voisin du mot « Sina », haine), le peuple juif a été distingué de tous les peuples, et cela est resté de génération en génération. Le capitaine Alfred Dreyfus venait d’une famille assimilée depuis 100 ans au moins, mais n’était pas aimé, parce qu’il était juif. Le banquier Nucingen dans les livres de Balzac est présenté de façon caricaturale : il est, on le sait, la figure du banquier Rothschild. Romain Rolland, l’humaniste de gauche, décrit aussi des personnages juifs antipathiques. Qui l’aurait cru ? Il a fallu une épidémie universelle – sanitaire – pour prendre conscience d’un virus, vieux comme le monde. Qu’il le veuille ou non, le Juif est différent. Il peut, lui aussi, détester les Juifs, comme Marx (clairement) ou Freud (avec des nuances !), mais il s’agit, alors, d’une autodestruction, d’un masochisme inavoué. La Torah est la seule explication à ce virus permanent : on voudrait s’assimiler, être comme tous les autres, mais c’est impossible. Le représentant d’Israël à l’O.N.U. ressent cela, comme l’enfant juif de famille assimilée dans une école laïque.

Soyons fiers d’être juifs, fidèles à l’Alliance du Sinaï. Quelles que soient les circonstances historiques, le Juif ne peut échapper à sa destinée, au fait qu’il appartient à un peuple différent. Ce n’est pas une supériorité raciale, ethnique, ce n’est pas un racisme. C’est une façon de vivre : nous sommes porteurs d’une tradition qui ne s’inscrit pas dans le Temps, car cette tradition est l’Alliance avec l’Eternel, qui date d’Avraham et qui se poursuit à l’époque du Covid 19. En hébreu, Avraham veut dire : « différent », « autre » (de l’hébreu ‘Avar, de l’autre côté), selon l’affirmation des sages : « Le monde, le siècle, est d’un côté, et Avraham est de l’autre côté ». Acceptons cette relation particulière avec la spiritualité, cette étincelle d’identification (quelquefois d’intensité faible), mais jamais éteinte, avec le Créateur !