La Paracha Bamidbar décrit longuement l’emplacement des tribus. Elles étaient organisées par groupes de trois. Les commentateurs soulignent que leur position était déterminée de façon à ce que chacune influence l’autre[1]. Le premier groupe était composé de Yéhouda, Issakhar et Zévouloun. Yéhouda était à côté d’Issakhar. Rav ’Haïm Chmoulewitz zatsal affirme que Yéhouda se distinguait par sa capacité d’assumer des responsabilités, autant pour lui-même que pour les autres[2]. Il mit cette qualité en pratique quand il endossa l’incident avec Tamar, quand il se porta garant de Binyamin qu’il fallut emmener en Égypte et lors de la traversée de la Mer des Joncs – Na’hchon ben Aminadav, le prince de la tribu de Yéhouda entra dans l’eau avant que la mer ne se divise.

Issakhar, lui, représente la Torah ; il se consacra à l’Étude tandis que son frère Zévouloun subvenait à ses besoins[3]. Aussi, de nombreux membres du Sanhédrin provenaient de sa tribu[4].

Nous nous focaliserons sur l’influence positive que Yéhouda devait exercer sur Issakhar.

Dans la paracha de Vayigach, quand la Torah raconte le périple des Bné Israël qui quittèrent la Terre Sainte pour aller vivre en Égypte, elle précise que Yaacov Avinou envoya préalablement Yéhouda pour préparer leur arrivée à Gochène[5]. Rachi explique qu’il fut envoyé pour y ériger une maison d’Étude. Ceci marqua le peuple juif à travers son histoire ; la priorité d’une communauté doit être la Torah et son apprentissage.

Mais on comprend difficilement pourquoi c’est Yéhouda qui fut chargé de cette mission – Issakhar n’était-il pas plus adapté à cette tâche, lui qui incarne l’étude de la Torah ? Le Tiféret Chlomo répond que Yéhouda fut la première personne à se sentir responsable de l’autre au point d’être prêt à risquer sa propre vie – lorsqu’il promit à Yaacov qu’il protégerait Binyamin en Égypte et qu’il le lui ramènerait sain et sauf. Ainsi, Yaacov l’envoya ouvrir les portes d’une maison d’étude afin que le Beth Hamidrach (et le limoud Torah en général) soit imprégné de ce sens de responsabilité envers nos frères juifs.

On comprend donc pourquoi Yéhouda fut placé aux côtés d’Issakhar – il ne suffit pas d’étudier la Torah pour soi-même, il faut aussi se soucier du bien-être spirituel d’autrui et donc pouvoir transmettre ce savoir. Et plus notre capacité d’étude et de compréhension de la Torah est grande, plus on est dans l’obligation d’influer sur notre entourage. Rav Israël Salanter zatsal adoptait cette attitude. Un jour, il se sentit mal après avoir éclairci une difficulté dans le Rambam. « Si j’ai un tel talent, expliqua-t-il par la suite, c’est que je porte une charge immense. Le Tribunal Céleste me demandera : "Pourquoi n’as-tu pas ramené le monde entier à la téchouva ?" »[6]

La Michna dans Pirké Avot affirme : « Si tu as appris beaucoup de Torah, al ta’hzik tova léatsmékha (ne t’enorgueillis pas), parce que c’est pour cela que tu as été créé. »[7] D’après son sens simple, on comprend de cette Michna qu’il ne faut pas se sentir fier de ses réalisations dans l’étude de la Thora parce que c’est le but de sa vie. Cependant, plusieurs commentateurs proposent une interprétation différente. Ils pensent que si quelqu’un a appris beaucoup de Thora, il ne doit pas garder ce bien pour lui-même, mais en faire profiter les autres et l’enseigner. Pourquoi ? Parce que son but sur terre est d’apprendre et d’enseigner.[8] Manifestement, la propagation de la Thora n’est pas seulement une facette de notre étude, mais elle en est le fondement.

Dans le même ordre d’idées, Rav Wolbe zatsal déclara à propos de l’éducation à l’étude de la Torah : «  Je pense que nous devons apprendre cela à nos enfants dès leur entrée à la yéchiva ketana. À compter de la première année, nous devons leur dire qu’ils sont intrinsèquement liés à l’ensemble du Klal Israël et qu’ils ont le devoir de transmettre toute la Torah qu’ils vont apprendre en yéchiva kétana et en yéchiva guédola. » Il estimait donc que l’étude dotée d’un sentiment d’a’harayout n’est pas seulement un avantage ou une qualité, mais c’est un prérequis pour notre lien avec la Torah.

Si l’individu assume cette responsabilité, il reçoit une récompense qui dépasse celle réservée à celui qui étudie la Torah. La Michna dans Pirké Avot statue sur le Mézaké Harabim[9]  qu’il est épargné de la faute et qu’il est récompensé pour chaque mitsva qu’il a provoquée[10]. Rav Zéev Segal zatsal (Roch Yéchiva de Manchester) disait que si les années d’étude sont une préparation à la transmission ultérieure de la Torah, alors le disciple est considéré comme étant Mézaké Harabim aussi durant ses années d’apprentissage[11].

Hachem voulait que Yéhouda influence Issakhar et que ce dernier étudie la Torah dans le but de la partager aux autres. Nous aussi, nous devons prendre cette leçon à cœur et développer le sens de responsabilités envers notre prochain. Si l’on y parvient, le bénéfice engendré sur nous-mêmes et sur l’ensemble du peuple juif est infini.

 



[1] Ramban, Bamidbar, 2:2. Voir aussi Gour Arié, Bamidbar, 2:3.

[2] Si’hot Moussar, Parachat Vayéchev, Maamar 20.

[3] Béréchit Rabba, 72:5.

[4] Targoum Yonathan, Béréchit, 46:13.

[5] Béréchit, 46:28.

[6] Sparks of Moussar, Zaitchik, p. 54.

[7] Pirké Avot, 2:9.

[8] Midrach Chémouël, Avot, 2:9. Voir Midrach David, Lev Eliyahou, Parachat Tazria-Metsora, pour une interprétation similaire. Entendu également du rav Zéev Leff chlita, au nom du Klausenberger Rebbe zatsal.

[9] Celui qui donne du mérite à l’autre en lui enseignant la Torah et ses lois.

[10] Pirké Avot, 5:18.

[11] The Manchester Rosh Yeshiva, Finkelman & Weiss, p. 165.