Parachat Chéla'h Lékha : « Ils seront pour vous des Tsitsit, vous les verrez et vous vous souviendrez de tous les commandements d’Hachem et vous les accomplirez ; vous ne suivrez pas (Lo Tatourou) votre cœur et vos yeux qui vous conduisent à l’infidélité. »[1]

La Paracha de cette semaine termine par le troisième paragraphe du Chéma, qui évoque la Mitsva de porter des Tsitsit puis celle de ne pas suivre son cœur et ses yeux. Le Sifri se penche sur la signification des mots employés. Il explique que le fait de « suivre son cœur » correspond à l’hérésie (Minout), tandis que « suivre ses yeux » fait référence à l’immoralité.[2]

D’après une analyse superficielle, on comprend que le fait de se laisser guider par son cœur entraîne l’adoption de croyances qui vont à l’encontre de la Torah. Ra Its’hak Berkovits soulève une difficulté à ce sujet. Plusieurs Mitsvot de la Torah interdisent déjà les pensées hérétiques (les deux premiers commandements des Tables de la Loi, le Chéma qui nous enjoint de croire en l’unicité d’Hachem…). Il semble donc y avoir suffisamment d’ordres contre ce péché. Que vient ajouter la Mitsva de Lo Tatourou ?

Il répond que les autres commandements concernent l’intellect (savoir que D.ieu créa le monde, qu’Il le dirige…). Mais cela ne suffit pas forcément à adhérer parfaitement aux principes de la Torah. Les émotions ou les désirs matériels de la personne peuvent l’inciter à agir en désaccord avec ses croyances. La Mitsva de Lo Tatourou nous prescrit d’éviter ce piège. En nous demandant de ne pas suivre notre cœur, la Torah nous enjoint de ne pas laisser nos émotions prendre le dessus de ce que l’on sait (intellectuellement) être Vrai.

L’incident des explorateurs nous offre des exemples illustrant cette idée. Là aussi, le mot Latour (explorer) est employé par la Torah. Hachem ordonna à Moché d’envoyer des gens explorer la terre. Moché donna les instructions nécessaires concernant les éléments à vérifier dans le pays (observer les récoltes[3], vérifier s’il y avait des personnes vertueuses, dont le mérite pouvait protéger ses habitants[4], etc.). Avec ces directives, Moché leur laissait entendre qu’ils devaient voir la Terre avec une conception basée sur la Torah : ils devaient tout observer avec des yeux spirituels : les gros fruits devaient être perçus positivement et la présence de Tsadikim était un élément important.

Malheureusement, la plupart des explorateurs ne tinrent pas compte des consignes de Moché. Ils virent de gros fruits, mais décidèrent d’interpréter ceci de manière négative et de transmettre au peuple que la terre était bizarre[5]. Ils firent aussi une fausse interprétation quand ils virent un grand nombre d’enterrements ; ils en déduisirent que la terre éliminait ses habitants alors qu’en réalité Hachem provoqua ces nombreux décès afin que les habitants de la terre soient trop occupés par les obsèques pour remarquer les espions.[6] Les seuls explorateurs qui surmontèrent cette épreuve furent Calev et Yéhochoua. Ils interprétèrent tout positivement, grâce à leur grande foi en Hachem – ceci les aida à vaincre toute crainte et à affirmer leurs convictions.

La Torah utilise le même terme (Lo Tatourou) à propos du Tsitsit. Le verset nous informe que les Tsitsit nous rappellent les 613 Mitsvot, ce qui nous aide à ne pas suivre notre cœur et nos yeux. En effet, Rachi souligne que la valeur numérique du mot Tsitsit est 600 ; si on y ajoute les 8 fils et les 5 nœuds qu’on y fait, on obtient 613. Le fait de regarder les Tsitsit nous connecte donc aux 613 Mitsvot.

Néanmoins, la plupart des gens ne font pas le lien que la Torah demande. Il aurait peut-être été plus efficace d’inscrire un grand « 613 » sur les Tsitsit, afin que tout le monde se souvienne automatiquement des 613 Mitsvot en les voyant !

En réalité, la Torah nous enseigne qu’il faut faire partie des gens qui voient le monde avec une perception profonde, au point que même un vêtement nous ramène aux lois de la Torah. Quand on s’élève à un tel niveau, on est conséquemment capable de respecter la Mitsva de Lo Tatourou, parce que l’on ne considère pas le monde de travers, sur la base de nos émotions, mais plutôt avec des yeux spirituels.

Ainsi, la façon de penser d’un individu joue un rôle décisif sur sa manière d’interpréter ce qu’il voit. Il n’est pas facile de devenir quelqu’un qui porte un regard spirituel sur tout ce qui l’entoure. Mais la première étape consiste à coordonner notre intellect et nos émotions aux directives de la Torah. Plus la personne est imprégnée des enseignements de Torah, plus elle sera en mesure d’émuler Calev et Yéhochoua.

Puissions-nous tous mériter de canaliser nos émotions pour nous rapprocher de la Torah.



[1] Parachat Chéla’h Lékha, Bamidbar, 15:38.

[2] Sifri, Chéla’h Lékha, 15:38.

[3] Parachat Chéla’h Lékha, Bamidbar, 13:20.

[4] Rachi, Ibid.

[5] Rachi, Bamidbar, 13:23.

[6] Voir Birkat Perets du Steipler, qui explique pourquoi leur interprétation était illogique.