« Toute Ma’hloket (discorde, désaccord) qui est "Léchem Chamaïm – pour l’honneur du Ciel", aura des résultats durables et toute dispute qui n’est pas pour l’honneur du Ciel n’aura aucun succès à long terme. Quelle fut la Ma’hloket "pour l’honneur du Ciel" ? C’est celle entre Hillel et Chamaï. Et quelle fut la dispute qui ne fut pas "pour l’honneur du Ciel" ? C’est celle de Kora’h et de son assemblée. » (Pirké Avot 5,20)

Une lecture superficielle du récit de la discorde entre Kora’h (et ses acolytes) et Moché Rabbénou nous laisse à penser que ces instigateurs étaient à la recherche des honneurs et qu’ils camouflèrent leurs véritables intentions par leurs belles paroles sur le peuple juif – qui était saint et qui méritait également les fonctions occupées par Moché et Aharon. Ainsi, la Michna précitée serait également comprise sommairement.

Rav Yéhou’ham Levovits[1] s’oppose à une telle interprétation quant aux motivations de Kora’h et de son assemblée. Il souligne qu’une comparaison entre deux personnes ou deux groupes indique une certaine ressemblance entre eux, bien qu’ils soient différents – par exemple, mettre en parallèle un sportif et un entraineur ou deux équipes rivales reviendrait à montrer leurs différences, mais aussi leurs points communs. Si les intentions de Kora’h étaient tellement odieuses, comment comparer sa divergence d’opinions à celle de Hillel et Chamaï, dans la même phrase ? Rav Issakhar Frand précise : « Il ne convient pas de mettre au même niveau les avis différents sur l’interprétation de la Torah avec la dissidence de roturiers égocentriques. Comment donner tant d’importance à Kora’h et à ses hommes en les évoquant dans la même Michna qui parle de Hillel et de Chamaï ? »

Rav Yérou’ham en déduit que l’on ne peut absolument pas qualifier le débat de Kora’h de désaccord banal, qui touche le commun des mortels. Cette Ma’hloket était effectivement très proche de celle de Hillel et Chamaï, car dans les deux cas, la motivation principale n’était pas égocentriste, elle ne visait pas l’élévation personnelle. Dans les deux désaccords, les protagonistes n’étaient pas satisfaits par leur statut spirituel – ils voulaient grandir, s’élever en Kédoucha et se rapprocher d’Hachem.

Quant aux 250 hommes qui approchèrent l’encens, le Natsiv[2] précise que leur objectif véritable était de se lier à Hachem et ils savaient qu’ils allaient mourir à cause de leur acte. Néanmoins, ils furent prêts à se sacrifier pour cette cause. Le Natsiv les compare d’ailleurs à Nadav et Avihou qui moururent alors qu’ils souhaitaient atteindre une proximité sans pareille avec D.ieu. Dans les deux cas, l’erreur fut d’aller à l’encontre de l’instruction divine. Mais l’intention de ces hommes, en s’opposant à Moché Rabbénou, n’était certainement pas basée sur un désir d’honneurs ou de pouvoir.

Kora’h lui-même était convaincu du bien-fondé de ses actions ; celles-ci ne lui semblaient absolument pas motivées par une quelconque jalousie ou recherche d’honneurs. Il s’opposait sincèrement au système alors en place au sein du peuple juif et il pensait que celui-ci privait la majorité de la nation d’une opportunité de se sanctifier davantage. Certes, ’Hazal nous informent qu’à un certain niveau, Kora’h était jaloux des dirigeants en fonction – Moché et Aharon –, mais c’était tellement subtil que lui-même ne le remarqua pas. Preuve en est, il pensait que son comportement était justifié, surtout à la suite de sa prophétie montrant son illustre descendance. Si ses motivations avaient été mauvaises et méprisables, il n’aurait certainement pas eu droit à une telle vision. Celle-ci prouvait assurément que ses objectifs étaient nobles et que ses actions étaient légitimes.

Les problèmes commencèrent quand leur dispute fut teintée par des motivations personnelles (recherche de grandeur et de prestige) ; dès lors, leur Ma’hloket devint « Chélo Léchem Chamaïm » – intéressée, et les sévères sanctions que subirent Kora’h et son assemblée en furent la triste conséquence.

Si, selon Rav Levovits, leurs objectifs premiers étaient positifs, pourquoi ’Hazal jugent-ils si rigoureusement le fait que leur acte ait également un côté « Lo Lichma » ? Habituellement, on estime qu’il convient de commencer à accomplir une Mitsva sans qu’elle soit « pour l’honneur du Ciel » afin que finalement, elle soit effectuée le plus sublimement possible – c’est-à-dire « Léchem Chamaïm ». Rav Levovits explique que l’idée du « Lo Lichma » qui mène au « Lichma » s’applique à presque tous les domaines, mais pas à la Ma’hloket. Quand il s’agit de discorde, même si les objectifs semblent les plus nobles, il suffit d’une petite mauvaise intention, pour qu’elle perde toute sa validité et qu’elle se transforme en très grave faute, car elle entraînera une haine injustifiée et une dissension au sein du peuple juif. En outre, plusieurs autres 'Avérot – comme le Lachon Hara', la Ona'at Dévarim (paroles offensantes) et l’humiliation en public – en résultent souvent. C’est pourquoi Kora’h et ses hommes sont si sévèrement blâmés par la Torah – leurs nobles intentions furent complètement assombries par des objectifs impurs et c’est ce qui transforma leur Ma’hloket en grave faute.

Une leçon évidente est à tirer de cet épisode. L’individu doit se montrer très réticent devant la discorde, même s’il est certain d’agir correctement et d’avoir des objectifs louables. Il est extrêmement difficile d’arriver à un véritable « Lichma » et de savoir si l’on a atteint ce niveau ou si l’on est troublé par des motivations moins pures. Il nous incombe donc de clarifier ceci avec des Talmidé 'Hakhamim qui peuvent juger de la convenance d’entrer – ou non – dans la Ma’hloket.

Puissions-nous tous mériter d’aider au rétablissement de la paix au sein du peuple juif.

[1] Daat Torah, Parachat Kora’h, rapporté par Rav Issakhar Frand.

[2] Émek Davar 16,1.