La parachat Matot écrit : « Et Bilam, le fils de Béor, ils tuèrent par le glaive » [1].

Bilam est apparemment mort à cause de ses tentatives de nuire aux Bné Israël dans le désert. Or, la guemara affirme qu’un autre crime, commis longtemps auparavant, fut la raison de sa mort prématurée.

« Trois [hommes] participèrent à l’entrevue [pour décider du traitement que Pharaon infligerait au peuple juif] : Bilam, Iyov et Yitro. Bilam conseilla [de leur faire du mal] et fut tué ; Iyov se tut et dut subir des yissourim (souffrances, épreuves) ; Yitro s’enfuit et eut le mérite que ses descendants siègent dans la lichkat hagazith (endroit dans le Beit HaMikdach où siégeait le Sanhédrin). [2] » Bilam fut tué par les Bné Israël à cause du conseil odieux qu’il donna à Pharaon, plusieurs années auparavant.

Le rav ‘Haïm Chmoulevitz zatsal pose une question sur cette guemara. Il va sans dire que Bilam méritait une sanction beaucoup plus sévère que celle d’Iyov, parce que ce dernier se contenta de garder le silence et n’a pas agi. Mais on dirait que la punition d’Iyov fut bien pire que celle de Bilam.

Bilam mourut rapidement tandis qu’Iyov subit des épreuves que personne n’a jamais traversées. Comment comprendre ceci ?

Le rav Chmoulevitz répond que la vie est le plus grand cadeau qui existe, et que les souffrances, peu importe leur degré, valent infiniment plus que la mort. Par conséquent, la sanction de Bilam fut beaucoup plus sévère que celle d’Iyov – il eut la vie sauve, Bilam la perdit à jamais.

Le rav Leib ‘Hassman zatsal explique ceci grâce à une parabole ; imaginons qu’un homme gagne un grand prix à une loterie et qu’au même moment, l’une de ses carafes se casse. Ce petit désagrément va-t-il le déranger ou ternir la grande joie éprouvée ?! Le bonheur d’avoir gagné annule toute contrariété qui survient dans la vie de tous les jours. Il nous faut adopter la même attitude au quotidien – notre joie de vivre doit être telle qu’elle rend toute difficulté insignifiante, quand bien même il s’agirait des épreuves endurées par Iyov.

Parce qu’elles sont négligeables en comparaison au merveilleux cadeau qu’est la vie [3].

Pourquoi la vie est-elle si précieuse ? Une michna de Pirké Avot peut nous aider à répondre à cette question. « Un moment de repentir et de bonnes actions dans le Olam Hazé (ce monde-ci) est plus grand que toutes les vies du Olam Haba (le monde futur), et un instant de plaisir accessoire dans le Olam Haba est plus grand que toutes les vies du Olam Hazé. [4] » Cette michna semble se contredire – elle commence par affirmer que le Olam Hazé est incomparablement mieux que le Olam Haba, puis elle termine en disant l’inverse !

Les commentateurs expliquent que chaque partie de la michna présente un point de vue différent. La fin de la michna compare les plaisirs que l’on peut retirer dans chacun des deux « mondes ». Le Olam Haba est alors infiniment plus sublime que le Olam Hazé – aucun plaisir terrestre ne peut être comparé à un instant de bonheur dans le Olam Haba, dans lequel on jouit d’un rapprochement avec Hachem.

Tout le reste est alors insignifiant et éphémère. Par contre, la première partie de la michna se concentre sur la possibilité d’être plus proche d’Hachem. Dans ce cas, le Olam Hazé est bien plus élevé, parce que l’individu a le libre arbitre, il peut choisir de se lier à Hachem en accomplissant des mitsvot. Dans le Olam Haba, il n’aura plus l’opportunité de se rapprocher davantage de Lui.

Nous comprenons donc pourquoi la vie est si chère – chaque instant nous offre une chance particulière d’être plus proche d’Hachem. Et cette proximité constitue le plaisir suprême qui nous accompagnera dans le Olam Haba pour l’éternité. Le Gaon de Vilna parla de la valeur de la vie sur son lit de mort. Il tenait ses tsitsith et pleurait en disant : « Ô combien ce monde est précieux, parce qu’avec quelques sous, on peut mériter d’accomplir la mitsva de tsitsith et de jouir de la présence Divine, tandis que dans le Olam Haba, nous ne pouvons rien ajouter à nos mérites. » [5]

Nous avons expliqué que chaque seconde de vie est inestimable. Pourtant nous pensons souvent qu’il est impossible de faire grand-chose en quelques minutes par-ci par-là. C’est faux ! On demanda une fois au ‘Hatam Sofer comment il était devenu un Gadol (érudit exceptionnel en Thora), et il répondit que cela lui avait pris cinq minutes ! Il avait, en réalité, exploité chaque instant dont il disposait, et c’est ce qui lui permit de tant apprendre.

Rav Moché Feinstein zatsal, à l’un de ses siyoumim sur le Chass (achèvement de l’étude du Talmud), était particulièrement souriant et heureux. Ce n’était pas, pour lui, un exploit extraordinaire ; tout le monde savait qu’il avait déjà complété l’étude du Talmud des dizaines de fois, mais ce siyoum était différent. Ce cycle s’était clos grâce à l’étude faite durant les « temps morts » des mariages ; en étudiant systématiquement des petits passages, il termina tout le Chass.

Nous pouvons également utiliser les petits moments dont nous disposons pour atteindre un haut niveau d’étude.

Certaines personnes apprennent une michna par jour ; cela peut sembler insignifiant, mais au bout de quelques années d’étude régulière, elles terminent des sedarim (sessions d’étude) entiers de michnayot. Il existe un autre avantage à étudier de la sorte, par petites quantités : on peut ainsi explorer des domaines de la Thora auxquels on accorde généralement peu d’attention.

Un érudit en Erets Israël était réputé pour son expertise dans toutes les disciplines de la Thora, y compris le Navi, la hachkafa, le moussar, ainsi que pour sa connaissance de l’ensemble du Talmud et de la halakha…. On lui demanda comment il avait réussi à couvrir tant de sujets. Il expliqua qu’il s’était fixé plusieurs petits sedarim – il étudiait le Maharal, le Navi, etc. pendant dix minutes, quotidiennement. De même, le rav Israël Reisman chlita répète souvent que pour connaître le Navi, il ne faut pas y consacrer plusieurs heures par jour. Il est devenu expert en cette matière grâce à une étude de dix minutes, tous les soirs.

Nous avons à notre disposition plusieurs moyens d’étudier par courts sedarim – les livres comme Un jour Une halakha, Prier avec feu, etc. permettent aux  gens de s’instruire sur des sujets très importants, mesurément et quotidiennement.
 

Ainsi, chaque instant vécu est infiniment précieux. La vie est pleine de défis et l’on peut parfois se sentir découragé – mais si l’on se souvient qu’elle est, en soi, source de joie, on réussira à étouffer tout mauvais sentiment.

Quand le Alter de Novardok commença à fonder des yéchivot, il n’eut pas de succès. Il créait des yéchivot qui, par la suite, se sclérosaient, il formait des groupes et ceux-ci se scindaient. De plus, son opinion était controversée. Il alla voir son rav, le Alter de Kelm. Ce dernier remarqua sa mélancolie et en comprit la raison. Le motsaé Chabbat suivant, quand plusieurs personnes s’étaient rassemblées pour écouter son discours, il monta sur l’estrade et garda le silence pendant très longtemps. Puis, il tapa du poing sur son pupitre et s’écria : « Il suffit à un être vivant d’être en vie ! » Il répéta ces mots à maintes reprises, puis demanda à ses disciples de réciter la prière de Arvit. « Ce cours, dit le Alter de Novardok, dissipa ma tristesse et clarifia mes pensées » [6].

Le Alter de Kelm lui avait enseigné une leçon fondamentale — tant qu’une personne est en vie, elle n’a pas à se plaindre.

Puissions-nous tous apprécier le cadeau qu’est la vie et l’exploiter au maximum.



[1] Parachat Mattot, Bamidbar, 31:8.

[2] Sota 11a.

[3] Si’hot Moussar, Parachat Chemot, Maamar 29, Ocher Ha’Haïm, p. 123.

[4] Avot, 4:17.

[5] Si’hot Moussar, p. 125.

[6] Zaitchil, Étincelles de Moussar, p. 145-146.