Rachi, sur le premier verset de la Thora commente : Rabbi Its’hak dit : « N’aurait-il pas fallu inaugurer la Thora par le verset : "Ce mois sera pour vous…" qui est la première mitsva qu’Israël reçut ? Pourquoi commencer par "Beréchit…" ? … Ainsi, si les nations du monde disent à Israël : "Vous êtes des brigands, car vous avez conquis les terres des sept peuples", Israël pourra leur répondre : "Toute la terre appartient au Saint Béni soit-Il ; Il l’a créée et l’a donnée à qui bon lui semblait. C’est Lui qui voulut la leur donner et c’est Lui qui voulut la leur prendre et nous la transmettre." »

Rachi entame son œuvre colossale sur la Thora, en rapportant les propos de Rabbi Its’hak [1], qui affirme que la Thora aurait dû commencer par la première mitsva, celle de sanctifier le mois. Elle débute par l’histoire de la Création et relate les événements qui s’ensuivirent, afin de nous enseigner qu’Hachem a octroyé le droit au peuple juif de résider en Erets Israël. Les commentateurs demandent en quoi cette information est tellement importante, au point que l’ordre de la Thora s’en voit complètement modifié. [2] Le séfer Levouch Haora [3] répond que si le peuple juif avait véritablement volé Erets Israël, alors toute la Thora aurait été ébranlée, parce qu’elle contient des mitsvot interdisant le vol et la hassagat guevoul (empiéter sur le domaine d’autrui). Les nations auraient donc pu dire que les Juifs qui prétendent respecter la Thora n’appliquent pas ses lois, car ils ont volé la terre aux sept peuples cananéens.

Et si le peuple juif avait répondu qu’Hachem leur a permis de voler ce qui appartient aux non-juifs, cela aurait été d’autant plus problématique, car c’est la preuve qu’Hachem Lui-même, ne respecte pas, pour ainsi dire, Ses propres commandements — parmi lesquels, l’interdit de voler et d’empiéter sur le territoire d’autrui. Cela aurait entraîné un grand ‘hilloul Hachem (profanation du nom de D.) et aurait pu contredire tout le message véhiculé par la Thora. Rabbi Its’hak explique que la Thora avance cet argument, en affirmant qu’il n’y a ici aucun vol ; c’est Hachem qui a créé le monde entier et c’est Lui qui décide à qui appartient chaque terre. Il voulut que les nations y résident, puis Il décida de la leur retirer et de la donner au peuple juif.

Le Levouch Haora nous enseigne une leçon fondamentale à travers son commentaire. Le ‘hilloul Hachem est une faute si grave qu’il a fallu modifier tout l’ordre de la Thora pour en éviter l’éventualité. En effet, tout le but de la création était de générer un kidouch Hachem, une sanctification du nom de D., l’antithèse du ‘hilloul Hachem. C’est ce qui est écrit dans Pirké Avot (Maximes des Pères) : « Tout ce que le Saint Béni soit-Il créa dans ce monde, Il ne le fit que pour Son Honneur ». [4]

La michna nous montre que le but de nos vies doit être de grandir le Nom d’Hachem aux yeux du monde. [5] L’inverse exact serait de causer du ‘hilloul Hachem, c’est-à-dire d’agir d’une manière qui donnerait une image négative de la Thora ou du Créateur, ‘has vechalom. C’est la raison pour laquelle la Thora met un point d’honneur à faire valoir le droit donné par D. au peuple juif de conquérir Erets Israël. Elle commence par un message édifiant – de la même manière qu’Hachem est en parfait accord avec Sa Thora, nous devons faire attention à ce que nos actions soient en conformité avec les mitsvot de la Thora.



[1] Il s’agit, selon certains commentateurs, du père de Rachi, voir Sifté ‘Hakhamim, 1:1, s.v. Amar Rabbi Its’hak.

[2] Certains commentateurs comprennent Rachi au sens littéral, à savoir que la Thora n’aurait pas dû relater toutes les histoires de Beréchit et le début de Chemot, mais commencer directement par les mitsvot. Le Sifté ‘Hakhamim (s.v Deha) explique que la Thora veut en premier lieu nous apprendre les mitsvot et que ces histoires auraient dû être rapportées dans un autre Livre, comme celui des Prophètes. D’autres commentateurs pensent que Rabbi Its’hak ne voulait pas dire que ces événements n’ont pas leur place dans la Thora, mais qu’ils auraient dû être écrits plus tard (voir Na’halat Yaacov).

[3] Beréchit, 1:1. Écrit par rav Mordékhaï Yaffé zatsal, connu comme étant l’auteur du Levouch qui est un commentaire sur le Choul’han Aroukh.

[4] Pirké Avot, 6:11.

[5] Cela ne contredit pas le Messilat Yécharim qui affirme qu’Hachem nous a créés pour notre bien. C’est, pour cela qu’Il créa l’homme, bien qu’Il n’en avait absolument pas besoin. La michna dans Pirké Avot nous apprend comment atteindre le bien ultime – en honorant Hachem dans ce monde.