La Paracha énumère les lois de la Cacheroute et dresse la liste des animaux qu'il est interdit de manger. Le Sforno, avant même d’évoquer les lois de la Cacheroute, se penche sur le moment où ces Mitsvot ont été données. Avant la faute du veau d’or, il n’était pas nécessaire d’avoir un Michkan ou un Beth Hamikdach. Le but ultime du Michkan était principalement de servir de canal entre Hachem et le peuple juif. Mais, d’après Rachi[1] et le Sforno, ce ne fut le cas qu’après la faute du veau d’or. Auparavant (depuis le don de la Torah et jusqu’à la faute), le peuple était d’un niveau tellement élevé qu’il avait un lien direct avec Hachem, d’où le verset : « En tout endroit où Je ferai appeler Mon Nom, Je viendrai vers toi et Je te bénirai. » [2]  

Ainsi, peu importe où un Juif se trouvait, il pouvait bénéficier et ressentir la Présence divine. D’ailleurs, le verset affirme également : « Ils Me feront un sanctuaire et Je résiderai en eux. » Cela signifie que le Mikdach était en réalité à l’intérieur de chaque membre du peuple juif. Il n’y avait alors pas de nécessité de conduit ou d’intermédiaire pour lier chaque Juif à Hachem.

Le Sforno ajoute qu'à cette époque (entre le don de la Torah et la faute du veau d’or), les Juifs étaient d’un niveau si élevé qu’ils n’avaient pas besoin de l’apport spirituel, à savoir d’un régime strictement Cachère ; on pouvait goûter de tous les aliments. Mais dès la faute du veau d’or, la Chékhina se retira et le corps du Juif n’était plus au niveau de servir de lieu de résidence pour la Chékhina.

Moché pria et implora pour qu’Hachem accepte de refaire résider Sa Chékhina au sein du peuple. Mais depuis la faute, Hachem ne peut être présent que par l’intermédiaire du Michkan ou – plus tard – du Beth Hamikdach. Par ailleurs, le peuple juif est à un niveau plus bas, où la Chékhina ne peut plus résider directement sur un corps physique, mais il faut une base spirituelle avec des aliments purs, Cachères. Ainsi, le Sforno nous apprend que le concept de « nourriture Cachère » n’aurait jamais vu le jour si la faute du veau d’or n’avait pas été commise.

Le Sforno conclut que lorsque le Machia’h viendra, nous retournerons au niveau d’avant la faute du veau d’or et Hachem fera résider Sa Chékhina sur le peuple juif, sans intermédiaire. Le ’Hatam Sofer[3] ajoute que le Beth Hamikdach sera alors un lieu d’offrandes, de Korbanot. Il explique ainsi un enseignement de nos Sages, d’après lequel quand Yossef retrouva son frère Binyamin, la Torah raconte : « Il tomba sur les cous de Binyamin son frère et il pleura. Et Binyamin pleura à son cou. »[4] Pourquoi employer le pluriel pour parler du cou de Binyamin, alors qu’évidemment ce dernier n’en avait qu’un ? Rachi cite la Guémara[5] et explique qu’il s’agit d’une allusion aux deux Beth Hamikdach qui allaient être construits sur le territoire de Binyamin et qui allaient ensuite être détruits. Yossef vit, par inspiration divine, que le Beth Hamikdach serait détruit à deux reprises. Quant à Binyamin, il vit la destruction du Michkan Chilo (qui se trouvait sur le territoire d’Éphraïm, un fils de Yossef), d’où l’emploi du mot « cou » au singulier.

Pourquoi la Torah a-t-elle choisi de symboliser le Michkan ou le Beth Hamikdach par le cou ? Rav Daniel Glastein cite le ’Hatam Sofer et explique qu’anatomiquement, le cou fait le lien entre la tête et le reste du corps. Le cou n’est pas un organe en soi, il sert uniquement de support à la tête, et de conduit pour la lier au corps. Et qu’est-ce qui relie Hachem au peuple juif ? C’est le Beth Hamikdach, qui sert de canal pour faire monter nos prières au Ciel et aussi dans le sens inverse : les bienfaits et l’abondance qu’Hachem nous accorde passent également par le Beth Hamikdach. Il est donc comparé au cou.

Le Beth Hamikdach est le canal entre Hachem et le peuple juif. Quand Yossef pleura sur le cou de Binyamin, il se lamentait sur la perte de ce « conduit », tout comme Binyamin. Toutefois, le Sforno précise que la nécessité du Beth Hamikdach en tant qu'intermédiaire entre Hachem et le peuple juif n'est pas permanente. Notons aussi que selon le ’Hatam Sofer, le niveau sublime que nous atteindrons quand le Beth Hamikdach ne sera plus un « canal », mais un lieu de sacrifices, est appelé « Dag », poisson. D’ailleurs la tête du poisson fait partie intégrante de son corps, le poisson n’a pas de cou. Il symbolise donc le niveau que le peuple juif avait avant la faute du veau d’or et que nous atteindrons quand le Machia’h viendra.

Bien évidemment, en attendant ce jour tant désiré, nous devons utiliser les conduits nécessaires pour nous lier à Hachem, mais nous apprenons des enseignements du Sforno et du ’Hatam Sofer que notre but ultime doit être de nous lier directement à Hachem, sans avoir besoin d’intermédiaire.

 

[1] Rachi, Chémot 31,18.

[2] Chémot 20,21.

[3] Dérouchim Véagadot, ’Hatam Sofer, p.187.

[4] Béréchit 45,14.

[5] Méguila 16b.