L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.

Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.

Résumé de l’épisode précédent :

Le Rav Aboulkabat Halévy a été capturé par les hommes de main du mage de Pharaon Osmaarê. Le prince Ankhéfènie, qui dormait pourtant dans une pièce adjacente a échappé à l’opération secrète. Il ne s’est rendu compte de rien, compte-tenu de la discrétion des sbires de Pharaon. Après avoir perdu connaissance, le Rav Aboulkabat se réveille dans une geôle. Une personne pénètre dans la pièce. Il s’agit d’Eliakoum...

Cela faisait plusieurs semaines déjà que le jeune Eliakoum avait littéralement changé d’aspect. Ses longs cheveux ondulés et sa barbe hirsute avaient été rasés au profit d’une longue natte tressée à la façon égyptienne, et sa peau imberbe avait été rendue luisante par le maquillage local. Il était vêtu des habits des valets de la cour royale, mais cela n’empêcha pas son ancien mentor de le reconnaître au premier coup d’œil. 

Le Rav Aboulkabat était le maître du père d’Eliakoum. Enfant, le jeune Eliakoum accompagnait son père dans la tente des Lévites où se tenait la leçon quotidienne dispensée par le Rav ; mais, en grandissant, le jeune hébreu montrait de moins en moins d’intérêt pour l’étude, préférant les distractions des jeunes de son âge. Le Rav avait toujours un mot gentil pour Eliakoum, surtout lorsque son père décéda. Il sentit alors que quelque chose s’était brisé à l’intérieur du jeune homme. Il ne s’associait plus aux cours magistraux donné par le Rav le vendredi soir qui rassemblaient pourtant tout le peuple, il sortait sans son châle sur la tête, autant de signes qui en disait long sur son état intérieur. Le jeune hébreu était tiraillé, en prise aux questionnements, à la rébellion et il ne laissait personne le soulager des maux qui rongeait son cœur…

Le Rav sourit à la vue du jeune homme. Il ne put s’empêcher de retenir une pointe de tristesse face à son accoutrement.

Eliakoum avait le regard glacial. Il ne laissait transparaître aucune émotion. Sa mission était claire, il devait soutirer les informations au Rav afin de localiser Ankhéfènie.

« Je sais que le prince a séjourné chez vous », dit-il. « Je l’ai moi-même conduit chez vous. A présent nous voulons savoir où il se trouve ».

Il se tenait debout face au Rav qui était assis de l’autre côté de la table sur un tabouret de fortune. La chambre était étouffante, les petites trouées barricadées de métal qui servait à faire pénétrer le vent étaient trop insuffisantes pour aérer convenablement la pièce. Il faisait chaud et l’air manquait.

Le Rav se racla la voix.

« Eliakoum… mon fils… pourquoi… ? ». Le Rav n’arrivait pas à en dire plus. Ses doux yeux bleus se mirent à lâcher de fines larmes.

Eliakoum durcit le ton. 

« Mon cher, je ne vous demande pas de me faire la leçon, je veux savoir où est le prince. Si vous ne me le dites pas, les gardes de Pharaon se soucieront de vous faire parler. Moi je suis, comment dire... », il s’arrêta un instant afin de trouver la bonne expression, « la manière douce », finit-il par lâcher dans un ricanement arrogant.

Le Rav ferma les yeux. Il dit avec douceur : « Tu sais, un jour, ton père m’a dit “ Ephraïm, je suis sûr que mon fils fera de grandes choses, je le vois dans son âme…” »

Eliakoum fut pris d’une légère contorsion à la lèvre.

« Eh bien, il avait raison, voyez-vous, un vrai devin. Non mais regardez-vous un peu, avili et maussade, tout un peuple qui va droit à sa perte. Regardez un peu les gens ici, ils vivent bien, légers et heureux…Je croyais que nous vivions pour un idéal, mais il n’existe que dans votre imagination, Rav Aboulkabat ! »

« Crois-tu que les gens ici sont heureux, Eliakoum ? », demanda le Rav.

« Absolument ! Je les vois, je vis avec eux, ils sont heureux.

Saurais tu définir leur bonheur ?

Oui… ils… ils mangent des mets délicieux, ils écoutent de belles musiques, les femmes sont belles et surtout, ils ne se soucient pas constamment de l’aspect moral des choses : est-ce bien de faire telle ou telle chose ? Ils le font sans réfléchir un point c’est tout !

Crois-tu que s’ils étaient dans notre situation, ils seraient toujours aussi heureux ? » Le Rav savait bien où il voulait conduire son interlocuteur.

Le jeune Eliakoum, intrigué par la question, laissa un instant sa mission de côté.

« Euh… je ne sais pas… Peut-être que non », répondit-il les sourcils froncés. « Mais quel rapport ? »

C’est le Rav qui regardait à présent son geôlier droit dans les yeux. « Le rapport est que ce peuple dont tu t'enorgueillis ne doit son bonheur qu’aux plaisirs matériels qui l’entourent, un bonheur éphémère qui est dépendant de l’instant d’extase dû au plaisir consommé, mais une fois l’amusement consumé, il laisse un vide qui à nouveau exige d’être assouvi. Ainsi, ils vont de divertissement en divertissement, camouflant ainsi le vide de leurs âmes perdues. Quant à nous, nous n’avons nullement besoin de mets délicieux, ni de musique, ni de femmes pour être heureux. Notre bonheur ne dépend aucunement de cela… Nous nous délectons des plaisirs de l’âme, de la sensibilité de l’esprit, de la noblesse du caractère ainsi que de sa maîtrise, notre bien-être est immuable et illimité… Un bonheur qui prend sa source dans la bonté infinie de la proximité divine ».

« Comment pouvez-vous parler de bonté divine ? Regardez comment vous êtes traités, regardez où vous a conduit cette bonté dont vous parlez ?! » Sa voix trahissait une pointe de peine à présent.

« La bonté divine est un fait qu’il nous est donné de démontrer et de savoir. Le fait que nos yeux limités ne la palpent pas concrètement n’est pas une raison rationnelle pour la remettre en question, car si nous connaissions les causes de cette terrible épreuve, nous saurions alors que le dessein intégral est lui aussi bon ».

« Si l’on me dit que D.ieu est bon et que je perçois de Lui du mal, j’en conclus qu’on m’a induit en erreur ! », argumenta Eliakoum.

« Non, Eliakoum, car tu ne peux dire percevoir de Lui du mal, que si tu te places sous le même angle de vue ultime que Lui. Or, tu ne saurais comprendre les réalités cachées qui ont trait à ta personne ou au peuple entier. »

« Alors, comment savoir qu’Il est bon ? », demanda-t-il, troublé. 

« Par l’étude. La prophéties transmise depuis Adam, le premier homme, en passant par Avraham, mais aussi la philosophie, la logique, la démonstration et bien d’autres moyens encore qui sont des gages objectifs de vérité. Ton père avait l’habitude de dire : “ Qu’on ne remet pas en question la réalité du jour si on ne voit pas la lumière, on cherche à comprendre pourquoi on ne la voit pas aujourd’hui… ” ».

Il soupira tête baissé. Après un instant, il se reprit. 

« J’ai fait mon choix, cher Rav. A présent, dites-moi où se trouve le prince ». Sa voix avait de nouveau repris son aplomb.

Le Rav se sentait désarmé face au jeune homme. Il comprenait que le changement ne pourrait venir que de lui-même.

« Eliakoum, je ne te révèlerai pas où se trouve le prince Ankhéfènie. J’ai donné ma parole et je ne la trahirais pour rien au monde », dit-il d’un ton ferme.

« Très bien, Rav Aboulkabat » dit-il. « Gardes ! » cria-t-il.

Dans un énième essai, il murmura, pressant : « Rav Aboulkabat, il n’est pas trop tard : dites-moi où se trouve le prince. Les égyptiens peuvent se montrer très cruels, surtout lorsqu’il s’agit des intérêts royaux ».

« Eliakoum », dit le Rav d’une voix claire. « Ma vie vaut-elle plus que la profanation du Nom divin ? » 

Mais à peine eut-il achevé sa phrase que deux hommes pénétrèrent dans la pièce de détention. Le visage masqué, d’un pas décidé, ils levèrent le Rav par les épaules et le conduisirent dans une des salles d’interrogatoire…

Puis ils partirent d’un pas décidé, laissant le jeune hébreu seul, déchiré par les remords d’une conduite qu’il aurait voulu ne jamais avoir empruntée.