Le roman “Frankenstein” de Mary Shelley, devenu un best-seller universel, est né à Genève, en 1816, sur les rives du Léman, un soir d’été où, étonnamment, une pluie battante allait forcer les résidents de la villa Diodati à rester enfermés.
On s’ennuie, on pianote, on lit, on bâille.
Lord Byron, le grand poète, qui faisait partie du voyage, n’y tenant plus face à cette morosité, lance un : « We will each write a ghost story ! – Nous allons chacun écrire une histoire de fantômes ! »
Comme nous sommes chez des Anglais, friands de ce genre de sujets, chacun court s’enfermer dans sa chambre et s’active à sa plume.
De cette nuit orageuse, naîtront deux monstres promis à la postérité : Frankenstein et Dracula.
Mais attention à la confusion : on a souvent, à tort, donné le nom de Frankenstein à la créature, alors qu’il s’agit bien du nom du docteur, celui qui l’a fait surgir du néant.
Un autre invité présent lors de cette rencontre d’intellectuels désœuvrés, John Polidori, entamera cette même nuit de mi-juin l’écriture de The Vampyre, l’ancêtre de Dracula.
Qui aurait cru que la langueur de la paisible Suisse engendrerait de telles étrangetés...
Le thème de Frankenstein nous interpelle à tous les niveaux.
Car dans la trame du roman, ce docteur en biologie, exalté et marginal, qui réussit à reconstituer un être humain à partir de membres de cadavres et à lui donner la vie, soulève la lourde question de l’usurpation par l’homme des pouvoirs de D.ieu.
L’acte créateur est ici volé par un scientifique qui croit maîtriser la vie, mais à qui soudain les rênes échappent.
L’apprenti-créateur, terrorisé par le résultat de ses propres expériences, confronté à la monstruosité qu’il a lui-même engendrée, abandonne lâchement sa créature, livrée dorénavant à elle-même. Celle-ci deviendra alors violente et assoiffée de vengeance.
Shelley, femme de lettres, aurait-elle pressenti que cette pente est dangereuse et ne peut mener qu’à une catastrophe ? Car c’est bien ce que son roman semble suggérer.
N’oublions pas que nous sommes en 1816, à une époque où la Science commence à se targuer de répondre à la grande question du « comment et pourquoi la vie a-t-elle commencé » et cherche avec conviction la réponse dans ses éprouvettes.
Le thème biblique de la création de l’homme par D.ieu est en train de glisser subrepticement vers celui d’une création de l’homme par un autre homme. Le professeur Victor Frankenstein de Mary Shelley apparaît comme l'incarnation de cette conception.
Soit dit en passant, la mystique juive avait déjà traité le sujet (comme d’habitude…) bien avant Shelley.
Le Golem de Prague, qui selon de très crédibles témoignages aurait réellement existé, l’aurait d’ailleurs inspirée.
Mais dans la version juive, comme par hasard, on ne joue pas aveuglément avec les formules : des érudits (comme le Maharal de Prague) versés dans la Kabbale et craignant D.ieu, conscients de leurs limites, fabriquent en toute connaissance de cause, une entité, capable de protéger et de sauver des hommes.
C'est quand même tout à fait autre chose…






