On connaît tous les images de l’un des premiers films d’épouvante, Nosferatu, le Vampire, réalisé par Murnau en 1922.
L’horrible créature, chauve et aux ongles démesurés, toute de noir vêtue, débarque d’un trois-mâts dans un port, avec sous le bras un cercueil infesté de rats. Ils vont propager la peste à travers la ville.

C’est à peu près ce qui s’est passé le 25 mai 1720, alors que le Grand-Saint-Antoine accoste dans le port de Marseille avec un passager clandestin venu de Syrie : le bacille de la peste !
À bord, une dizaine de personnes ont déjà succombé au mal.
Les médecins du port prennent l'affaire avec détachement et décident une quarantaine en « douce », de gros intérêts financiers sur la marchandise étant en jeu.
Les marins descendent du bateau et sont bien enfermés dans un dispensaire, mais leurs ballots de linge sale sont négligemment confiés à des lavandières...
Le 20 juin, l’une d’elles meurt après quelques jours d'agonie sans que quiconque ne tire de conclusions, malgré les symptômes évidents.
C'est seulement le 9 juillet, après d’autres décès, que deux médecins venus au chevet d'un adolescent donnent enfin l'alerte. La peste !
L'épidémie va bientôt faire un millier de morts par jour dans la ville. Le chevalier Roze libère des bagnards et, avec eux, incinère les cadavres qui, par milliers, pourrissent dans les rues. Tâche indispensable et ô combien dangereuse !
Sur 200 forçats, 12 sont encore en vie cinq jours plus tard.
En deux mois, Marseille va perdre la moitié de ses 100 000 habitants et la peste va tuer dans l'ensemble de la région pas moins de 220 000 personnes…

Devant le désastre, on cherche les coupables.
Comme d’habitude, quand ça va mal, le regard se tourne vers les Juifs. Les rumeurs vont vite : ne sont-ils pas pour la plupart des commerçants ?
Les Juifs d’Avignon, alors que l’épidémie gagne du terrain en Provence, sont triplement confinés : dans leur demeure, dans leur ghetto et dans les nouvelles limites mises autour de la ville, avec interdiction de les franchir.
La peste ravage la région et la communauté juive va être confrontée à des souffrances tant physiques que morales.
Les hôpitaux débordent, et à celui de la Charité, des prêtres dominicains se rendent au chevet des malades en phase terminale et s’empressent de baptiser les agonisants juifs à la hâte, sans leur consentement.
Conversions « in extremis » à la religion de l’amour et du bien.

En période de crise, les Juifs subissent à la fois les ravages de la maladie et les persécutions religieuses.
Des lettres de l’époque envoyées par les Juifs d’Avignon à leurs coreligionnaires de Livourne (les notables de la ville italienne avaient intelligemment interdit l'accostage du Saint-Antoine en leur port, ayant appris qu’il y avait eu des morts à son bord), révèlent les demandes pressantes de leur venir en aide.
Les Juifs livournais s’empresseront de répondre à leurs frères dans la tourmente, les aidant généreusement, à la fois matériellement et moralement.








