Le 26 juillet 1956, le président égyptien Gamal Abdel Nasser, soutenu par l’Union soviétique, annonce à la foule réunie Place Manshiyya à Alexandrie sa décision de nationaliser le canal de Suez, ainsi que les biens de la compagnie, appartenant alors à une société d’intérêts franco-britanniques.

Il accompagne sa déclaration d’un éclat de rire retentissant, retransmis en direct par les radios du monde arabe.

“Mort sur le Nil”

Cette date et ce discours marquent la fin de la florissante communauté juive d’Égypte. 

Installée au bord du Nil depuis des siècles – on parle même d’une présence juive en Égypte dès l’époque de la destruction du Premier Temple – sa population se trouva accrue par l’arrivée de Juifs séfarades après l’Inquisition, de Juifs levantins à l’époque ottomane, et de nombreux Juifs ashkénazes au XIXème siècle. 

Cette fantastique mosaïque des nationalités les plus diverses, entretenait des relations conviviales et pacifiques avec ses voisins arabes, coptes, chrétiens et musulmans.

Les Juifs égyptiens, multi-talented, raffinés, instruits, de tempérament conciliant, diplomates-nés, travailleurs et consciencieux à l'extrême, maîtrisaient plusieurs langues, ce qui leur permit de jouer un rôle majeur dans l’économie, les arts, les professions libérales et le commerce international de l’Égypte.

On comptait parmi eux des banquiers, des médecins réputés, des éditeurs, des commerçants influents, des artistes…

“Mort sur le Nil”

En réaction au discours de Nasser ce 26 juillet, la France et le Royaume-Uni cherchent un allié régional pour mener une attaque visant à reprendre le contrôle du canal. Le jeune État hébreu s’unit à eux, et ce triumvirat lance l’opération militaire franco-britanno-israélienne de Suez, qui s'avèrera être un succès tactique mais un échec politique.

Car sous la pression des États-Unis et de l’URSS, les trois pays doivent bientôt suspendre leur offensive, les deux superpuissances craignant pour leurs intérêts économiques dans la région.

La réaction égyptienne à la crise de Suez se traduira par une politique intérieure de répression féroce contre les Juifs, perçus comme une cinquième colonne, infiltrés à la solde de l’ennemi. Le sort de la communauté est alors scellé : passeports confisqués, expulsions massives, biens saisis. Sur les ordres de Nasser, il est exigé que les Juifs quittent le pays « sans rien prendre ». 

Abandonnant biens, appartements, commerces, souvenirs, et parfois même des proches, c'est l’exode vers l’Europe – principalement la France, l’Italie et la Suisse. 

Quelques échantillons du talent hors norme des Juifs égyptiens ?

Edmond Jabès, poète et écrivain, Georges Moustaki, qui grandit à Alexandrie et deviendra qui l’on sait, Benny Lévy, né au Caire, penseur et philosophe, secrétaire de Jean-Paul Sartre, qui épousera plus tard le judaïsme authentique et se consacrera à l'étude des Textes Saints.

“Mort sur le Nil”“Mort sur le Nil”

 

La dispersion des Juifs d’Égypte a donné naissance à une diaspora brillante, cultivée et profondément marquée par la nostalgie d’un âge d’or cosmopolite, brutalement interrompu.

Sur les 80 000 Juifs qui composaient la communauté jusque dans les années 50, moins de vingt vivent encore aujourd’hui en Égypte, tous très âgés.

Le pays du Nil, virant vers le nationalisme radical, aura  choisi ce qu’il pensait être son indépendance, perdant dans la volée, ses plus beaux diamants.  

“Mort sur le Nil”