Il y a dans le centre de l’Italie, dans une région vallonnée, bénie de lumière et d’abondance, une des plus belles synagogues d’Europe.
Je l’ai visitée il y a deux mois.
Ses mosaïques, son autel central, ses boiseries, ses voûtes immenses, ses vitraux, ses lustres lourds et ciselés en font une merveille architecturale.
Mais.
Le lieu est mort.
Comme si quelque chose ou quelqu’un l’avait figée, lui interdisant de sortir de son beau paraître.
À cette synagogue aujourd’hui agonisante, on a dû dire : « Voilà ! Tu dois rester sage, immobile, tu dois prendre la pose quand on vient te visiter, te taire, faire bonne figure, pour représenter à jamais notre gloire passée. »
Et la pauvre chérie, elle l’a cru.
Elle a cru sottement, naïvement, innocemment qu’en ne bougeant pas, dans son inertie, elle conserverait à jamais son charme d’enfant et continuerait à plaire à ses mauvais conseillers.
Elle réveille, en la visitant, la même tristesse que l’on peut ressentir devant une femme qui aurait vieilli, sans époux, sans amour, sans passion, qui fut belle jadis, mais à qui quelqu’un aurait recommandé de rester ainsi et de traverser les années sans se mouvoir, pour ne pas abîmer sa beauté.

La synagogue en question est devenue, sans s’en rendre compte, un musée — quoi de pire !
Et comble de l’absurde, ne s’en rendant pas compte, elle a cru bon ouvrir, dans une de ses pièces adjacentes, un « museo della sinagoga » exposant, derrière ses vitrines, d’anciens manteaux entourant les parchemins, des tentures, des objets de culte en argent.
Le Musée qui recèle un musée.
Combien de poussière et de reliques cela fait !

Je ne citerai pas son nom, par respect pour les sifrei Torah qu’elle renferme, mais on a envie de dire, de crier, dans la solitude de son parvis astiqué, dont certainement les derniers fidèles sont fiers :
« Allô ??? Y’a quelqu’un ? Y’a un rabbin ? Y’a un… juif ? Y’a… un écho ? »
De cette visite à la synagogue des âmes perdues, je suis sortie mélancolique.
Avec qui allez-vous parler ? À qui allez-vous expliquer qu’ils se trompent grandement dans leur conception du judaïsme, et ce depuis des décennies ?
Que ce n’est pas ainsi qu’on conserve sa jeunesse, mais c'est ainsi qu’on la fait fuir.
À qui ?
Aux notables, si fiers d’eux et de leur meravigliosa sinagoga, que leurs propres enfants et petits-enfants ne fréquentent plus, parce qu’elle n’évoque rien, déconnectée du présent, exsangue, entubée, sous respiration artificielle ?
« Mais non, mais non », certains me rétorqueront, « on s’y marie encore, et elle se pare alors de ses plus beaux atours. »
Je reste sur ma faim.
Elle s’enveloppe alors d’un voile défraîchi qui “embaume” la naphtaline.
Et elle reste silencieuse, sombre, pleine de retenue et de façons, mal à l'aise dans ses escarpins démodés.
Alors, comment ne pas rater son judaïsme ?
Facile.
C’est faire exactement le contraire de la splendida sinagoga di…
À savoir : ne pas transmettre à nos enfants un musée poussiéreux, qu’ils fuiront dès l’adolescence, mais un judaïsme vibrant, de son temps, avec des réponses, mais n’ayant toutefois pas peur des questions, un judaïsme intelligent (il l’est par essence, il faut juste faire attention de ne pas le trahir), fier, jamais embourbé dans son passé mais y puisant sa sève, ni rigide, ni sclérosé et capable d’accueillir les changements d’époque.
La Torah, par essence, est la modernité même.
Mon D.ieu… en faire un musée !
Quel désastre.





