Mais que représente cette statue en bronze d’un rabbin en barbe et chapeau, portant dans son dos une paire d’ailes et chevauchant avec bonheur une Harley Davidson ?
Elle trône au centre de la ville de Péta’h Tikva, sur l’un de ses principaux boulevards, Rehov Haïm Ozer.


Nous avons tous été bercés par l’image du pionnier juif – ‘Halouts – , en short kaki, la mèche rebelle, coiffé d’un bob israélien, qui, sourire aux lèvres, assainit les marais, plante des tomates, cueille les oranges, bref, construit le pays.

Le Rabbin en Harley… avec des ailesLe Rabbin en Harley… avec des ailes

Ce sont eux, assignés au travail harassant du labourage des champs et de l’irrigation du désert, qui ont forgé l’image du « Sabra » – à traduire par figue de barbarie –, doux dedans et fort dehors, comme le fruit du cactus auquel ils doivent leur nom.
Ces jeunes gens faisaient partie du mouvement Bilou, qui débuta dans les années 1880, fréquenté principalement par des étudiants juifs russes et ukrainiens motivés par un idéalisme sioniste laïc.
Mais ce mouvement ne représente qu’une facette très spécifique de ceux qui œuvrèrent à l’établissement du pays, alors qu’un autre pan du renouveau d'Israël reste méconnu : celui des pionniers religieux, hommes et femmes attachés à la Torah, qui furent tout aussi actifs à la fondation de l’État juif.
Car il faut le savoir, l’image d’un sionisme exclusivement laïc est partielle et… partiale.
Une large partie de la construction d’Israël repose sur l’action de Juifs orthodoxes, motivés par la Torah, le respect des Mitsvot et l’amour de la Terre Sainte.
Cet aspect de l’histoire de la jeune Israël naissante, souvent ignoré, mérite enfin une reconnaissance.

Lorsque les bâtisseurs étaient Froum

L’historien Moché Na’hmani, spécialiste du peuplement juif en Erets Israël, nous rappelle que vers la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème, plusieurs centaines de disciples du Gaon de Vilna feront leur Alyah depuis l’Europe de l’Est. 

Leur objectif : peupler la Terre Sainte, réaliser concrètement le rêve du retour à Sion et mettre en place une infrastructure répondant aux besoins spirituels des futurs émigrants, comme des maisons d’étude, Talmudé Torah et synagogues.
Ces groupes, composés principalement de Lituaniens mais aussi de 'Hassidim, s’installeront à Tsfat, Tibériade, ‘Hévron, puis à Jérusalem.

Le Rabbin en Harley… avec des ailesLe Rabbin en Harley… avec des ailes

Un siècle plus tard, on retrouve cette même fibre spirituelle chez les fondateurs des premières colonies juives modernes.

Ainsi, la ville de Peta’h Tikva, érigée en 1878, est le fait de jeunes hommes religieux comme Yéhochoua Stampfer (1852-1908), Yoël Moché Salomon (1838-1912) et Zerah Barnet (1831-1890).

Le Rabbin en Harley… avec des ailesLe Rabbin en Harley… avec des ailesLe Rabbin en Harley… avec des ailes

Tous ces noms sont familiers à l’oreille des habitants du pays : ils rappellent un quartier, une rue, un carrefour, une sortie d’autoroute, que l’on désigne sans savoir que ceux qu’ils désignent étaient des érudits, arborant Talith Katan et amoureux de leur pays…

Tous étaient des bénévoles engagés, issus du monde des Yéchivot, qui ne rechignaient pas à labourer eux-mêmes la terre. Barnet, très actif à Jérusalem puis à Tel-Aviv, laissera dans son testament des recommandations claires : “…construire le pays dans la pureté de la Torah et soutenir les institutions religieuses.”

Le Rabbin en Harley… avec des ailesLe Rabbin en Harley… avec des ailes

Rappelons, s’il en est besoin, que ces terres furent achetées en bonne et due forme par de riches philanthropes juifs, principalement Montefiore et Rothschild, aux autorités ottomanes et à des propriétaires arabes, syriens et libanais, heureux de faire la transaction à très bon prix. 

Tel Aviv, la pieuse… ?

Le professeur Na’hmani a mené une étude minutieuse sur les fondateurs de Tel-Aviv et révèle que plus de la moitié d’entre eux étaient religieux.
Pourtant, cette réalité est largement absente des manuels d’histoire. Selon lui, cela s’explique par l’évolution postérieure du paysage social : au début, il y avait les Juifs pratiquants et ceux qui ne l’étaient pas, ces derniers restaient cependant encore très respectueux de la tradition.
Avec le temps, l’un des camps, idéologiquement orienté, a trouvé un intérêt à écarter les figures de l’autre bord, pour mieux affirmer sa propre identité, réécrire l’histoire du Yichouv à sa convenance, en donnant au jeune pays la direction qu’il pensait la bonne et la seule envisageable.


Mais les figures de Salomon, Stampfer, Barnet, Rokah, Pins et bien d’autres méritent de retrouver leur place dans le récit national. Car si la renaissance d’Israël est un miracle, elle fut aussi le fruit du labeur de nombreux croyants qui, à la sueur de leur front, ont bâti le pays sur les fondations de la Torah.

Le Rabbin en Harley… avec des ailesLe Rabbin en Harley… avec des ailesLe Rabbin en Harley… avec des ailes

Après une journée entière passée au labourage et aux moissons sur la Terre sainte, on se retrouvait devant une Guémara, reliant ainsi l’étude à la concrétisation tangible de notre présence en Erets Israël.


Le chansonnier israélien a été inspiré par ces personnages hauts en couleur, cow-boys héroïques, protégeant, fusil à la main, leur village et leur famille, chauffant leur café dans un findjan sur un feu de bois, tout en demeurant fidèles à leur tradition et méticuleux dans le respect des Mitsvot.

Si la statue du Rabbi Yoël Salomon a été représentée chevauchant une Harley Davidson, c’est pour souligner la jeunesse éternelle du personnage, qui transcende les générations, idéaliste, spirituel, lancé à toute allure vers son rêve.

Mais, et ne l’oublions pas, l’homme et ses compagnons, respectueux à la lettre des commandements de la Torah, étaient portés par les ailes de la Kédoucha… et par elles seulement !

Le Rabbin en Harley… avec des ailesLe Rabbin en Harley… avec des ailes

Une « Mamie Nazie » : Ursula Haverbecka