Savez-vous ce qui nous désespère ?
Notre incapacité à isoler le moment présent et à le kiffer.
Et savez-vous d’où viennent les bruits de fond qui nous distraient de tous les plaisirs simples de la vie, comme manger un morceau de pain frais, le mâcher, laisser nos papilles absorber ses substances et sentir la faim s’apaiser ?

Car le présent est délicieusement bon, et si nous parvenions à faire taire ce brouhaha de doutes, d'inquiétudes, de regrets et de craintes qui nous habitent, il nous offrirait en effet tout ce dont nous avons besoin.

Le coupable de tous nos malheurs, de notre impossibilité de vivre bien, c’est la « connaissance », le fameux daat en hébreu, logé effectivement dans le cerveau mais n’ayant rien à voir avec l’intelligence et les fonctions cognitives.

C'est ce fruit qu’Ève et Adam ont mangé au Jardin d’Éden qui dorénavant va nous distraire des délices de l’instant présent, alors que D.ieu nous offrait un « maintenant » sublime, qui remplissait tous nos besoins et nous permettait d’apprécier de façon optimale les choses de la vie.


Avant d’avoir mis le pied par terre, avant même d’avoir prononcé le modé ani du matin, la journée qui s’ouvre m’assaille déjà et mon daat, ouvert à tous les courants d’air, commence à écrire les scénarios catastrophes qui m’attendent, alors qu’objectivement, les données sont plutôt bonnes si je regarde cela à tête froide.

Rien de vraiment insurmontable, contrairement à ce qu'on veut veut me faire croire, rien de vraiment désespérant, alors qu’il s’acharne à tout noircir.

À peine le petit jour est-il né — et il pourrait tout aussi bien renfermer une quantité de joie et de bonheur non négligeable — que le daat m’assaille, et veut m’obliger à acheter ses sinistres pronostics. C’est son job. Tombera, tombera pas : chaque jour, le fruit défendu m’est offert. Mangera, mangera pas.

Pour le neutraliser, il faut se concentrer, faire taire son imagination, régler ses boussoles sur ce qui se passe dans la réalité et ne rien anticiper. 

Nos grands-mères connaissaient cette sagesse du présent sans l’énoncer.
Elles cousaient, cuisinaient, priaient, traversaient les tempêtes sans discours théoriques, et vivaient au présent, non parce qu’elles ignoraient l’avenir ou oubliaient le passé à cause d’une mémoire trébuchante, mais parce qu’elles savaient que nous ne pourrons jamais refaire l’histoire, ni orchestrer la Providence.

Miroir, miroir - Valse au Présent

À la recherche du Temps Présent…

Mais, me direz-vous, le passé possède sa beauté. Il porte des histoires, des souvenirs, parfois même les braises encore chaudes des bienfaits de l’expérience.
En effet, mais il n’enfante rien par lui-même.

Dès qu’on y retourne trop longtemps, il se décompose et exhale une odeur moite, de pot-pourri. Il peut devenir alors mélancolie stérile, refuge commode de rumination, où l’on se complaît au lieu d’agir.

Miroir, miroir - Valse au Présent

Quant au futur, il permet d’espérer, il enclenche un mouvement, une dynamique…
Mais lui non plus n’a pas d’existence propre: il appartient à l’imaginaire, au probable. On peut facilement s’y enfuir, entretenant des espoirs vains, bâtissant des projets, oubliant qu’il n’a sa raison d’être que comme carburant, comme café noir pour le réveil du matin.

La seule scène sur laquelle l’homme est réellement convoqué, où il est jugé, où il est façonné, c’est le maintenant.
C’est ici que le croyant se révèle : dans sa manière de gérer ce qui se passe à l’instant, de le savoir voulu par l’Éternel et de l’accepter comme tel.


L’homme du présent, c’est Yossef, encore lui, le bel adolescent chouchouté et haï! Combien de leçons cet homme nous enseigne-t-il.
Arraché à son foyer, vendu, humilié, oublié puis intronisé, jamais il ne vit dans la rancune, jamais il ne redemande son enfance volée.

Il ne construit pas sa personnalité sur ce qu’on lui a fait, mais sur ce qu’il peut faire ici et maintenant. Quand ses frères se présentent à lui, il ne les convoque pas au tribunal du passé, il les accueille dans le réel : tout est pour le bien.

Le croyant est testé exactement là, sur sa capacité à rester relié, concrètement, palpablement, à Celui qui se révèle dans l’instant et qui dicte la réalité.

Facile à dire…
Essayez maintenant. 

Une frustration, une contrariété, une tristesse vous envahit.
Observez-les : elles surgissent toujours d’une mémoire qui rumine ou d’une attente déçue.

Fermez-leur les volets. Respirez.
Et enfin, vivez !