À la fin de la Parachat Ki Tetsé, la Torah nous ordonne de nous souvenir de l'attaque d'Amalek contre le peuple juif, à notre sortie d’Égypte. Cette Mitsva s'accomplit par la lecture (dans le Séfer Torah) de la partie qui nous enjoint de se souvenir. Vers la fin de ce passage, nous avons l’ordre d'effacer la mémoire d'Amalek – c’est-à-dire qu’il nous faut détruire tout adulte, enfant et animal d'Amalek.[1] Comment comprendre l’injonction de détruire une nation entière ?

Cette Mitsva a d’ailleurs troublé le vertueux roi Chaoul. Il reçut l’ordre d’anéantir le peuple d’Amalek et ne l’exécuta pas complètement. Essayons de comprendre son erreur, cela nous aidera à répondre à la question posée. Sur ordre d’Hachem, le prophète Chmouel enjoignit à Chaoul de détruire toute la nation, y compris les femmes, les enfants et les animaux. Chaoul fut victorieux lors de sa bataille contre le peuple d’Amalek, il tua tout le monde à l’exception du roi Agag et de quelques animaux.[2] La Guémara explique la réticence de Chaoul à tuer tous les membres du peuple d’Amalek. Chaoul fit un raisonnement a fortiori, à propos de la cérémonie de la Egla Aroufa (après la mort d’une personne entre deux villes) ; la Torah montre sa préoccupation face à la mort d’un seul individu et met l’accent sur la valeur de la vie humaine.[3] Chaoul se dit que si une seule vie humaine a tant de valeur, à plus forte raison, la vie des membres de toute une nation.[4] La Guémara affirme qu’à la suite de ce raisonnement « miséricordieux » de Chaoul, une voix céleste se fit entendre et dit : « Ne sois pas trop juste ! » [5] Par la suite, quand Chaoul poursuivit le roi David qu’il estimait menaçant pour sa royauté, ce dernier se réfugia auprès d’un groupe de Cohanim qui vivaient dans la ville de Nov. Ignorant l’inimitié de Chaoul vis-à-vis de David, ils le nourrirent et lui fournirent une épée[6]. Quand Chaoul entendit cela, il ordonna de tuer tous les habitants de la ville. À ce moment-là, une autre voix céleste dit : « Ne sois pas trop vil.»

Le Midrach fait une observation déroutante reliant ces deux incidents : « Quiconque est miséricordieux dans une situation où il devrait être cruel, finalement, il sera cruel dans une situation où il aurait dû être miséricordieux.[7] Le Midrach estime qu’il est inévitable d’en arriver à être cruel si l’individu est préalablement injustement miséricordieux. Pourquoi ? Rav Its’hak Berkowitz explique l’erreur de Chaoul ; il fit passer ses émotions avant les commandements de la Torah.[8] Par conséquent, dès lors que son sens naturel de la justice était en contradiction avec l'ordre de tuer des enfants, il opta pour obéir à ses émotions plutôt que de s’en détacher pour accomplir la parole d'Hachem. Et, dans une autre situation, ses émotions lui ont communiqué un message très différent ; il considérait que David était une menace pour toute sa famille, et estima donc que quiconque aidait David était également une menace pour sa famille et devait être tué. Là aussi, il plaça ses émotions avant les instructions de la Torah et ordonna le meurtre cruel de personnes innocentes. Nous comprenons à présent le lien inéluctable entre la pitié mal placée de Chaoul et sa cruauté inappropriée. Celui qui suit ses émotions « de pitié » se place au gré de ses sentiments et non de la moralité définie par la Torah. Il sera donc inévitable qu'à une autre occasion, ses émotions le mènent vers la direction opposée, à savoir vers une cruauté injuste.

Finalement, le prophète Chmouel tua personnellement Agag, le roi d’Amalek. Le Ralbag souligne un fait intéressant dans cet incident. Chmouel fit amener Agag enchaîné devant lui. Quand Agag vit le vertueux prophète, il s'exclama : « Sar Mar Hamaveth – l’amertume de la mort a disparu ».[9] En voyant Chmouel, il vit sa bonté et sa miséricorde, et il présuma que celui-ci aurait pitié de lui et lui laisserait la vie sauve. Mais Chmouel le corrigea immédiatement, lui disant qu’il méritait de mourir, et le tuant par la suite. Chmouel était un homme miséricordieux, parce que la Torah nous enjoint de faire preuve de bonté et de pitié. Mais à cette occasion, Chmouel savait que la miséricorde était inappropriée et dans ce cas, le meurtre « cruel » correspondait à la ligne de conduite morale, parce que telle était la volonté d’Hachem.

Nous ne pouvons pas définir la moralité en fonction de nos propres sentiments et croyances subjectifs. Si l’on tombe dans ce piège, on risque de justifier toutes sortes de mauvaises actions. C’est la tendance du monde laïque ; les gens ne croient pas en une moralité objective et ils se sentent libres de définir le « meurtre », par exemple. Ainsi, ils estiment que le fait de mettre la fin à une vie embryonnaire ou à des malades en phase terminale est un acte admissible. Toutes les tentatives humaines de définir la moralité sont sujettes à de terribles abus. La seule façon valable de définir la moralité est de suivre les directives de la Torah. En effet, la moralité, comme tout autre concept, a été créée et définie par Hachem. D’ailleurs, même si une personne a du mal à comprendre la nature morale d'une Mitsva de la Torah, cela ne signifie pas que la Mitsva est immorale, mais plutôt que l’individu suit ses propres émotions et inclinations naturelles. La Torah encourage l'expression des émotions, mais uniquement après les avoir canalisées et les avoir considérées à travers le prisme de la Torah.

Nous comprenons à présent que si Hachem nous ordonne de détruire une nation entière, c’est la preuve que telle est la ligne de conduite morale. Et en analysant ce que représente Amalek, il n'est pas difficile de le comprendre.[10] Mais il reste important, voire fondamental, de savoir que la conception de la Torah sur la moralité est la seule valable. 

[1] De nos jours, il est impossible d’accomplir cette Mitsva, parce que nous ne pouvons pas identifier réellement les membres du peuple d’Amalek (Min’hat ’Hinoukh, Mitsva 604).

[2] Chmouel I, Ch.15.

[3] Parachat Choftim 21,1-9.

[4] Yoma, 22b. 

[5] Kohélet, Ch.7.

[6] Chmouel I, Ch.21.

[7] Kohélet Raba 7,33. Midrach Tan’houma, Metsora.

[8] Inutile de préciser que le roi Chaoul était un grand Tsadik et que les failles des illustres personnages rapportés dans la Torah sont amplifiées pour que nous puissions nous identifier à eux.

[9] Chmouel I 15,32.

[10] Assimilons le peuple d’Amalek aux nazis (de mémoire maudite) et nous trouverons l’ordre de les détruire beaucoup plus compréhensible.