La pratique des commandements de la Torah a toujours été la marque distinctive du peuple juif. De tous temps, les Juifs furent reconnaissables, parfois même montrés du doigt… Un mode de vie différent, des franges suspendues à leur vêtement et une coupe de cheveux atypique sont les symboles qui ont toujours rendu le Juif distinguable parmi les nations. Et si d’apparence il en fut ainsi, c’est du fait que du côté intérieur, les Juifs se livraient avec une dévotion sans précédent au culte de leur D.ieu.

Toutefois, les nombreux exils et leurs vicissitudes entamèrent chez certains la relation étroite tissée depuis des siècles entre les Hébreux et leur patrimoine, au point où d’aucuns abandonnèrent toute pratique sérieuse. Quelques courants, pourtant d’origine Israélites, tels que la Haskala, se dressèrent même contre l’héritage de leurs pères prétextant que la Torah serait cruelle à l’encontre de ses sujets. Ils mettaient en avant, entre autres, que le Texte rend passible de mort celui qui transgresserait ses commandements comme le Chabbath par exemple, une chose qu’ils ne purent accepter, bien que de leur temps déjà, la peine de mort ne fut déjà plus appliquée depuis plus de 1.500 ans environ !

Leur erreur fut de se suffire d’une interprétation superficielle des textes, faisant fi, volontairement ou non, des enseignements oraux des maîtres détenteurs des clefs de compréhension du corpus divin reçu au Sinaï. En effet, D.ieu prit soin de délivrer un enseignement oral parallèle à celui écrit, permettant de le déchiffrer afin d’en saisir le sens voulu. Cette manœuvre servit également à garantir au peuple son hégémonie interprétative du livre par rapport aux nations du monde, prétendant être le peuple mentionné dans le Pentateuque. Seuls les détenteurs des significations encodées par l’Auteur peuvent prétendre au droit d’aînesse…

À la lumière de cette connaissance, essayons de la confronter à l’exemple cité plus haut : Chabbath et la peine de mort. 

Est-ce bien le cas ? À qui ses ultimatums ont-ils été adressés : à toutes les générations ? À nous aussi ?

Voyons cela…

Dans la section de Ki Tissa, il est écrit : « Gardez donc le Chabbath, car c’est chose sainte pour vous ! Qui le violera sera puni de mort ; toute personne même qui fera un travail en ce jour, sera retranchée du milieu de son peuple. » (Exode 31, 14)

La menace est donc claire : la mort !

Toutefois, les Sages du Talmud, au traité Sanhédrin, y mettront immédiatement un bémol et bon nombre de conditions. Ils affirmèrent qu’une personne ne peut être mise à mort que par le biais d’un tribunal rabbinique composé de juges qualifiés ; et seulement si la personne en question fut préalablement avertie des risques encourus si elle venait à transgresser cette faute par au moins deux témoins. 

Mais ce n’est pas tout : le Talmud ajoute que le présumé coupable se doit de rétorquer à l’avertissement des témoins de façon cohérente : « J’ai pris conscience de votre mise en garde mais je décide tout de même de transgresser cette faute. » S’il manquait la moindre de ces conditions, il n’était même pas la peine de présenter le dossier à la cour d’assises du tribunal rabbinique…

En outre, la procédure ne s’arrêtait pas là. Les juges avaient pour ordre déontologique de chercher toutes les possibilités d’acquitter un coupable… et cela, ils l’apprennent explicitement d’un verset de la Torah : « Et cette assemblée épargnera le meurtrier. » (Nombres 35, 25)

Cela conduisait parfois les juges à couper les cheveux en quatre, tâchant par tous les moyens de disculper les fauteurs (Traité Makot, p.7). Le Talmud déclare à ce sujet qu’un tribunal qui aurait versé le sang une seule fois en soixante-dix ans serait considéré comme défectueux…(Ibid.)

Pour couronner le tout, le Talmud (Roch Hachana p. 31) rapporte que le tribunal pénal se rendit lui-même inapte à délivrer des peines de mort en s’auto-exilant lorsque que les meurtres se multiplièrent dans le pays et qu’il n’aurait eu d’autres choix que la condamnation systématique. (Voir aussi Maïmonide, lois du Sanhédrin 14-12)

On l’aura compris, la peine de mort n’était pas si facile à infliger, voire même impossible à mettre en pratique concrètement. Pourquoi en faire mention alors ?

La Torah dans son dernier livre, celui du Deutéronome, nous en donne l’explication. Le verset juxtapose la peine de mort à la mise en garde du peuple afin de garantir l’observance de la pratique. Ainsi s’exprime la Torah : « Et celui qui, téméraire en sa conduite, n'obéirait pas à la décision du pontife établi là pour servir l'Éternel, ton D.ieu, ou à celle du juge, cet homme doit mourir, pour que tu fasses disparaître ce mal en Israël ; afin que tous l'apprennent et tremblent, et n'aient plus pareille témérité » (Ibid. 17, 12-13)

Pour certains de nos maîtres, il y a là toute l’essence de la peine de mort : abolir les intentions immorales nichées dans les tréfonds du cœur des gens du peuple par une mise en garde drastique. De plus, personne ne peut nier qu’il y ait ici un effet pédagogique indéniable - prendre conscience de la gravité de certaines fautes qui sont hissées au même niveau que la vie humaine, valeur suprême au regard de la Torah. Toutefois, si nous avons compris un peu plus, le rapport de la sentence dans le judaïsme, toujours est-il que vis-à-vis de la gravité du Chabbath, des questions restent en suspens - pourquoi une telle gravité à l’égard de celui qui profanerait la sainteté du septième jour ?

Chabbath, un jour de foi

Les Sages s’expriment de façon assez radicale vis-à-vis de ceux qui enfreindraient les lois du Chabbath (en public). Ils vont même jusqu’à les considérer comme s’adonnant à l’idolâtrie (Midrach Chémot Rabba, Maïmonide fin des lois sur Chabbath). La punition prévue pour les transgresseurs du Chabbath est d’ailleurs curieusement la même que celle concernant l’idolâtrie. Quel sens donner à ces corrélations… pour le moins étranges ?

Il faut pour cela, se pencher sur les fondements du jour saint. 

Pour quelle raison nous reposons-nous le Chabbath ?

La réponse – si surprenante puisse-t-elle paraître – est que nous faisons cela pour copier D.ieu qui se reposa de Sa création le septième jour. Et puisqu’il est évident, tant du point de vue philosophique que scientifique que D.ieu n’a aucunement besoin de repos, ni le septième jour, ni le quatorze milliardième jour… Il y a donc ici un message encodé à décrypter. C’est ce message caché que nos ancêtres gardèrent avec une dévotion sans précédent, souvent au prix même de leur propre vie. Ce message dit que l’Univers fut un jour créé ex nihilo par un D.ieu créateur et qu’il aura, comme toute chose créée, une fin à laquelle toute l’humanité devra faire face. Si aujourd’hui, la théorie du Big-Bang de Wilson et Penzias (1965) ou la mort thermique de l’Univers par Boltzmann et Kelvin (1906) suggèrent de façon scientifique un début et une fin à notre monde, tel ne fut pas le cas des idéologies passées des savants. À l’époque, surtout dans le système grec propagé par Aristote, la doxa dominante était que l’Univers était éternel sans début, ni fin… Et de la même manière que la question d’un début renvoie inévitablement à celle d’un Créateur, celle de l’éternité l’exclut inévitablement. Ainsi, le Ramban (Na'hmanide) dans son commentaire sur l’Exode affirme que l’acte providentiel de la Providence divine lors de la sortie d’Égypte est la plus grande antithèse à la thèse d’un monde éternel dans lequel D.ieu n’aurait pu avoir le moindre contrôle… Cela explique que respecter le Chabbath, c’est avant tout témoigner d’un D.ieu créateur exerçant Sa Providence, donc le contraire s’apparente bien d’une manière ou d’une autre à de l’idolâtrie. CQFD.

Pour en revenir à notre thèse concernant les châtiments de la Torah, celui du Chabbath n’est pas un cas isolé, il en va de même de la quasi-totalité des commandements qui paraissent au premier abord être insensibles à la sensibilité humaine ou à sa faiblesse, mais qui sont tous parachevés d’une grande longanimité.

Pour rappeler les paroles du ‘Hazon Ich concernant la majorité des non-pratiquants élevés dans des cultures profanes, souvent à totalement à l’encontre des valeurs de la Torah, le Rav déclare qu’ils entrent dans la catégorie de ces enfants qui auraient été enlevés parmi les non-juifs ; dont les péchés n’ont pas de valeur absolue aux yeux de D.ieu, du fait que leur conscience vis-à-vis de la faute ne soit pas totale. 

La Torah ne s’est pas exprimée à leur égard lorsqu’elle parlait des châtiments réservés aux renégats. Son intention était de s’adresser aux “vrais impies”, ceux qui connaissent les fondements de la Torah et qui, par des idéologies fallacieuses, décideraient de s’en soustraire et d’en soustraire les autres (Voir Tossefot Pessa’him page 49). L’embarras se nourrit souvent de l’ignorance et de préjugés tandis que le salut provient invariablement de la connaissance et de l’intégrité intellectuelles…