L’autre jour, je faisais du rangement et je suis tombée sur un vieux carton qui prenait la poussière dans le coin de mon cagibi. Je ne me rappelais même plus l’existence de ce carton. Et pourtant, quand je l’ai ouvert, j’ai vu qu’il contenait le meilleur échantillon de mon enfance, dont mon unique, mon inséparable, mon fidèle journal intime. C’était mon meilleur ami à l’époque, je commençai à le feuilleter délicatement, je souriais au fil des pages, je caressai ses feuilles. Puis, je suis tombée sur une page, probablement la dernière page de mon enfance.

Cher journal intime,

Mes parents divorcent. Ça y est, l’annonce est tombée. Je l’attendais tout en l’ignorant. J’espérais qu’ils se réconcilieraient, j’espérais que tous ces cris s’atténueraient, qu’ils laisseraient de nouveau place aux rires, et que notre famille redeviendrait la famille soudée qu’elle était. J’espérais sans trop y croire. Je voyais la fin de notre famille approcher, et je restai impuissante. Lorsque le ton montait, j’enfonçai ma tête dans mes oreillers et je mettais de la musique, peu importe quelle musique, du moment qu’elle était suffisamment forte pour couvrir les voix hurlantes de mes deux parents. Je fuyais ces disputes alors que j’en étais le sujet central. Ils se disputaient ma présence, mais pendant qu’ils criaient l’amour qu’ils ressentaient pour moi, ils ne se rendaient pas compte qu’ils perforaient mon cœur. Ils hurlaient des mots d’amour à mon égard comme quoi elle ne pourrait pas vivre sans moi et comme quoi j’étais sa raison de vivre, de se lever chaque matin, mais chacun de ces mots était comme des flammes qui me brûlaient de l’intérieur. J’avais envie d’hurler moi aussi et de leur dire « arrêtez de faire les enfants, vous êtes égoïstes, vous ne pensez qu’à vous-mêmes, soyez responsables, soyez adultes, reprenez votre place de parents, protégez-moi, aimez-moi, épargnez-moi », mais je restais muette, et je faisais mes adieux définitifs à l’innocence et l’enfance puérile. Mes parents avaient décidé de me faire grandir coûte que coûte. Je devais faire mine que tout aille bien pour ne pas leur rajouter de peine et de souci, j’étais devenue le parent de mes parents.

Quel retour en arrière ! Ces quelques lignes me laissent pensive. Le divorce de mes parents avait définitivement joué un rôle dans ma vie, dans ma façon de grandir, dans mes choix et prises de décision, dans les chemins que j’avais décidés d’emprunter, et dans la façon dont j’avais décidée de les emprunter. Plus de 30 ans que mes parents ont divorcé, plus de 30 ans que j’ai quitté cet enfant apeuré et que je suis devenue ce pseudo-adulte qui avait choisi de grandir.

Dans la vie, nous avons soit le choix de nous apitoyer sur notre sort et de subir nos épreuves de façon accablée, soit de les utiliser pour nous construire.

Lorsque les cris fusaient à la maison, je n’avais qu’une envie, m’enterrer sous mes problèmes, m’enliser dans les sables mouvants de mes angoisses. Mais je savais que je devrais alors déployer le triple d’efforts pour m’en sortir par la suite. J’avais donc décidé de me battre et de me construire malgré les difficultés, malgré le manque de soutien, et malgré mon jeune âge.

J’ai commencé à me plonger dans l’étude de la Torah. J’avais un grand besoin d’admirer des personnes, de m’identifier à ces femmes qui ont fait preuve de détermination, de force et de courage. Je voulais trouver les raisons de ne pas baisser les bras, de ne pas capituler. J’avais une soif d’apprendre. Je dévorais les biographies de Naomi, Ruth, Batchéva, et lorsque je suis arrivée à l’histoire de Myriam, ce fut la révélation. Ce petit bout d’enfant, âgé de 3 ans, qui doit faire face à la séparation de ses parents. Non seulement elle y fait face, mais plus que ça, elle remue ciel et terre pour convaincre ses parents de se remettre ensemble. Son père, Amram, le plus grand rabbin de la génération, avait décidé de divorcer sa femme Yokhévèd, et incite le peuple à agir ainsi, pour que le cruel roi d’Egypte n’ait plus de bébés juifs à tuer. Malgré ce raisonnement, Myriam, du haut de ses 3 ans, s’y oppose. « Pharaon ne tue que les bébés garçons. En agissant ainsi et en interdisant au peuple de se reproduire, tu « tues » également les bébés filles. » Ses paroles emplies de sagesse, rentrent dans le cœur de ses parents, qui finalement admettent que leur séparation n’était pas une bonne idée. Rendez-vous compte, elle n’avait que 3 ans. J’avais trouvé celle qui m’inspirerait, celle de qui je puiserai mes forces les jours sans. J’avais intégré cette petite Myriam à laquelle je m’identifiais. Je me battrai à son image, non pas pour reconstruire le couple de mes parents, mais pour construire mon propre couple, mon futur foyer. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour rendre heureux l’homme qui deviendrait mon mari, et je me promettais que mes enfants ne seraient jamais les témoins de nos désaccords ou les sacrifices de notre mésentente, en espérant que mésentente il n’y aura pas.

Les années ont passé et j’ai fini par le rencontrer. Lorsque mon mari m’a demandé en mariage, nous avons, d’un commun accord, décidé de beaucoup nous investir dans les cours de préparation au mariage. Mon futur mari connaissait mes antécédents et mes appréhensions et il voulait que la personne qui me préparerait à cette union, puisse répondre à mes questions, mais surtout me mettre en confiance et me prouver que l’expérience que j’avais eue du mariage ne ressemblerait en rien à ce pour quoi je m’apprêtais à signer. Nous ne voulions rien laisser au hasard. Je voulais que mon mariage dure, je voulais que mon mariage déborde de bonheur, et je voulais par-dessus tout que mon mariage ne rencontre que des meilleurs et jamais des pires.

Ces quelques semaines de préparation au mariage, m’ont été d’un bénéfice rare. Je ne me préparais pas uniquement au mariage, j’apprenais à me connaître, je découvrais la nature masculine et son fonctionnement, je devenais experte en communication, quoi dire ? Quand le dire ? À qui le dire ? Je ne m’imaginais pas un seul instant de la richesse de ces rendez-vous. Je me construisais tout simplement.

Aujourd’hui, je pense au divorce de mes parents le sourire aux lèvres, je ne suis plus issue d’une maison brisée, je suis plutôt issue de deux maisons réparées, solides et heureuses. Je ne dis pas que le divorce est une bénédiction, loin de là, je dis simplement que, bien des fois, la brèche permet de remarquer la solidité du mur.

J’avais compris que, dans la vie, chaque épreuve pouvait être un précipice ou, au contraire, un tremplin. Ça dépendait de notre perception des choses.

J’ai travaillé dur pour faire de ma vie actuelle une forteresse solide à toutes épreuves, mais une chose est sûre, je n’aurais jamais autant travaillé si je n’avais pas assisté à l’effondrement de la frêle cabane de mes parents. J’ai compris, grâce à eux, que construire un foyer demande un travail d’équipe constant et que lorsque l’un des deux maçons a du mal à arriver à bout de ses tâches, le deuxième doit redoubler d’efforts, parce qu’il se peut que, le lendemain, les rôles soient inversés.

Que nous puissions tous construire des foyers solides et heureux dans le peuple d’Israël.