Rien n’est plus difficile pour l’être humain que de S’OBJECTIVISER, c’est-à-dire de voir son histoire personnelle comme un objet, de passer du sujet à l’objet, de projeter sa propre histoire dans une Histoire plus générale. Cette objectivation est encore bien plus difficile pour une collectivité, car on ne VOIT pas bien son intégration dans un ordre plus général. Le 20ème siècle a été l’un des plus difficiles à cet égard, car l’Histoire a couru, et s’est orientée dans toutes les directions. Parallèlement, l’Histoire s’est globalisée et la planète est devenue un village !

Si nous essayons, donc, aujourd’hui, de lire les événements actuels, il faut être conscient que « lire » en ce moment la gravité des combats, des otages, des victimes de la journée du 7 Octobre, c'est réaliser que cette gravité s’impose à notre attention. Ce sont des évènements qui sont des tournants, semblables à l’expulsion des Juifs d’Espagne, en 1492, ou à la Shoah. Cela se passe sur la Terre Sainte, alors que c’est une autorité juive qui gouverne le pays. Les guerres, presque permanentes depuis l’Indépendance en 1948, nous interrogent, et portent aujourd’hui un sens particulier, puisque ce ne sont pas des armées nationales qui se sont rencontrées, et c’est la première fois que les civils ont été tués dans leurs maisons, ou ont été pris en otage. C’est à cette circonstance qu’il faut prêter attention : sur la Terre d’Israël, sans combats, assassinats perpétrés de façon cruelle, et enlèvement de femmes, d’enfants, de vieillards ! Spectacle difficile à reconnaître ! Inédit, en tout cas, pour le peuple qui se sentait assuré sur son sol ! 

Ici, donc, se pose la question de l’intégration de cet événement dans une histoire vieille de 3,000 ans ! Relevons-le clairement : l’histoire d’Égypte, l’histoire de la Grèce ne prétendent pas, aujourd’hui, continuer l’idolâtrie égyptienne d’il y a 3.000 ans, la Grèce n’a aucun rapport avec l’histoire mythologique de l’Antiquité, mais le peuple juif continue à vivre une histoire qui va d’Avraham au ‘Hazon Ich, sans rupture. L’éternité de l’Histoire juive nous touche, nous atteint. C’était cela le sens du début de cette chronique, où l’on disait qu’il faut, subjectivement, observer objectivement la permanence de notre Histoire. C’est l’intégration de notre histoire actuelle dans la permanence de l’Histoire qui doit susciter notre réflexion ! L’histoire d’Israël n’est pas une histoire laïque comme les guerres européennes, entre la France et l’Allemagne, ou entre la Russie et l’Ukraine. 

L’histoire d’Israël est – de même que le peuple est distinct de tous les autres peuples – nécessairement différente de l’histoire des peuples de l’humanité. L’histoire juive est – indépendamment de notre volonté – une histoire messianique, fondée sur des événements anormaux, et le cas présent illustre clairement cette particularité, car les détails, on l’a vu, sont inédits. Ya'akov Avinou croyait pouvoir vivre en sécurité une fois qu’il avait affronté 'Essav et Lavan. Alors, l’histoire de Yossef a troublé cette apparente sécurité. Le peuple juif, après la Shoah, a cru trouver un havre. Erreur ! De nombreuses communautés ont cru que l’Amérique ne connaîtrait pas l’antisémitisme, et c’est, peut-être, l’une des nations où l’antisémitisme ne cesse de progresser ! L’histoire d’Israël ne cesse de se heurter aux ennemis. Dans cette optique, nous devons « objectiver » le pogrom de Sim’hat Torah et l’inclure dans l’Histoire. Ce n’est pas la colonisation, ou la présence d’Israël qui est reprochée, c’est son existence qui est refusée ! Il nous faut nous rattacher clairement à cette conclusion : l’être juif est toujours menacé, en quelque circonstance que ce soit.

Le refuge d’Israël, c’est sa Loi, sa Torah qui le maintient. Les Arabes, en 1929, l’avaient compris, en s’attaquant à la Yéchiva de Hévron. « Si les Juifs installent une Yéchiva en Terre Sainte, c’est qu’ils veulent s’y fixer » était l’explication des Arabes à l’époque. Depuis, près d’un siècle est passé, la Shoah a bouleversé l’Histoire, mais la haine est restée. Pour les non-Juifs, même les Juifs qui se sont éloignés de la tradition sont des adversaires : à Sim’hat Torah, la Torah n’était, hélas, pas observée, mais pour les ennemis, cela n’avait pas d’importance ! C’est maintenant qu’il faut plus que jamais s’inscrire dans la destinée historique, messianique, du peuple juif. 

Les deux peuples issus des Patriarches, les descendants d’Essav et Ichmaël, symbolisent, par leurs noms, la réponse juive à l’ennemi. Le nom d’Essav est lié à la racine hébraïque « 'Asso » (faire) et celui d’Ichmaël est lié à la racine hébraïque « Chma' » entendre, écouter). Les Sages ont lié ces deux racines à l’acceptation par Israël de la Torah lors de la Révélation du Sinaï. Le peuple juif a répondu à Moché Rabbénou lors de la Révélation : « Na'assé Vénichma » (nous ferons et nous écouterons). La seule réponse d’Israël aux nations qui le haïssent, c’est le lien à la Parole divine. « Observer » et « écouter » sont l’objectivation de l’histoire pour Israël. Comprenons aujourd’hui plus que jamais que ce n’est que l’alliance avec l’Éternel qui maintient Israël. Toute autre arme n’est que provisoire. Souhaitons voir bientôt, de nos jours, cette issue promise par les Prophètes !