Dans la parachat Balak (Bamidbar 22:16 -18), il est dit : "Ils arrivèrent chez Bilam et lui dirent : « Ainsi a parlé Balak ben Tsipor : " S'il te plaît, ne refuse pas de venir auprès de moi. Je te comblerai d'honneur et tout ce que tu me diras, je le ferai ; va, s'il te plaît, et maudis-moi ce peuple !" » Bilam répondit aux serviteurs de Balak et dit : « Si Balak me donnait son palais plein d’argent et d’or, je ne pourrais contrevenir à l'ordre d’Hachem, mon D., en aucune façon. » [1] 

Rachi explique sur les mots « Son palais plein d'argent et d'or » : Cela nous enseigne qu'il était cupide et convoitait l'argent d'autrui.

Les serviteurs de Balak ont proposé à Bilam de grands honneurs en récompense de la malédiction qu'il allait proférer sur le peuple juif. À cette offre, Bilam répondit que même en échange de grandes fortunes, il ne pourrait le maudire si Hachem ne le lui permettait pas.

Rachi écrit que ce verset est la référence de ‘Hazal qui affirment, dans les Pirké Avot (Maximes des Pères) [2] que Bilam était un personnage cupide. À première vue, c’est la grande somme d'argent que Bilam a évoquée dans son refus d'aller à l'encontre de la parole d’Hachem, qui montre son avidité.

Cependant, les commentateurs font remarquer que cette déduction n'est pas exacte, parce que 'Hazal nous donnent un autre exemple d'un tsadik authentique qui a utilisé une expression similaire à celle de Bilam. La michna dans Avot [3] relate qu'un éminent tanna, Rabbi Yossi ben Kisma, fut abordé par un homme riche qui lui proposa de quitter l'entourage de Torah dans lequel il vivait pour emménager dans une autre ville dépourvue de talmidé 'hakhamim. Cet homme promit à Rabbi Yossi ben Kisma une très grosse somme d'argent pour le convaincre d'accepter sa proposition.

Rabbi Yossi répondit : "Même si tu me donnais tout l'argent, l'or et les pierres précieuses du monde, je ne vivrai que dans un endroit de Thora." Rabbi Yossi parla d’une somme d'argent plus élevée encore que celle mentionnée par Bilam, sans que 'Hazal y décèlent une quelconque cupidité. Quelle est la différence entre la réaction de Bilam, et celle de Rabbi Yossi ben Kisma ? [4]

Le 'Hida, dans son Séfer Raché Avot, propose une réponse. Il relève les mots de Bilam, "Je ne pourrais contrevenir à l'ordre d’Hachem, mon D., en aucune façon". En s'exprimant de la sorte, Bilam laisse entendre qu'il serait disposé à transgresser la Parole d’Hachem, pour l'argent proposé, s'il en avait la possibilité ; il déclare toutefois ne pas avoir de libre choix à ce sujet. Manifestement, il accordait plus de valeur à l'argent qu'à l'accomplissement de la volonté d’Hachem, et ce, bien qu'ayant parfaitement compris la valeur d'un lien véritable avec Hachem et bien qu'étant conscient de l'existence du Olam Haba [5].

Ceci prouve son avidité. En revanche, Rabbi Yossi ben Kissma exprima sa décision en indiquant clairement que pour lui, il n'existait pas d'autre alternative. Son objectif premier était donc vraiment de servir Hachem, sans se sentir contraint. [6]

L'explication du 'Hida montre qu'une personne peut être parfaitement consciente de l’existence d’Hachem et de ce qu'Il exige de l'homme, et viser néanmoins des objectifs très éloignés de la rou'haniouth, la spiritualité.

Notons que c'est le peuple de Moav qui a séduit Bilam avec de l'argent afin de défier Hachem. Leur ancêtre, Loth, souffrait d'un mal similaire à celui de Bilam : il reconnaissait l'existence d’Hachem, et accomplissait même les mitsvot, mais les choix qu'il fit ne correspondaient pas à un mode de vie axé sur le spirituel. Par exemple, il décida de vivre dans la ville dépravée de Sedom. Cela nous indique le but ultime de sa vie : atteindre la richesse matérielle, et la satisfaction de ses envies. [7]

Ces exemples nous enseignent comment servir Hachem.

On pourrait penser qu'il suffit de croire en D. et de faire ce qu'Il prescrit, et que l’on peut désirer parallèlement la richesse, les honneurs, le pouvoir et autres satisfactions du monde laïc.

On pourrait se demander ce qu’il y a de mal à avoir de telles ambitions si l’on observe les mitsvot.

Concrètement, l'observance des mitsvot sera inéluctablement compromise par des désirs matériels. On pourrait être tenté par exemple de s'impliquer dans des activités malhonnêtes afin d'augmenter sa richesse, et ce désir justifiera de futurs mensonges ou vols. De plus, on perd de vue le sens réel du service d’Hachem. Les objectifs visés sont alors semblables à ceux de Loth, L’observance de la Thora est un fardeau lourd et encombrant.

Respecter la Thora ne signifie pas simplement se plier à un certain nombre de règles, mais il s’agit d’un mode de vie cohérent qui dirige la personne dans chaque domaine et chaque étape de sa vie

L'objectif suprême est de créer un lien avec Hachem, et de rendre Sa présence plus apparente dans le monde.

L'argent et le pouvoir sont seulement des moyens pour y arriver, et non une fin en soi. En intériorisant cette leçon, on peut espérer pouvoir imiter l'attitude de Rabbi Yossi ben Kisma.


[1] Parachat Balak, 22:16-18.

[2] Pirké Avot 5:22.

[3] Pirké Avot 6:9.

[4] De nombreux commentateurs demandent en quoi la réponse de Bilam montre qu'il était cupide. Parmi eux : Mizra'hi, Maskil LeDavid, Na'halat Yaacov, Béer Bassadé, Emeth LeYaacov, et Rav Eliashiv dans Divré Agada. Ils proposent plusieurs explications, mais une approche différente sera rapportée. Voir aussi mon article, Parachat Balak : Argent et honneur pour une autre réponse

[5] Voir mon article, Parachat Balak — Vivre pour Hachem, dans lequel on analyse les motivations de Bilam de manière plus développée.

[6] De rav Yissakhar Frand chlita.

[7] Voir mon article, Parachat Vayéra : Comprendre Loth, pour une analyse plus approfondie de la personnalité de Loth.