« Réunis-Moi soixante-dix hommes parmi les anciens d’Israël, dont tu sais qu’ils sont des anciens du peuple et des officiers, tu les prendras à la Tente d’Assignation, ils se tiendront là avec toi. » (Bamidbar, 11:16)

Rachi explique sur les mots « Acher Yadata – dont tu sais » : Ceux que tu connais, car ils furent nommés contremaîtres en Égypte [pour surveiller] les travaux éreintants. Ils eurent pitié d’eux [du peuple] et se firent battre à leur place, comme il est dit : « Ils frappèrent les contremaîtres du peuple juif » — ils seront à présent élevés, puisqu’ils compatirent à leur peine.

Hachem ordonna à Moché Rabbénou de nommer soixante-dix hommes qui seraient membres du Sanhédrin et Il précisa à Moché qu’il devait s’agir de ceux qui furent contremaîtres lors de l’esclavage d’Égypte. Quand les Égyptiens obligèrent ces hommes à punir les Juifs qui ne respectaient pas leurs quotas, ils refusèrent et préférèrent se faire battre par les bourreaux égyptiens plutôt que d’infliger une sanction à leurs frères juifs. En récompense, ils eurent le mérite d’être nommés membres du Sanhédrin.

Rav Moché Chmouël Shapira[1] demande : on comprend bien que celui qui se sacrifie pour le peuple juif en période difficile soit récompensé. Mais en quoi cela le qualifie-t-il à un tel poste ? Pour pouvoir siéger au Sanhédrin, il faut être versé dans la Torah et remplir d’autres critères. Ces hommes excellaient dans leur empathie – Nossé Beol Im ’Havéro – puisqu’ils se préoccupaient énormément de la souffrance de leurs prochains, mais en quoi est-ce une preuve qu’ils étaient compétents pour ce poste convoité ?

La Michna de Pirké Avot[2], qui énumère les quarante-huit qualités nécessaires pour acquérir la Torah, nous aidera à répondre à cette question. L’une des vertus recensée est « Hanossé Beol ’Havéro » — celui qui porte le joug de son prochain, ce qui correspond à la compassion. C’est évidemment une qualité merveilleuse, mais pourquoi est-elle indispensable pour devenir un véritable érudit en Torah ?

L’un des enseignements du Rav ’Haïm Chmoulevitz[3] peut nous éclairer. Il cite la Guémara (Erouvin 13b) affirmant que lors des débats entre Beth Hillel et Beth Chamaï, la Halakha est tranchée selon Beth Hillel, bien que Beth Chamaï fût plus rigoureux. Ceci, parce que Beth Hillel évoquait toujours l’opinion de Beth Chamaï avant la sienne. D’après le sens simple, on comprend qu’en récompense de leur grande modestie, la Halakha suit l’avis de Beth Hillel. Mais Rav Chmoulevitz estime que leur attitude était la manière optimale de déceler la vérité de la Torah. En rappelant l’opinion de Beth Chamaï, ils travaillaient sur leur compassion – à savoir, comprendre l’autre, ce qu’il pense. C’est ce qui leur permit de saisir réellement l’avis opposé et d’en venir à la conclusion exacte. C’est en cela que l’empathie est nécessaire à celui qui veut acquérir la Torah. Une personne égocentrique ne pourra pas envisager un autre point de vue et sera donc limitée quant à sa capacité à développer une approche vraie et harmonieuse de la Torah.

Cette explication nous permet de comprendre pourquoi les contremaîtres étaient aptes à être membres du Sanhédrin. Ils excellaient dans la compassion et cette caractéristique leur donna la possibilité d’accéder à la vérité de la Torah. Le fait que les Guédolim se distinguent également par cette qualité n’est pas une coïncidence, car comme nous l’avons vu, ce trait de caractère est primordial pour devenir un Talmid ’Hakham.

L’histoire suivante illustre ce point.

À l’époque de la création de l’État d’Israël, le gouvernement voulait placer les enfants juifs de Téhéran dans des situations qui les forceraient à abandonner toute pratique religieuse. Le Rav de Brisk fit un scandale à propos de cette ignominie. Il fit tout son possible pour tenter de sauver ces enfants. Rav Shapira écrit que le Rav de Brisk fit organiser une réunion des Guédolim de l’époque, il s’évertua et insista pour assurer l’avenir de ces Juifs iraniens. À la fin de la réunion, chacun retourna chez lui et reprit sa routine. Le Rav de Brisk demanda au Rav Shapira : « Comment leur vie peut-elle reprendre son cours normal ? Qu’adviendra-t-il de ces enfants ? » Sa préoccupation était telle qu’il était prêt à soulever des montagnes en leur faveur.[4]

L’exemple des contremaîtres et les histoires plus récentes concernant de grands Rabbanim nous enseignent l’importance de la compassion, qui n’est pas seulement un trait de caractère admirable et digne de louanges, mais qui est un outil fondamental pour acquérir la sagesse véritable.

 

[1] Rapporté par le rav Issakhar Frand. Rav Shapira fut le Roch Yéchiva de Béer Yaacov. Il était en famille et disciple du Rav de Brisk, Rav Its’hak Zéev Soloveitchik zatsal.

[2] Pirké Avot, 6:6.

[3] Roch Yéchiva de Mir. Si’hot Moussar, Maamar 47.

[4] Entendu du Rav Issakhar Frand.