Quand on lit l’histoire de la rébellion de Kora’h dans la paracha qui porte son nom, on est frappé par sa tentative stupide de défier Moché Rabbénou. Pourtant, on voit bien qu’à son époque, Kora’h réussit à convaincre un grand nombre de juifs de la justesse de ses arguments contre Moché et Aharon. Bien que la rébellion ait commencé avec un nombre relativement faible de personnes, la Thora nous raconte qu’à la fin, il réunit « toute l’assemblée »[1] contre Moché et Aharon. Comment parvint-il à mettre en place un tel soulèvement contre les hommes qui avaient guidé le peuple juif et qui l’avaient fait assister à d’innombrables miracles dans le désert ?

Pour répondre à cette question, il est intéressant d’analyser un autre point « épineux » dans la paracha. L’un des principaux arguments de Kora’h et de ses partisans était son opposition à la nomination d’Aharon comme Cohen Gadol. Ils prétextaient que Moché avait lui-même décidé de cette promotion et qu’il s’agissait d’un acte de favoritisme à l’égard de son frère.

Après les terribles yissourim (souffrances, épreuves) qui vinrent punir les rebelles, Hachem ordonna à Moché de prouver qu’Aharon avait divinement été placé à ce poste. Cette confirmation s’opéra par le test des bâtons, lors duquel le bâton d’Aharon fleurit miraculeusement, montrant de façon probante qu’il méritait de devenir Cohen Gadol. Après cette vérification, tout le malaise s’estompa.

Le rav Leib ‘Hasman[2] zatsal demande pourquoi Hachem décréta d’effectuer le test des bâtons seulement après la punition impressionnante qu’Il infligea. Si le miracle du bâton florissant était survenu dès le début, il aurait pu convaincre le peuple de l’invalidité des arguments émis contre Moché et Aharon, rendant ainsi la sanction inutile.

Il répond que cela nous apprend un principe important quant à la nature humaine. Kora’h savait qu’il ne pourrait pas vaincre Moché de façon logique, il savait que ses arguments ne feraient pas le poids, que Moché était bien trop élevé pour être déchu rationnellement.

Il eut alors recours à l’arme pernicieuse de la létsanout (moquerie, raillerie), au moyen de laquelle il pouvait rabaisser Moché et Aharon sans avoir à justifier ses arguments cohéremment. Nous apprenons ceci des mots de Rachi qui explique comment Kora’h fut capable de persuader tellement de gens à se ranger de son côté ; la Thora nous informe qu’il rassembla le peuple contre Moché et Aharon. Comment parvint-il à mener à bien une tâche si colossale ? Rachi explique qu’il en fut capable grâce à des « divré létsanout ».[3]

Rav ‘Hasman poursuit en précisant que la létsanout fait fi de l’intellect et éveille en l’homme un côté animal dans lequel la logique n’a pas sa place. Ceci explique le verset dans Michlé qui nous exhorte à ne pas réprimander le lets (moqueur), car celui-ci ne s’intéresse à aucun argument cartésien, il veut simplement continuer à plaisanter et ridiculisera toute tentative de le faire changer.

Un autre passouk dans Michlé affirme que la seule façon de donner une leçon d’humilité au lets est de lui envoyer des yissourim : « Donne des coups au lets ».[4] Le Messilat Yécharim précise que l’individu est censé grandir et apprendre de ses erreurs, grâce à l’étude de la Thora et au ‘hechbon hanéfech (introspection), mais que le lets est « immunisé », il reste sourd à ces méthodes et seule l’épreuve peut l’affecter.

Ceci explique, selon rav ‘Hasman, pourquoi Hachem accomplit le miracle des bâtons seulement après les punitions infligées à Kora’h et à ses principaux supporters. La létsanout est si puissante qu’elle peut même inciter à négliger des miracles dévoilés s’ils vont à l’encontre de l’intérêt personnel du persifleur. Elle put, à l’époque de Kora’h aveugler tout un groupe des dangers que représentaient une telle révolte.

Si le miracle avait eu lieu avant la punition, les rebelles auraient trouvé un moyen de le repousser et d’en ignorer ses conséquences à l’aide d’un commentaire sardonique. Ce n’est qu’après les sanctions dévastatrices que la force de ces railleries fut domptée et que les survivants purent intérioriser la leçon du bâton florissant.

Le Messilat Yécharim parle très sévèrement de la nature destructrice de la létsanout.[5] Il estime que c’est principalement ce qui empêche une personne de développer la qualité de zéhirout (prudence, état d’alerte devant la faute). La létsanout empêche d’analyser sérieusement ses traits de caractère, car elle amoindri ce qui est important et tourne chaque chose en ridicule. Le moqueur n’écoute les remarques de personne et utilise la plaisanterie comme moyen d’échapper à une introspection sérieuse et à une meilleure avodat Hachem. Il est bien plus facile d’écarter d’une boutade toute possibilité de grandir, plutôt que de relever le challenge consistant à s’attaquer à ses problèmes.

Kora’h utilisa la létsanout pour berner les autres, mais le yétser hara l’utilise également pour nous duper et nous empêcher de grandir. Rav ‘Hasman nous apprend que la seule façon d’affaiblir la moquerie est la punition.

Plutôt que d’avoir à souffrir inutilement, il vaut mieux subir une bien moindre peine, celle du moussar (la morale)[6]. Ceci peut se faire de diverses manières ; en étudiant des livres de moussar comme le Messilat Yécharim, qui discute longuement de la létsanout ; en acceptant les réprimandes faites par les Rabbanim ou par des amis ; ou simplement en effectuant une analyse honnête de soi-même.



[1] Parachat Kora’h, Bamidbar, 16:19.

[2] Or Yael, 3ème partie, rapporté dans le Léka’h Tov, Bamidbar, p. 186.

[3] Rachi, 16:19.

[4] Michlé, Ch. 19.

[5] Messilat Yécharim, Ch. 5.

[6] La racine du mot « moussar » est la même que celle du mot « yissourim », parce qu’un réel examen et une élévation spirituelle sont difficiles et peuvent provoquer une certaine souffrance.