Après avoir reçu les 10 paroles au pied du mont Sinai dans la paracha précédente, la section de cette semaine, la paracha de Mishpatim, nous présente de manière plus détaillée les lois fondamentales de la justice telle qu’elle doit régner entre les hommes.

Dans son premier commentaire, Rachi nous rappelle que ce n’est pas un hasard si ces principes sont énoncés immédiatement après les 10 commandements que nous avons lus la semaine dernière, car D.ieu souhaitait enseigner au Bnei Israël que les règles qui président aux relations entre les hommes ont vocation à avoir la même importance que les fameuses dix “paroles”/dix “commandements”.

De même que les 10 commandements ont été donnés directement par D.ieu au Mont Sinai, de même les grands principes de justice sociale sur lesquels une société doit être bâtie ont été donnés aux hommes directement par D.ieu au Mont Sinai.

Il était important de faire ce rappel car, en matière de spiritualité, l’homme peut avoir parfois tendance de faire une distinction entre les efforts qu’il doit faire dans le cadre de ses relations avec D.ieu et ceux qu’il doit faire dans ses relations avec les hommes. Nous pouvons être tentés de pondérer davantage les premiers au détriment des seconds.

La Torah prend donc soin d’introduire l’exposition des principes de justice, les « mishpatim », les lois qui régulent les relations entre les hommes par la conjonction de coordination « Vé » » « Et puis » qui relie notre passage à celui de la semaine dernière, afin d’enseigner à l’homme qu’il doit leur accorder autant d’importance qu’aux dix “paroles” reçues au Mont Sinaï.

Rappelons, à cet égard, une petite histoire qui s’est produite au début du vingtième siècle. A cette époque vivait, en Europe de l’Est puis en Israël, un très grand maître de la Torah, le Rav Haim Ozer Grodzinsky. Il était un des « Gedolei Hador » « Un Grand de la Génération », un très grand Maître. Et, un jeune étudiant de Yeshiva rêvait de le rencontrer. Il en fit la demande à son Rav qui réussit à lui organiser une rencontre avec ce Tsadik. Aussi, l’étudiant se prépara avec une très grande attention à cette rencontre. Pensant que le Maître allait l’interroger sur ce qu’il étudiait à la Yeshiva, le traité compliqué de Yevamot,il consacra ses jours et ses nuits à réviser et se préparer afin de faire la meilleure impression possible.

Précisons, par ailleurs, qu’il s’agissait une époque où les communautés juives, et notamment les étudiants en Torah, vivaient dans une très grande pauvreté.

Le jour J arriva, et l’étudiant se présenta devant le grand Maître. Ce dernier l’accueillit avec beaucoup de chaleur et de bienveillance et, en guise d’interrogation, il se contenta de lui poser trois questions : Quand as-tu pris ton dernier repas ? As-tu une couverture pour te chauffer ? As-tu d’autres chaussures pour passer l’hiver ? Et, de fait, l’élève n’avait ni d’autres paires de chaussures, ni d’argent pour en acquérir de nouvelles. Le Rav sortit alors quelques billets de son tiroir et les donna à l’élève pour qu’il s’achète de nouvelles chaussures pour passer l’hiver.

Voilà, la Torah des Grands d’Israël : se préoccuper de son prochain, en commençant par se préoccuper de son bien-être matériel.

Cette anecdote, ô combien riche d’enseignements, nous rappelle que face à la précarité de son prochain, face à sa faiblesse, la Torah nous demande de veiller, avant tout, à lui assurer les moyens d’une existence digne et apaisée.

Le Rav Israël Salanter, le maître de l’éthique juive, avait une formule bien connue qui résumait merveilleusement cette idée « les besoins matériels de mon prochain sont mes besoins spirituels ».

Nous pourrions dire ainsi que la loi juive, l’étude de la Torah et de la Halakha sont le chemin, mais le souci de l’autre, et le raffinement de nos midot, de nos traits de caractère sont le but et l’objectif poursuivi par la Torah.

Les hommes pensent parfois pouvoir atteindre l’objectif sans passer nécessairement par la halakha. C’est là une erreur, car la véritable justice échappe bien souvent à l’esprit humain. Nous pouvons avoir parfois de bonnes intentions et agir naturellement conformément à ce que la Torah prescrit, mais sur le long cours, et face à la diversité des situations que nous pouvons rencontrer, seule la Torah peut nous guider de manière fiable et vraie.

En effet, en matière de justice, l’esprit humain est parfois tenté par des directions diverses. Faut-il donner à chacun la même chose ? Ou bien donner à chacun selon son mérite ? selon ses efforts ? selon ses résultats concrets ? L’esprit humain pourrait justifier avec conviction chacune de ces options. Face à ces zones grises où nous sommes partagés entre différentes vérités, seule la Torah peut nous aider à savoir comment décider de la meilleure façon. Il en va de même pour tous les domaines de la vie. “L’Eternel a dit à Yaakov Ses paroles, Ses statuts et Ses lois de justice à Israël. Il n’a pas agi ainsi avec les autres nations.” (Psaume 147,19. Cf. R. E. Munk)

Revenons à la vertu de la générosité et du souci de l’autre, pour souligner que l’on ne mesure probablement pas le mérite de tous ceux qui se donnent sans compter pour prendre soin des plus faibles, des plus pauvres ou encore des personnes âgées.

Il faut non seulement une grande énergie, mais aussi beaucoup de détermination, de conviction, et d’amour du prochain pour être capable de se préoccuper d’autrui, en affrontant parfois des résistances et en devant faire fi de son propre « kavod », son propre « amour propre », pour préserver la dignité de ceux que l’on aide, et qui n’ont plus la force ou la lucidité de le faire eux-mêmes.

En nous préoccupant d’autrui, nous “imitons” à notre modeste mesure les soins que D.ieu déploie à notre endroit pour nous aider et nous protéger. Aussi, on pourrait dire que chaque fois que l’on donne à l’autre, on donne également à Hashem; chaque fois que l’on renforce notre relation avec notre prochain, on renforce notre relation à D.ieu.