« Yéhochoua fils de Noun, qui se tient devant toi, lui y viendra ; fortifie-le, car lui le fera hériter à Israël. » (Dévarim, 1:38)

La Baal Hatourim commente, sur ce verset : « Car le service est plus important que l’étude. »

Moché Rabbénou rappelle comment Hachem lui a annoncé qu’il n’entrerait pas en Erets Israël et qu’il serait remplacé par Yéhochoua bin Noun. Le Baal Hatourim rapporte un Maamar ’Hazal pour expliquer ceci : « Le fait de servir un grand homme est plus grand que d’apprendre de lui. » Rav Moché Sternbuch[1] explique que l’emploi des mots « qui se tient devant toi » par la Torah, plutôt que « celui qui apprend de toi » montre que le service de Yéhochoua fut un élément clé, celui qui lui octroya le mérite de devenir le dirigeant du vertueux peuple de l’époque.

Les commentateurs prouvent par ailleurs que Yéhochoua n'était pas l’homme le plus éminent du Klal Israël[2]. Le Ramban écrit que les douze explorateurs furent énumérés par ordre de vertu spirituelle – Yéhochoua est le cinquième de la liste ; il y avait donc quatre personnes plus prestigieuses que lui. De plus, le Ramban[3] décrit Yéhochoua comme le disciple de Moché, après Elazar et Pin’has, laissant sous-entendre que ceux-ci étaient plus élevés. Toutefois, le Midrach affirme que Yéhochoua eut le mérite de succéder à Moché, parce qu’il le servit en déployant toutes ses forces et pouvait donc servir de dirigeant pour le peuple juif. C’est pourquoi, parmi toutes les qualités et les bonnes actions de Yéhochoua  c’est le fait qu’il servit Moché qui est retenu par le Navi[4].

Ce n’est pas la seule fois que l’on constate que celui qui se mit au service d’un grand homme mérita d’atteindre un niveau supérieur à celui d’individus qui auraient, sinon, été plus grands. Le Navi raconte qu’Eliahou était sur le point de monter aux cieux. Cinquante autres prophètes, appelé « Bné Hanéviim » demandèrent à Elicha ce qu’il advenait d’Eliahou. Rachi souligne qu’en parlant de ce dernier à Elicha, ils l’appelèrent « Adonékha – ton maître » et non « notre maître »[5]. Ceci nous prouve qu’ils étaient au même niveau qu’Eliahou et qu’ils auraient donc dû bénéficier d’un niveau de prophétie supérieur à celui d’Elicha. Alors pourquoi mérita-t-il de prendre sa suite, et non eux ?

Le Béer Moché[6] explique qu’Elicha mérita cet honneur parce qu’il excellait dans le domaine du Chimouch ’Hakhamim (se mettre au service du Sage). D’ailleurs, quand ’Hazal rapportent l’adage « Chimoucha Guédola Milimouda », ils prennent l’exemple d’Elicha qui sert Eliahou. Le verset affirme qu’« il [Elicha] se leva et suivit Eliahou et devint son serviteur. »[7] Le Tana Débé Eliahou[8] souligne que le verset ne dit pas qu’Elicha « apprit » d’Eliahou, mais qu’il le « servit » ; or le fait de servir un homme sage est plus important que d’apprendre de lui. C’est la raison pour laquelle il mérita de diriger le peuple plutôt que les Bné Hanéviim, bien que ceux-ci fussent d’un niveau supérieur au sien.

La Michna de Pirké Avot[9] prouve que le Chimouch ‘Hakhamim est fondamental pour réussir dans la Torah, c’est l’une des 48 façons de l’acquérir. Cela signifie que même si quelqu’un étudie constamment, voire devient apte à enseigner, il ne peut atteindre son plein potentiel en Torah s’il ne se met pas, d’une certaine manière, au service des ’Hakhamim. Rav Yaacov Emden[10] explique pourquoi le Chimouch ’Hakhamim est tellement important. Il écrit : « Par ce service, on ne se détache pas du maître, comme il est écrit, au sujet de Yéhochoua : "Il ne bougea pas de la tente". Ainsi, on voit et connait toutes les conduites de son maître. De même, dans le Dérekh Erets[11], rien ne lui est caché et même les "paroles futiles" des érudits en Torah sont analysées. C’est pourquoi, dans les générations antérieures, où les Juifs craignaient et tremblaient devant les paroles d’Hachem, même un sujet "banal" et des discussions mondaines, entendus de leurs maîtres leur étaient chers. »

Rav Emden nous enseigne que le Chimouch ’Hakhamim ne signifie pas seulement « les servir », mais, à travers leur service, passer du temps avec eux et observer chacune de leurs actions et de leurs paroles. Il semble que cette qualité élève les Guédolim au-dessus de certains érudits en Torah – bien qu’étant de grands Matmidim (assidus à l’étude), ils se dévouaient invariablement et consacraient autant de temps que possible avec leurs éminents maîtres.

Rav El’hanan Wasserman personnifiait cette vertu de l’élève qui fit tous les efforts possibles, non seulement apprendre de son maître – le ‘Hafets ‘Haïm, mais aussi à le servir et à l’observer. Tandis que les autres disciples apprenaient la Torah du ‘Hafets ‘Haïm, Rav El’hanan le considérait comme un Séfer Torah vivant et s’efforçait d’apprendre de chaque mot et de chaque acte. Dès qu’il entendait que quelqu’un parlait avec son Rav, il demandait à cette personne de lui révéler ce qu’il avait dit (si ce n’était pas secret), selon la version exacte. Son dévouement était tel qu’il devint une nouvelle personne en servant et en observant son maître.

Nous ne pouvons pas aspirer à atteindre le même niveau de Chimouch ’Hakhamim que ces grands hommes, mais les exemples de Yéhochoua, d’Elicha et de Rav El’hanan nous montrent qu’il ne suffit pas d’étudier la Torah, sans tenter de servir et d’apprendre de la conduite d’un érudit en Torah. Malheureusement, il est courant que cet aspect de la Avodat Hachem soit mis de côté, parce que l’on n’a pas conscience de son importance. On peut trouver difficile de se lier à un érudit en Torah, ce qui est certes vrai, mais plusieurs personnes ont prouvé qu’avec suffisamment d’efforts, ceci est possible et ces personnes atteignent souvent des niveaux plus élevés que leurs contemporains, qui sont peut-être plus intelligents et plus Matmidim.

 

[1] Taam Vadaat, Dévarim 1:38.

[2] Michbétsot Zahav, Yéhochoua, p. 8-9.

[3] Introduction au Yad ’Hazaka.

[4] Bamidbar Raba 24:14.

[5] Rachi, Mélakhim II 2:3.

[6] Rapporté dans Michbétsot Zahav, Mélakhim II, p. 24.

[7] Mélakhim I, 19:21.

[8] Tana Débé Eliahou Raba, chap. 5.

[9] Avot 6:5.

[10] Léchem Chamaïm, Avot 6:5.

[11] Ce terme peut faire référence à plusieurs choses – dans ce contexte, il s’agit de la façon d’agir dans la vie de tous les jours.