En dépit de ses versets difficiles, la paracha Ki Tavo est porteuse d’une espérance profonde.

La paracha commence par décrire la mistva relative aux Bikourim. Il s’agit des premiers fruits qui bourgeonnaient sur les arbres et que les agriculteurs étaient invités à identifier avec soin afin de les offrir ultérieurement au Temple de Jérusalem.

Ce commandement des Bikourim a vocation à nous éveiller à l’importance de la gratitude qui est un sentiment essentiel pour connaître l’apaisement et jeter sur le monde et la vie un regard positif et heureux.

La récolte des nouveaux fruits est une étape essentielle dans la vie d’un agriculteur, elle vient récompenser des mois de labeur, d’attente et d’angoisse. L’agriculteur pourrait alors être tenté de s’imputer à lui-seul le mérite de cette nouvelle récolte et oublier la providence divine qui l’a accompagné jusque-là et l’a épargné des vicissitudes qui auraient pu ruiner tout son travail.

Voilà pourquoi, il est invité à offrir ses premiers fruits à l’Eternel en guise de remerciement et de reconnaissance pour Son aide déterminante dans toute aventure humaine. « Tu lui diras: "Je viens reconnaître en ce jour, devant l'Éternel, ton Dieu, que je suis installé dans le pays que l'Éternel avait juré à nos pères de nous donner." […] Et tu diras à haute voix devant l'Éternel, ton Dieu: "Enfant d'Aram, mon père était errant, il descendit en Egypte, y vécut étranger, peu nombreux d'abord, puis y devint une nation considérable, puissante et nombreuse. […] »

Nos Sages ont retenu ces mêmes versets pour scander le récit de la Hagada de Pessah. Et de fait, lorsque l’homme célèbre sa liberté à Pessah, tout comme lorsqu’il cueille ses premiers fruits, l’objectif de la Torah est le même : veiller à ce que l’homme ne soit pas ingrat, et qu’il tourne son esprit vers D.ieu pour lui adresser remerciements et louanges.

La gratitude est une notion cardinale du judaïsme, elle se loge au cœur même de notre peuple puisque le mot hébraique « Juif » ou « Yehudi » contient la racine « modé » qui signifie « je reconnais le bien », « je remercie ».

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la première prière que chaque Juif récite le matin est celle « Modé Ani », signifiant « Je te remercie Roi de toute créature de me rendre mon âme… ». De même, durant la répétition de la Amida, tous les fidèles doivent reprendre à voix haute le passage du « Modim » « Nous te remercions » alors que pour le reste de la prière, la communauté ne doit répondre qu’Amen aux bénédictions énoncées par l’officiant. Nos Sages nous enseignent ainsi qu’en matière de remerciement, on ne peut déléguer cette prérogative à personne, et chacun doit toujours exprimer lui-même et directement sa reconnaissance (Eliyahou Rabba, cité par R. J. Sachs).

La gratitude a ceci d’essentiel qu’elle permet, d’une part, à l’homme de donner du poids aux évènements positifs qui surviennent dans sa vie. L’homme ne traverse pas la vie comme un aveugle, ouvrant les yeux uniquement sur les évènements négatifs, mais il célèbre aussi dans son esprit les évènements positifs du quotidien, l’absence de souci, la quiétude, les petits et grands bonheurs qui égaient sa vie. Il arrache ses évènements à la routine et la banalité qui menacent d’engloutir le quotidien des hommes, il les médite et diffuse dans son esprit un souffle de joie et d’apaisement. Cet exercice mental contribue à façonner positivement la structure mentale et affective des hommes en les éveillant aux bonheurs du quotidien.

Par ailleurs, la gratitude permet à l’homme de se sentir lié et de réaliser qu’il n’est pas seul au monde. Ce sentiment d’être accompagné par une présence ou des êtres bienveillants qui nous aiment et nous protègent est une grande source bonheur et d’apaisement.

Notre tradition nous invite en premier lieu à travailler notre gratitude à l’égard de l’Eternel et Le remercier « pour notre vie qui est entre Tes mains, notre âme qui T’appartient, pour Tes miracles de chaque jour, Tes merveilles et tes bontés de chaque instant, le soir, le matin, à midi » comme nous disons dans la Amida.

Cette réflexion prend un relief particulier au mois de Eloul ou chacun est invité à faire son introspection afin de faire Téchouva, se repentir de ses fautes. Nous ressentons alors une gratitude d’autant plus forte à l’égard de D.ieu pour toutes Ses bontés à notre égard que nous mesurons à quel point nous sommes défaillants. Cela ne peut que nous encourager à nous engager dans une techouva sincère et exigeante, et prendre les meilleures résolutions pour l’avenir.

Le sentiment de gratitude doit également s’appliquer aux femmes et aux hommes qui nous aident et nous sont favorables, au quotidien. Il est fondamental d’exprimer cette reconnaissance, de la verbaliser. En effet, à travers la gratitude, les relations humaines prennent davantage d’épaisseur, les hommes se sentent liés par une solidarité et une amitié profonde.

Nous le comprenons naturellement, celui qui jette un tel regard sur le monde et les Hommes est susceptible de ressentir une joie intérieure, de diffuser autour de lui cette approche positive de la vie, et déclencher des cercles vertueux d’amitié et de solidarité.

Enfin, nous ne pouvons faire l’économie cette semaine d’évoquer un autre point capital de notre paracha et qui correspond pleinement à notre « quête du bonheur » au fil de la paracha. En effet, une des raisons évoquées pour justifier les châtiments auxquels s’expose le peuple est la suivante « car tu n’as pas servi l’Eternel ton D.Ieu avec joie et bon cœur » (Devarim 28 .47). Ce verset est surprenant car il ne s’adresse pas à un homme qui ne sert pas D.ieu, il s’adresse à un homme qui sert D.ieu mais qui le fait sans joie.

Aussi, la joie est considérée dans notre tradition comme un élément indispensable du service divin. Elle constitue le meilleur baromètre pour savoir si l’homme est fidèle à l’esprit de la Torah.

En effet, l’étude de la Torah et la pratique des mitsvot ont vocation relier l’homme à son Créateur, à l’élever à la dignité la plus haute à laquelle il peut prétendre. Elles constituent un trésor donné aux hommes afin de leur permettre d’échapper aux instincts destructeurs de la nature humaine.

« La joie et le bon cœur » évoqués par notre verset ne désignent pas seulement la gaieté que l’on ressent face aux évènements positifs de la vie, mais ils désignent également les sentiments d’apaisement profond, de confiance dans la vie, et d’épanouissement que l’homme ressent lorsqu’il réalise qu’il coïncide avec ses aspirations profondes, et qu’il est lié et protégé par l’Eternel.

C’est précisément cette joie profonde que recherche la Torah, indépendante des évènements favorables de la vie, qui permet à l’homme de vivre auprès de l’Eternel, heureux et reconnaissant pour toutes les bontés dont Il nous comble.