Avec 74 mitsvot exposées dans la seule paracha de cette semaine, sa richesse et la diversité de ses thématiques peuvent surprendre et déconcerter le lecteur.

Elle vient toutefois nous rappeler, au cœur du mois d’Eloul, que la matière première de la Torah repose sur les mitsvot. Et, de fait, la Torah ne saurait être confondue avec un livre d’histoire, ou un manuel de philosophie, car elle a ceci de spécifique qu’elle ne se contente pas de disserter sur la sagesse ou l’éthique, mais elle formule et prescrit des règles de vie impératives sur tous les sujets qui intéressent l’homme, des plus triviaux au plus profonds. Ce sont précisément ces règles pratiques de la vie courant qui ont vocation à aiguiller l'homme vers son épanouissement et son bonheur.

Parmi les sujets évoqués dans notre paracha, certains versets nous indiquent l’attitude à suivre concernant les peuples qui ont pu être des ennemis des Enfants d’Israël. De manière surprenante de prime abord, la Torah établit une distinction entre les Egyptiens, ainsi que les peuples d’Ammon et Moav.

Relisons les versets en question : « Un Ammonite ni un Moabite ne seront admis dans l'assemblée du Seigneur ; même après la dixième génération ils seront exclus de l'assemblée du Seigneur, à perpétuité, parce qu'ils ne vous ont pas offert le pain et l'eau à votre passage » (Dévarim 23.4) « N'aie pas en horreur l'Egyptien, car tu as séjourné dans son pays. Les enfants qui naîtront d'eux, dès la troisième génération, pourront être admis dans l'assemblée du Seigneur. (Dévarim 23.8)

Comment comprendre cette différence de traitement entre ces deux peuples qui ont été de grands ennemis du peuple Juif ? Notre texte nous donne une première piste de compréhension en nous rappelant que “nous avons séjourné” en Egypte, et que par conséquent nous devons conserver une reconnaissance à cet égard. Naturellement, cette remarque nous surprend car ce séjour a bien mal tourné pour nos ancêtres qui sont devenus des esclaves dans des conditions terribles ! Cela est vrai. Toutefois, au début de notre séjour en Egypte, lorsque Joseph était vice-Roi d’Egypte, nous y avons été bien accueillis, avec hospitalité et respect, par le Pharaon et son peuple. La situation s’est vite gâtée mais il n’en demeure pas moins que ce mérite du départ ne doit pas être effacé.

Telle n’est pas le cas des Ammonites et des Moavites qui ont fait preuve d’une extrême cruauté en refusant de fournir de l’eau et de la nourriture aux enfants d’Israël qui sortaient de l’esclavage, et qui, de surcroit, ont mandaté ensuite Bilam pour détruire le peuple Juif par ses malédictions. Cette attitude est d’autant plus inexcusable que ces deux peuples doivent leur existence à la bonté d’Avraham qui était allé sauver leur ancêtre Lot, son neveu, menacé de mort. Mais les Moavites et les Ammonites ont la mémoire courte, et n’aiment pas se sentir redevables, il paient l’amour avec de la haine.

C’est précisément contre ce mauvais trait de caractère que la Torah cherche à nous prémunir en nous recommandant d’avoir de la gratitude...même pour les Egyptiens. 

La gratitude est un état d’esprit à acquérir qui n’est pas naturel et qui suppose de lutter contre certains réflexes instinctifs qui invitent l’homme à regarder la partie du verre “à moitié vide” plutôt que celle à “moitié pleine”. De même, nous avons parfois tendance à considérer que le bien que l’on nous procure est normal, nous remercions une fois, et passons à autre chose, nous l’oublions même parfois rapidement. En revanche, les attitudes qui ne nous plaisent pas ne passent pas facilement, elles occupent notre esprit, et s’imposent dans notre mémoire facilement. Elles menacent même de dissoudre et d’effacer le bien que l’on nous a fait.

La Torah semble nous recommander de nous éloigner de ces écueils en donnant un poids et une pérennité au bien que l’on nous a fait et de ne pas le prendre pour "acquis". Elle nous prouve une fois de plus combien elle connaît parfaitement les mécanismes de l’esprit humain. Les découvertes récentes de la psychologie moderne, et notamment le courant de "psychologie positive", souligne combien il est nécessaire pour son équilibre mental et son "bonheur" d'être capable de mobiliser des sentiments, des souvenirs, des pensées positives. Or, le cerveau ne va pas directement piocher de ce côté des souvenirs, bien souvent, il braque le projecteur naturellement sur des frustrations, des échecs, des événements douloureux. La Torah nous enjoint ainsi de ne pas laisser le dernier mot à ce fonctionnement automatique de la pysché humaine. Elle nous recommande d'être les acteurs de notre vie psychique en "nourrissant" notre cerveau avec des pensées ou des souvenirs positifs. Une telle attitude permet non seulement d'avoir une vie intérieure plus heureuse et apaisée (ce qui est positif pour la santé du corps), mais en outre de stimuler positivement notre esprit, en lui permettant de se projeter vers l'avenir et de répondre à ses aspirations profondes. Inversement, quand l'esprit est parasité par des pensées négatives, il tourne en rond, néglige le temps qui passe et perd de vue les enjeux essentiels de la vie.

En prenant le cas extrême des Egyptiens qui ont persécuté les Hébreux par la suite, la Torah veut peut-être nous suggérer d'être vigilant à ne jamais oublier les qualités positives ou bien les actes généreux qui ont pu être accomplis par les personnalités difficiles qui nous entourent. La Torah nous encourage à mobiliser les souvenirs positifs que nous avons avec eux, à nous rappeler et nous focaliser sur les bonnes actions qu'ils ont pu commettre afin de ne pas les disqualifier de notre vie, et d'être capable de laisser la porte ouverte pour renouer avec eux, apaiser les relations et leur tendre la main au moment opportun.

En cette période d'Eloul où nous devons travailler sur la Teshouva, faire une introspection afin d'amender notre comportement pour l'avenir, il était important que la Torah nous rappelle l'importance de la gratitude y compris vis-à-vis de ceux envers qui nous avons des sentiments mitigés, voire du ressentiment. N'oublions pas que la Teshouva suppose certes d'améliorer sa relation vis-à-vis de D.ieu, mais aussi, et c'est là le plus dur, d'apaiser sa relation avec les hommes. Une clef pour y parvenir est de mobiliser les souvenirs positifs que nous avons, de nous remémorer le bien qu'ils ont pu nous faire, même si le temps a passé, et d'essayer de puiser sa force sur ce noyau de positivité pour rebâtir de nouvelles relations.

Puisse l'Eternel nous permettre de mettre à profit ces reflexions du mois d'Eloul pour cheminer dans cette direction, et nous permettre de faire une Teshouva complète.