La Paracha de cette semaine coïncide avec l’actualité de notre calendrier puisqu’elle évoque les fêtes de notre tradition, et plus particulièrement le « compte du 'Omer ». Durant la période qui sépare Pessa’h de Chavou'ot, soit 49 jours, l’Éternel nous prescrit de compter chaque jour qui s’écoule de la manière suivante « Aujourd’hui, nous sommes le Xième jour du 'Omer, soit X semaines et X jours ».

Ce compte a ceci de particulier qu’il doit être fait individuellement. On ne peut pas se contenter de répondre « Amen » à la bénédiction récitée par l’officiant mais on doit soi-même répéter la bénédiction ainsi que le compte.  

Ce compte quotidien a vocation à rappeler à l’homme l’importance de chaque jour qui passe et combien ces jours peuvent être porteurs de grands changements. C’est ainsi que, durant cette période de 49 jours, les enfants d’Israël sont passés du plus grave degré d’impureté (la culture égyptienne) au plus haut niveau de sainteté (la réception de la Torah à Chavou'ot).

À travers ce compte quotidien du 'Omer, la Torah veut probablement attirer notre attention sur la vertu de « la régularité » et de la « persévérance ». Elle veut nous transmettre l’idée que ce sont nos petits efforts répétés quotidiennement qui permettent d’orienter notre vie positivement, de nous détacher de ce qui nous entrave, et d’atteindre notre épanouissement.

En effet, à défaut de pouvoir accroître la quantité de temps dont il dispose, l’homme a la possibilité d’enrichir sa qualité et de s’assurer qu’il accomplit, chaque jour, ce qui compte le plus pour lui.

Le compte du 'Omer vient ainsi opportunément nous rappeler que nous ne sommes pas de simples passagers dans le train du temps qui traverse notre vie, nous devons en être les conducteurs, et il nous appartient d’orienter nos décisions dans la direction qui correspond à nos aspirations les plus profondes.

Contrairement aux tragédies grecques, qui rendent l’homme prisonnier d’un destin (le fameux « fatum ») qui le dépasse et auquel il ne peut échapper, nous voudrions transmettre ici l’idée que l’homme a la liberté fondamentale de pouvoir rebattre les cartes de sa vie à chaque instant grâce à sa volonté, et au regard positif qu’il porte sur le cours de sa vie.

Cette attitude n’est pas aisée car elle s’oppose bien souvent à une petite voix intérieure qui n’y croit pas et cherche à nous décourager. « Après avoir passé tant d’années à faire telle ou telle erreur, comment peux-tu espérer sérieusement changer ? C’est impossible. Au mieux, tu pourras faire de simples coups d’éclat ponctuels, sans lendemain, mais tu ne peux pas changer véritablement ! »

Pour ne pas se laisser décourager par cette voix intérieure, il faut concentrer son énergie sur des objectifs modestes à court terme, et s’empêcher de se projeter sur la longue durée.

Dans cette perspective, nous devons nous efforcer de ne regarder que le moment présent, et de nous dire : mon défi consiste simplement maintenant à atteindre mon objectif. Peu importe si je n’y arrive pas demain, j’aurais au moins remporté cette victoire aujourd’hui.

Chaque jour, chaque instant où j’ai réussi à atteindre mon objectif, j’ai posé une nouvelle pierre dans l’édifice que j’essaie de construire.

Je m’efforce donc de ne pas regarder le futur dont je ne peux pas préjuger, et dont l’incertitude risque de me décourager, j’essaie simplement au jour le jour, à chaque décision que je prends, de « sauver » une « bonne » action, une « bonne » décision. Et, même si une fois, je n’y suis pas parvenu, ce n’est pas grave ; la prochaine fois, je réussirai.

Ensuite, chaque fois que je réussis à atteindre mon objectif, je prends le temps de m’en réjouir, de le noter, et d’y réfléchir. Chaque étape atteinte est une réussite et un succès que je célèbre comme tel.

C’est le principe bien connu des « quick wins », « victoires/réussites rapides » nécessaires à tout projet ambitieux afin de motiver les équipes.

Cette méthode est également celle que l’on conseille bien souvent aux victimes d’addiction : noter sur un calendrier les jours où elles ont réussi, par exemple, à ne pas boire d’alcool (Rav A. J. Twerski). Au bout d’un certain temps, en faisant le compte des jours où ils sont restés sobres, ils sont les premiers surpris de leur prouesse, jusqu’à réaliser un beau jour « En fait, je ne bois plus ! ». Leur objectif était simplement à l’origine de sauver quelques jours, ils ont en réalité sauvé leur vie !

Et ainsi va la vie, décision après décision, heure par heure, jour par jour, je peux sauver des quantités infinies de bonnes actions, qui réorientent sur la longue durée ma vie vers le bien, et vers mon épanouissement.

Pensons à l’image d’une goutte d’eau qui tombe sur une roche. Elle semble dérisoire, mais quelques siècles plus tard, on s’aperçoit qu’elle a perforé la roche.

Les grandes victoires sont bien souvent le fruit d’une succession de petits succès, de petites décisions positives qui ont pavé la voie à un grand succès final. Le plus dur résidait dans le démarrage, les premières fois où on doit se faire violence pour atteindre son objectif.

Le compte du 'Omer nous invite ainsi à méditer l’importance du temps qui passe afin de parvenir à valoriser chaque jour qui compose notre existence, car nos jours sont porteurs d’un potentiel de bonheur et d’épanouissement que, bien souvent, nous sous-estimons. Or cette prise de conscience de la valeur de chaque instant et de chaque jour est la clef vers une relation apaisée et harmonieuse au temps qui passe.

En effet, lorsque je suis convaincu de l’importance de chaque instant, je porte un regard particulièrement aiguisé sur la vie qui me permet de consacrer mon temps à ce qui a la plus grande valeur à mes yeux.

Par ailleurs, en développant cette conscience de la valeur de chaque instant, je saurai prendre le recul nécessaire face aux querelles absurdes, aux rivalités stériles, et aux mesquineries du quotidien, qui ne justifient en aucun cas de gâcher le temps précieux de mon existence.

Rappelons pour conclure cette anecdote. Une journaliste américaine interrogeait récemment la Rabbanite Esther Jungreis, rescapée de la Shoah qui avait eu une vie particulièrement intense. Après avoir échappé aux camps de la mort, elle avait fondé une famille et s’était investie dans la diffusion des valeurs de la Torah à travers le monde. Et la journaliste de lui demander  : « Finalement, quel a été le moment le plus intense de votre vie ? » Et la Rabbanite Jungreis de répondre « Maintenant ! ».

Elle signifiait ainsi que chaque instant de vie est porteur d’une lumière infinie. Il porte en lui l’expérience accumulée du passé, il est le pont vers un avenir encore indéterminé mais porteur des plus belles promesses. Chaque jour peut être l’occasion d’un nouvel accomplissement personnel ou relatif aux autres, avec de grands ou de petits gestes. Chaque jour peut nous permettre de nous rapprocher de ceux que nous aimons, et d’actualiser les valeurs qui nous tiennent à cœur.

La longue durée de nos vies n’est rien d’autre que la juxtaposition de ces petits instants de vie révélés à nous-mêmes et qui sont la source potentielle de grands accomplissements, le prélude à de grandes victoires. Ces victoires sont parfois modestes, silencieuses, elles n’existent que dans le secret de nos consciences et de nos cœurs, mais elles n’en demeurent pas moins héroïques !