Si l’on veut résumer les choses très brièvement, l’Histoire a un début et une fin, et c’est le peuple juif qui est dépositaire des clefs du dénouement.
Comme on a pu s'en rendre compte, ce n’est pas pour plaire à tout le monde, mais c’est un fait.
Les Juifs éloignés eux, un peu gênés, un peu pantois devant tant de « grandiosité », sentant bien qu’ils portent un title lourd, ne savent pas très bien quoi en faire.
Ils oscillent entre le sentiment de vague fierté que leur procure cet héritage, une perplexité devant les réactions extrêmes qu’il provoque chez autrui, et certains encore développent, ne sachant comment avaler ce privilège, une haine viscérale à leur propre endroit.
C’est la haine de soi, toute juive.
A-t-on observé ce phénomène dans une autre ethnie ? Un Zoulou qui se détesterait ? Un Arménien ? Un Esquimau ?
Il semble que non.
La problématique n’existerait que chez les Juifs, sans doute justement parce que les clefs qu’ils portent, inusitées, deviennent un poids bien encombrant.
Comme un homme qui aurait été doté d’un don artistique fabuleux, jamais exprimé, qui le rongerait de l’intérieur, le dévorant jusqu’à la folie.
La judaïté n’est pas une mince affaire, un « pédigrée » négligeable, qu’on pourrait faire taire par peur, par négligence, par manque d’intérêt, ou simplement parce que la vie et la course du quotidien ne nous donnent pas le temps d’y réfléchir.
Elle nous rattrapera, tôt ou tard.
Notre judaïté doit donc s’exprimer — et s’exprimer avec justesse — pour ne pas nous miner.
Et là, nous lançons un pavé dans la mare. Attention, ça va éclabousser.
La seule façon pour un juif d’être juif, c’est d’être juif.
Expliquons-nous.
Il n’y a pas d’alternative. "L’israélienneté" ne remplacera jamais la judaïté. La culture yiddish non plus. Les chansons de Chalom ‘Hanoch et d’Arik Einstein, non plus. Les poésies d’Alterman, non plus.
Aimer ce qui est juif, comme les plus grands réalisateurs du monde — Kubrick, Woody Allen, Wilder, Polansky, Spielberg — ne suffit pas.
Aimer Un violon sur le toit, Leonard Bernstein, Gershwin, Yehudi Menuhin, Ivry Gitlis, Barbra Streisand, ça ne nous rend pas encore juifs et ça ne protégera pas nos enfants et petits-enfants des séductions de l’assimilation.



Et même aimer l’État hébreu n’est pas suffisant.
C’est un début.
En fin de compte, être juif, c’est faire dans les actes, ici-bas, une petite chose qui me relie au Mont Sinaï.
En parlant d’attaches…
Mon père, de mémoire bénie, qui traversa l’Exil comme il put, s’attachait chaque matin les phylactères au bras et à la tête.
Il se levait tôt pour aller au travail, et c’est seulement le dimanche que je le voyais faire.
Il s’attachait ces étranges lanières de cuir et ces boîtes noires sur le front, qui, lorsque je m’approchais, avaient une odeur toute particulière.
Il les embrassait en les enlevant, et je comprenais que cela avait beaucoup d’importance pour lui.
Et si mon père, homme droit, consciencieux, soucieux du bien-être de sa famille, travailleur, qui, je le comprenais, avait un poste honorable, donnait tant d’importance à de mystérieuses boîtes noires et à des lanières de cuir, c’est qu’il avait une échelle de valeurs qui dépassait et transcendait ce que je percevais de lui au quotidien.
Ce sont ces gestes que je le voyais faire, qui à jamais m’ont rendue différente de mes camarades de classe.
Être juif, en fin de compte, c’est accomplir des gestes de Juifs, ici-bas.
Et ces gestes concrets, qui s’appellent les commandements — Mitsvot — sont nos précieuses clefs vers le dénouement.
Faudrait pas les perdre en route.





