Eli Charrabi, kidnappé le 7 octobre du Kibboutz Beeri, n’apprit la nouvelle de l’assassinat de sa femme, Liane, de ses deux filles, Noiya et Yahel, ainsi que de son frère Yossi, qu’ à sa libération, après 491 jours dans les tunnels du ‘Hamas.
Son livre autobiographique « ‘Hatouf – Kidnappé – », sorti le 5 juin 2025, se termine par cette phrase :
« J’avais atteint le fond, il ne me restait plus qu’une seule possibilité : remonter ! »
Eli a répondu à des dizaines d’interviews depuis son retour à la vie normale ; rasé, ayant repris du poids, chemise neuve, il porte au cou deux pendentifs : la cocarde jaune des otages, et l’autre, la plaquette en métal Bring them home now.


Calme, il répond aux questions de ses interviewers avec amabilité et une transparence déconcertante.
Comparer son incarcération à la Shoah ? Jamais de la vie.
« Rien à voir », dit-il.
Même après que la foudre se soit abattue sur lui, ayant perdu 30 kilos, affamé, menotté, battu, retenu dans des conditions sanitaires inhumaines et dégradantes, il pense que la Shoah reste un événement unique, hors de toute comparaison avec quoi que ce soit d’autre, même avec sa propre détention.
Il est suivi par une psychologue, bien entendu, car il porte en lui, dit-il, une énorme culpabilité : celle de n’avoir pas pu sauver sa famille.
Mais si l’on s’attend à découvrir un homme anéanti par sa tragédie personnelle, rien n’est plus loin de la vérité.
Il échappe à tous les formatages du prêt-à-penser qui voudraient lui coller à jamais sur le dos l’étiquette de la victime, du sacrifié, du malheureux.
Et ce n’est pas par fierté ou par amour-propre qu’il refuse les « titres » de celui qui a été « frappé par le destin ».
Il les rejette uniquement parce que ces définitions sont fausses, tout simplement, et qu’il croit en la vie.
Un film n’est pas raté parce qu’un passage est dur ou insoutenable.
Il dit que si la captivité lui a appris quelque chose, c’est ô combien cette vie est belle et précieuse et il est bien décidé à l'embrasser avec tout ce qu’elle a encore à lui donner d’extraordinaire.
Il fait la part des choses et réussit à délimiter sa tragédie, à l’empêcher de franchir les frontières qu’il lui a assignée, pour qu’elle n’inonde pas tout.
Les merveilleuses choses qu’il expérimente depuis sa liberté, comme manger ce qu’il aime, autant qu’il l’aime, marcher librement sur une plage au soleil en regardant les vagues, profiter de la chaleur familiale, de sa mère, de ses amis chers qui l’aident et l’entourent sont des cadeaux à prendre avec deux mains ouvertes, en remerciant le Ciel.


Il ne laisse pas le malheur éclabousser tous les domaines de son existence, il le « parque » dans un endroit très précis, très douloureux, mais il ne permet pas au deuil et au désespoir de tout envahir.
C’est sa force.
Et pourtant, il n’est ni dans le déni, ni dans le refoulement.
Il exprime sa peine, il pleure lorsqu’il évoque sa famille disparue, il n’a rien occulté.
Il « ose » même se définir comme un homme heureux, à l’étonnement de ses interlocuteurs.
Jamais victime. Jamais abattu. Éprouvé ? Oui.
Se dégage de cet homme, qui a compris comment « vivre » même après le pire, une force immense.
Qu’il se soit rapproché de la pratique et de la foi est presque un pléonasme, une évidence, puisqu'il est dans un constant remerciement. Chez lui, le retour à la tradition fait partie de sa renaissance, de son repositionnement en tant que Juif dans son histoire personnelle et celle universelle de son peuple.

D’ailleurs – pour rester dans l’actualité de cette période des trois semaines – le Juif en général n’a jamais laissé le malheur l’envahir, bien qu’il eût pu en avoir la tentation à d'innombrables occasions.
Cet optimisme, inoxydable au malheur et redoutable pour nos ennemis, nous a permis de continuer, même après le ‘Horban et la destruction de la Maison de l'Éternel par deux fois, suivi de notre départ pour le long Exil.
Eli nous montre à partir de son épreuve extrême, comment à notre échelle, on ne doit pas laisser le moins bon empoisonner le meilleur.
Qu’est ce qu’est un homme libre ?
Celui qui ne laisse pas les ramifications du malheur prendre racine et se propager en lui, qui leur impose un barrage et empêche ses métastases d’atteindre les autres organes de son corps et d’assombrir toute son existence.
Cher Eli, merci pour la leçon.






