Dans la deuxième partie, nous avons abordé le rôle du Machia’h ben Yossef qui consiste à détruire 'Amalek et à ouvrir la voie au Machia’h ben David.

Nous avons remarqué que le premier roi n’était pas Yossef, mais qu’il était issu de la tribu de Binyamin, et nous avons expliqué que Binyamin était une extension de Yossef. Nous avons également affirmé, en nous reposant sur le Chem Michmouel, qu’il aurait été impossible pour un descendant de Yossef d’être le premier roi, à cause du tort potentiel qu’il aurait engendré en raison du menu défaut de Yossef qui a pris de l’ampleur chez son descendant, Yérovam.

Nous n’avons toutefois pas traité l’une des questions posées dans la première partie, lorsque Chaoul ignore les instructions de Chmouel liées au moment d’apporter certaines offrandes. Chmouel lui dit : « Certes, l’Eternel aurait maintenu à jamais la royauté sur Israël. Et maintenant, ta royauté ne subsistera point… ».[1] Chmouel indique clairement que si Chaoul n’avait pas fauté, son royaume aurait duré pour l’éternité, mais ceci semble contredire la prophétie de Ya'acov selon laquelle le royaume doit appartenir à la tribu de Yéhouda.

Le Ramban traite cette question et propose deux explications : d’après la première, un des descendants de Chaoul aurait été le roi des tribus issu de Ra’hel (Binyamin, Ephraïm ou Ménaché). D’après la seconde explication, ils auraient été des dirigeants sous le règne des rois de Yéhouda.[2] Le Raavad avance le même argument que la seconde explication du Ramban, et explique que les descendants de Chaoul deviendraient des sous-dirigeants sous le règne des rois de Yéhouda.[3]

En réalité, Yéhonathan, fils de Chaoul, énonce cette idée à David lorsque son père poursuit David. Yéhonathan dit : « Ne crains rien, la main de Chaoul, mon père, ne t’atteindra point ; tu règneras sur Israël et moi, je serai ton second; Chaoul, mon père, le sait bien aussi. »[4] Le Chem Michmouel explique que cette prédiction se serait réalisée si Chaoul n’avait pas échoué dans sa tâche d’éliminer 'Amalek dans sa totalité.[5] Il semblerait que Yéhonathan n’était pas au courant de cette faille et pensait devenir le second du roi.

Le Rama de Pano explique également que si Chaoul n’avait pas commis de faute, Yéhonathan serait alors devenu le second du roi. Il ajoute que l’âme de Yéhonathan sera réincarnée dans celle du Machia’h ben Yossef, et c’est ce à quoi se réfère Yéhonathan lorsqu’il prédit qu’il sera le second de David.[6]

En acceptant son rôle de « numéro deux », Yéhonathan imitait Yossef.[7] Une brève analyse de l’époque de Yossef en Egypte indique qu’il était destiné à endosser le rôle du « second » : il devint d’abord le chef de la maison de Potiphar - le second de Potiphar; puis, il fut élevé à un poste similaire en prison, en devenant l’adjoint du directeur de la prison. Il assume enfin le rôle de vice-roi en Egypte, le second de Pharaon. Ce schéma indique le rôle de Yossef comme le numéro deux, le facilitateur. On pourrait facilement trouver ce rôle insatisfaisant - jouer le « second rôle » peut constituer un défi considérable pour le caractère. Un aspect clé de la grandeur de Yossef est sa disposition à accepter son rôle de facilitateur dans la joie.[8] Les descendants de Yossef ont varié dans leur faculté à imiter Yossef en acceptant leur rôle de numéro deux. Mais il semble que Yéhonathan ait excellé dans ce domaine.

Cette idée est évoquée par nos Sages : la Guémara cite Rebbe mentionnant trois personnages qui se sont distingués par leur humilité : l’un d’eux est Yéhonathan, fils de Chaoul, pour avoir annoncé à David qu’il allait régner, et qu’il serait le second du roi.[9] La Guémara s’interroge : Yéhonathan n’a peut-être pas manifesté une grande humilité, il a simplement reconnu que tout le monde suivait David et n’avait donc d’autre choix que d’accepter le fait qu’il ne serait pas roi. La Guémara n’apporte pas de réponse à cette question.

Le Michbétsot Zahav[10] suggère une réponse : bien qu’il soit vrai que Yéhonathan reconnaissait simplement la réalité, c’est en soi le signe d’une remarquable humilité, car il est très difficile d’accepter le rôle qu’on doit jouer lorsqu’il s’agit d’être subordonné à quelqu’un d’autre. En conséquence, nous apprenons de Yéhonathan une leçon essentielle : accepter le rôle assigné pour nous par la Hachga’ha, la Providence Divine.[11]


[1] Chmouel I, 13:14.

[2] Ramban, Béréchit, 49:10.

[3] Hasagot Haraavad 'Al Harambam, Hilkhot Mélakhim, chapitre 1, Halakha 9.

[4] Chmouel 1, 23:17.

[5] Chem Michmouel, Vayéchev, 5677, p.102.

[6] Maamar ‘Hikour Hadin, ‘Hélek 4, chapitre 16.

[7] Et comme nous l’avons expliqué, bien que Yéhonathan fût issu de la tribu de Binyamin, cette tribu constitue en fait une continuation de Yossef, car ils étaient tous deux issus de Ra’hel.

[8] Yéhochou'a est l’exemple-type d’un homme qui accepte un rôle secondaire avec une humilité remarquable, tandis que Yéravan ben Nevat n’a pas accepté ce rôle, avec des conséquences désastreuses. Consultez mon Dvar Torah sur la Paracha Vayigach, « Yossef, l’adjoint », pour une discussion poussée autour de cette idée.

[9] Baba Métsia, 85a.

[10] Chmouel I, chapitre 23, Verset 17, pp.414-415.

[11] Ceci ne signifie pas que nous devons accepter des limites pour nos accomplissements spirituels, qui sont définis par notre libre arbitre, mais ceci se réfère plutôt à des événements externes qui sont hors de notre contrôle et qui déterminent notre place dans la vie.