Cela fait plus d’un an que Guerchon déambule de ci et de là chez lui, pour tenter de dissiper son terrible ennui. Depuis qu’il a été licencié de son emploi précédent, il a tenté sa chance en postulant à plusieurs emplois occasionnels, mais il n’a pas réussi à tenir le coup quelque part plus d’une semaine.

Dans son supermarché de quartier, on ne cherchait pas d’employés supplémentaires, dans le magasin d’outils, on préféra embaucher un homme plus jeune que lui, et dans le magasin de costumes de Cohen, il recruta uniquement des vendeurs stylés. C’est la norme lorsqu’on vend des costumes, tu es obligé d’être classe.

Lorsque tu t’ennuies, tu cherches une occupation. Et Guerchon trouva : il commença à s’occuper de chercher un emploi. Tous les matins, il se plongeait dans la lecture des petite brochures distribuées gratuitement dans sa boîte aux lettres, prenait une feuille et un stylo et inscrivait toutes les petites annonces d’emploi, puis il commençait à téléphoner.

Lorsqu’ils demandaient un CV, il comprenait tout seul que son CV n’impressionnerait pas ses employeurs potentiels, et il décida de le réécrire. Il modifia la ligne de « rangement des produits au supermarché » en : « Directeur de la section de rangement d’une grande chaîne de supermarchés » et remplaça la ligne de « Homme de ménage d’une chaîne de magasins » par « Directeur de la section sanitaire de la chaîne Zol Cham ». 

Au bout d’une heure de travail, il obtint un CV impressionnant. Il ne lui restait plus qu’à convaincre son voisin de lui faire une faveur en envoyant le CV par fax à 57 numéros différents. Vous l’avez compris, Guerchon tentait le coup partout, il n’avait en effet rien à perdre.

Après des semaines d’envois de CV, au final, le coup de téléphone arriva. « Bonjour, c’est Guerchon ? Nous avons été impressionnés par votre CV. Vous êtes convoqués à un entretien d’embauche dans nos bureaux, les tours Achalyot à Tel-Aviv, demain à 10 heures du matin, cela vous convient ? »

« Quoi, qui est-ce, quand ? » Il était quelque peu confus et tenta de réveiller sa voix endormie. Qui téléphone à 11 heures, de bon matin, et le réveille en plein milieu d’un doux rêve ? Au moins dans son rêve, il avait un super job.  

« Sans problème, demain à dix heures, je suis chez vous. » Il promit et tint promesse. C’était la première fois depuis un an qu’il se levait tôt… il repassa sa chemise, nettoya ses chaussures et s’empressa de prendre la route pour Tel-Aviv.

* * *

A 9 :55 il se trouvait déjà devant l’entrée de la tour. « Quelle tour ! » pensa-t-il. « Je me souviens, lorsque j’étais petit, il y avait ici des appartements où logeaient des Yéménites. Une chambre au 32ème étage avec vue sur mer ne me ferait aucun mal. »

« 32ème étage » : il appuya sur le bouton. 3 secondes plus tard, l’ascenseur s’ouvrit à nouveau. « Apparemment, l’ascenseur est en panne », se dit-il et appuya à nouveau sur le bouton 32. « Mais alors, tu es au 32ème étage, pourquoi jouer avec l’ascenseur ! » lui fit remarquer un jeune homme qui pourrait avoir l’âge de son fils. Ah, ces Tel-Aviviens, ils n’ont pas le moindre savoir-vivre ! Comment pouvait-il se douter que cet ascenseur était si rapide ? Dans son immeuble, il lui faut plus de temps pour arriver au troisième étage. Ici, c’est bien plus sophistiqué.

« Ouah, même leurs bureaux sont hyper classe », se murmura-t-il. « Je ne dois pas leur montrer mon enthousiasme », se dit-il, « je dois me présenter comme un homme ayant des exigences, c’est la seule façon d’obtenir un salaire décent. »

« Une plaque imposante l’accueillit de loin. Lee cabinet d’avocat Meizelich et Shapira. Il ne comprenait pas pourquoi tous les cabinets d’avocats, ainsi que les cabinets d’experts-comptables, portaient des noms ashkénazes. Il n’avait jamais vu de bureau d’avocats se nommant Bouzaglo et Suissa. Ok, admettons. L’essentiel, c’est qu’ils offrent un bon salaire.

« Que voulez-vois boire ? » lui demanda aimablement la secrétaire, « un Expresso, un Capuccino ou un Machiatto ? Nous avons aussi du café au lait. » Quel rapport avec lui ? Il ne sait même pas prononcer le nom de ces boissons bizarres. « Cappucino, on dirait Papoutshinko, donnez-moi juste du café noir, c’est tout, avec une sucrette, le sucre ne me fait pas de bien… »

En y réfléchissant, il ne savait même pas comment il était arrivé ici. Il essaya de réfléchir aux endroits où il avait envoyé son CV, mais sans se rappeler exactement, pour la simple et bonne raison qu’il avait envoyé des CV à tout le monde. « Tenter sa chance partout », comme il répétait souvent.

* * *

Un homme âgé, portant des lunettes et vêtu d’un costume impeccable, entra dans la pièce. « Bonjour Guerchon », lui dit-il en lui serrant la main. « J’ai compris que vous aviez beaucoup d’expérience, et une carrière impressionnante dans le domaine du droit. Vous avez dirigé le département juridique de la firme MPM ? Racontez-moi un peu votre expérience dans cette société, et le rôle que vous y avez joué. »

Guerchon commença un peu à suer, commencez à expliquer à l’homme en face de vous que les initiales de MPM correspondent à Mordékhaï Fhima du kiosque, et que son rôle avait consisté à vendre dans le kiosque, et à répondre aux clients de cette façon : « Bonjour », « Il n’y a plus de Marlboro », « Je n’ai pas de monnaie », « Faites de la monnaie dans le magasin d’en face. »

Il lui fallut quelques secondes pour se ressaisir, et pour être franc et direct avec ce patron sympathique. « Je ne suis pas vraiment juriste, mais j’ai une grande expérience de la vie, et d’excellentes relations humaines. Bien entendu, jusqu’au moment où on me cherche. Vous avez des beaux bureaux ici, j’aurais aimé travailler ici. »

« Vous avez beaucoup d’humour, j’aime ça », dit le boss, mais Guerchon s’entêta. « Moi ? De l’humour ? Quel rapport ? La vie est dure, qui a le temps de faire des blagues ? Je suis sérieux avec vous. »

Le boss aima moins cette blague. « Très bien, mon ami, mon temps est précieux. J’étais content de vous parler. Bonne journée. »

« Quoi, bonne journée ? » s’énerva Guerchon. « Je veux travailler ici. Qu’est-ce que ça peut faire si je n’ai pas de licence en droit ? Et si je n’ai pas de diplôme d’avocat ? Qui êtes-vous pour décider ce que j’obtiendrais  ou non ? Je voudrais travailler ici, un point c’est tout. Tous ces diplômes, ce sont de simples feuilles de papier, tout est des bêtises. Et ne dites pas que je ne vous ai pas prévenu : je voudrais une chambre avec vue sur mer. Pas avec vue sur la route. Je viens demain à huit heures ? »

* * *

Non, ce n’est pas drôle. Cette histoire est parfaitement authentique, et elle se produit parfois.

A chaque fois, quelqu’un d’autre tente de réécrire le judaïsme, de redéfinir les règles du jeu, et de crier sur nous en prétendant que nous détenons « le monopole de la religion »… Il ne reste que l’homme intelligent, debout sur le côté, pour rire de lui, et d’une voix ferme, lui montrer la direction de la porte de sortie.

Parfois, ce sont les média, parfois, ce sont les réformés, et dernièrement, ce sont les deux à la fois. Apparemment, il ne vaut pas la peine de nous donner du mal pour leur expliquer en quoi ils se trompent. Il faut les regarder avec beaucoup de compassion, qu’ils jettent leur verre de Capuccino à la poubelle, et qu’ils ferment la porte après leur départ.

Efraïm Gil'ad