Le roi David avait deux membres de sa famille moins connus qui sont décrits par nos Sages dans les termes les plus élogieux. La Guémara[1] indique que quatre personnes sont mortes en raison du « conseil du serpent » : Binyamin, fils de Ya'acov, Amram, père de Moché, Ichaï, père de David, et Kilav, fils de David.

Cette déclaration énigmatique doit être expliquée : avant la faute d’Adam, son âme se trouvait à un tel niveau de pureté qu’il aurait vécu pour toujours, mais lorsqu’il mangea de l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal, il introduisit dans son âme une impureté spirituelle. En conséquence, l’homme devait mourir pour que son âme se sépare de son corps et que son corps puisse avoir la possibilité de se purifier des effets de la faute. Toute faute entraîne une impureté absorbée par l’homme et en conséquence, toute personne qui a fauté devait mourir pour se purifier. Or, quatre Tsadikim qui étaient si purs au point de n’avoir jamais fauté, moururent uniquement en raison du « conseil du serpent » qui a entraîné le premier péché affectant tout être humain. Deux de ces Tsadikim étaient le père de David, Ichaï et Kilav, son second fils.[2]

Deux questions se posent à partir de cette Guémara. La première : généralement, lorsqu’on cite le nom d’une personne, il est fréquent de citer également le nom de son père, comme Binyamin, fils de Ya'acov, mais pour deux de ces Tsadikim de cette liste, la Guémara les relie à leurs fils illustres : Amram et Ichaï.

Une seconde question : tandis que ces quatre Tsadikim sont certes révérés, ils ne sont pas considérés avec la même vénération que leurs parents mentionnés dans la Guémara. Lorsque nous considérons les remarquables personnalités de l’histoire juive, Yaakov, Moché et David sont parmi les premiers à être abordés, même si nos Sages mentionnent qu’ils ont fauté, tandis que les quatre Tsadikim ont une place moins prédominante. Compte tenu de leur perfection, pourquoi n’occupent-ils pas une place plus importante dans le Tanakh et nos Sages ? En effet, le père de David, Ichaï et son fils Kilav sont à peine mentionnés dans le Tanakh et nos Sages, tout en faisant leur éloge, ne passent pas beaucoup de temps à les évoquer.

Il semblerait que la Guémara fasse allusion au fait qu’en dépit de la perfection de ces quatre Tsadikim, une attention plus grande est accordée à leurs proches, d’où le fait qu’ils soient mentionnés en relation avec leurs proches, qu’ils soient le père ou le fils de Tsadikim parfaits. A priori, s’abstenir de fauter n’est pas le seul baromètre pour mesurer la grandeur. En effet, la Guémara affirme que les Tsadikim parfaits ne peuvent se tenir là où se tiennent les Baalé Téchouva, des individus ayant fauté dans le passé.[3] Le Rambam explique qu’ils se trouvent à un niveau plus élevé, car ils ont conquis leur Yétser Hara' afin de se séparer de la faute.

Le Roi David est un exemple classique du Ba'al Téchouva : en réalité, la Guémara affirme qu'Hachem a permis à David de fauter avec Batchéva pour qu’il se repente et serve d’exemple au peuple juif sur le pouvoir de la Téchouva.[4] Dans le Livre de Chmouël, on se réfère à lui comme un Houkam 'Al - haut placé.[5] La Guemara explique que cela signifie qu’il a Hékim 'Ol Chel Téchouva : il a élevé le joug de la Téchouva.

De plus, les commentateurs nous enseignent que David n’était pas doté de traits de caractère parfaits, et qu’il a dû surmonter ses tendances naturelles pour accéder à la grandeur.[6] Il se peut qu’à un niveau infime, ces dispositions ont été en partie responsables de ses quelques fautes subtiles, mais le fait qu’à chaque fois qu’il a fauté, il a fait Téchouva à un niveau aussi élevé signifie qu’il pouvait accéder à un niveau plus élevé qu’un pur Tsadik.

Autre aspect pour lequel David peut être considéré à un niveau plus élevé que les Tsadikim parfaits. Ceci repose sur une idée de Rav ‘Haïm de Volozhyne. Il écrit que dans le Chemona Essré de Roch Hachana, nous disons que Hachem juge « Ma'assé Ich Oupékoudato ». Ma'assé Ich, ce sont les actions personnelles d’un individu, mais que signifie Pékoudato ? Il explique que chaque personne a une sphère d’influence au-delà de lui-même, qui inclut sa famille, ses élèves, et toute personne avec laquelle il entre en contact. La manière dont il influence cet entourage par ses propres actions est Pékoudato, et il est jugé dans ce domaine également. David excellait dans le domaine de Pékoudato, dans tout ce qu’il fit pour le peuple juif dans le cadre de ses fonctions royales, en les protégeant contre leurs ennemis, en enseignant la Torah, en composant des Téhilim, en initiant la construction du Beth Hamikdach, et bien plus. De cette manière, quelqu’un qui ne faute jamais ne peut néanmoins atteindre un niveau aussi élevé, car il n’a pas autant d’influence directe qu’un homme qui œuvre en faveur du Klal, le peuple d’Israël.

On pourrait s’interroger à cet égard sur le concept de 36 justes cachés qui maintiennent le monde. En s’appuyant sur le point précédent, une dimension devrait leur manquer, car ils sont cachés et n’ont pas une influence directe sur le monde. Une réponse à cette objection est que l’idée d’un Tsadik caché ne signifie pas forcément que personne ne le connaît, mais plutôt que sa vraie grandeur était inconnue. Dans cette veine, on dit que le ‘Hafets ‘Haïm, l’un des plus grands hommes d’influences de la génération précédente, était un Tsadik caché, car sa véritable grandeur était cachée.

Une autre approche au concept de Tsadik caché a été donnée par le Rav Israël Salanter. Il expliquait qu’à son époque, où le besoin était pressant d’aider le Klal, toute personne qui restait cachée ne pouvait être qualifiée de Tsadik. Ceci s’applique certainement aujourd’hui face aux myriades de problèmes auxquels fait face le Klal Israël.

Ichaï et Kilav étaient d’immenses Tsadikim, au point de n’avoir jamais fauté. Mais David les éclipse, et il constitue un exemple à imiter en raison de sa faculté à surmonter l’échec et son immense influence sur le peuple juif.


[1] Chabbath, 55b, Baba Batra, 17a.

[2] C’était le fils d’Avigail ; il est aussi identifié au personnage de Daniel.

[3] Brakhot, 34b. Une opinion dans la Guémara semble objecter. Mais le Rambam tranche de cette manière.

[4] Avoda Zara, 4a-b.

[5] Chmouël II, 23:1.

Voir le texte : La faute de David et de Chaoul – la Nékoudat Habé’hira.