L’un des aspects les moins commentés de la Méguilat Esther est le fait qu’il constitue l’un des principaux comptes-rendus de la seconde Galout (exil), celui de Parass (Perse) et Madaï (Mède).[1] Il est extrêmement important de comprendre la nature des quatre exils, car ils représentent les formes élémentaires du mal dans le monde. Nous le voyons dans l’interprétation du Midrach sur le second verset du ‘Houmach. La Torah dit : « Or la terre n’était que tohu (solitude) [2] et bohu (chaos)[3], des ténèbres couvraient la face de l'abîme, et le souffle de Dieu planait à la surface des eaux. »[4] Le Midrach nous révèle une allusion plus profonde au verset : « La terre n’était que tohu », c’est le royaume de Bavel, comme il est dit : « J'ai regardé la terre, et voici tout y était chaos (tohu) informe. » [5]Et bohu, c’est le royaume de Mède, comme il est dit : « Ceux-ci firent diligence (Vayévahelou) pour conduire Haman. »[6]...

Le Maharal explique que dès le début de la Création, quatre aspects du mal imprégnaient le monde, incarnés par les quatre nations qui ont exilé le peuple juif. En conséquence, il est très important de comprendre le caractère spécifique de chaque pays en exil. Quelle est la caractéristique particulière des Perses ? Le Midrach les décrit comme représentant le terme Bohu dans le verset, qui est lié au terme de la Méguilat Esther Vayévahélou, provenant de la racine du terme Béhéla, qui se traduit par la précipitation, la confusion et une conduite hâtive.

Pourquoi le Midrach décrit-il les Perses comme incarnant le trait de Béhéla ? Le Béer Yossef offre un certain nombre d’exemples de la conduite perse indiquant qu’ils possédaient ce trait destructeur. Il rapporte la Guémara dans Méguila décrivant le roi perse, A’hachvéroch, comme un homme changeant constamment d’avis, en raison de ses décisions hâtives.[7] Nous le voyons à l’œuvre lorsqu’il condamne rapidement à mort son épouse Vachti, puis, peu de temps après, regrette sa décision. De même, il ordonne rapidement l’exécution de Haman. Un commentateur explique que si Haman était passé par un processus juridique, il est probable qu’A’hachvéroch se serait calmé et se serait abstenu de le condamner à mort.[8] Cette précipitation n’était pas limitée au roi. La Guémara relate aussi que lorsque le roi envoya des missives ordonnant le meurtre des Juifs sur plusieurs mois, le peuple les aurait tués immédiatement si ce n’est les soupçons éveillés par de telles lettres.[9] Le Béer Yossef souligne que c’est ce trait de Béhala qui a posé un tel danger au peuple juif dans cette Galout, car lorsqu’on agit précipitamment, il y a un risque de prendre des décisions drastiques et parfois préjudiciables.   

Nous voyons de la manière la plus frappante la gravité du trait de Béhala dans la remontrance adressée par Yaakov Avinou à son fils, Réouven. De nombreuses années plus tôt, Réouven avait fauté en déplaçant le lit de Yaakov.[10] Yaakov l’avait critiqué pour la précipitation de sa conduite. En conséquence de ce trait de caractère, Réouven perdit son droit à la Békhora (les privilèges du premier-né), son rôle de roi, et son statut de Cohen (prêtre). Il ressort clairement des conséquences dramatiques de sa précipitation momentanée que le trait de Béhala est considéré comme fort préjudiciable. La précipitation pousse la personne à prendre des décisions sans prendre suffisamment en considération les conséquences de ses actions. Ceci semble être le fond de la critique de Yaakov sur l’acte de Réouven ayant déplacé le lit de son père. Il a agi impulsivement, sans réfléchir aux conséquences de ses actes.

Il va de soi qu’une conduite hâtive est clairement la cause d’une grande négativité qui jette une ombre sur les relations humaines. Des mots blessant sont généralement dits sur un coup de tête, comme après une crise de colère. En s’abstenant d’agir ou de réagir immédiatement aux événements, on peut éliminer une bonne partie de cette précipitation dangereuse qui provoque tant de dégâts. Dans cette veine, Rav ‘Haïm Chmoulévitz zatsal explique que l’antidote du trait de Béhala est mentionné dans la Michna de Avot : « Sois prudent dans ton jugement. »[11]Ceci nous enseigne que l’on doit peser soigneusement ses actions avant de les réaliser.

Nous apprenons de la Méguila que la seconde Galout était caractérisée par le trait de Béhala. C’est un trait qui demeure un fléau dans notre vie. Puissions-nous tous mériter de le surmonter.


[1] La Perse et Mède. Il constitue un exil unique, en dépit du fait que deux nations y sont impliquées. Pour la suite de ce texte, nous mentionnerons uniquement le terme « perse », par souci de simplicité.

[2] Le terme Tohu se traduit approximativement par vide.

[3] Le terme Bohu est très difficile à traduire - voir le second paragraphe pour sa traduction.

[4] Béréchit, 1:2.

[5] Yirmiyahou, 4.

[6] Méguilat Esther, 6. Voir le Midrach pour la dérivation des deux autres exils (celui de Grèce et d’Edom) du verset.

[7] Méguila, 15b.

[8] Inutile de préciser que dans ce cas, la précipitation d’A’hachvéroch était bénéfique - néanmoins, ceci ne change rien au fait qu’il a manifesté le trait de Béhala ici.

[9] En effet, la première lettre envoyée était liée à une loi bizarre sur la soumission des femmes à leur mari. Ceci a entraîné une grande méfiance vis-à-vis des lettres envoyées par le roi.

[10] Voir Paracha Vayichla’h, 35:22 avec les commentaires pour un compte-rendu de cet incident.

[11] Avot, 1:1.