Yifta’h est l’un des juges les moins connus qui figure dans le Livre des Juges.[1]C’est un remarquable combattant, fils d’une concubine de Guilad de la tribu de Ménaché, dont l’héritage légitime lui est renié par ses demi-frères, compte tenu du statut de concubine de sa mère. Il quitte Erets Israël et rassemble un groupe de combattants. Des années plus tard, le peuple juif, attaqué par les Ammonites, l’implore désespérément de revenir, et lui propose même de devenir leur dirigeant. Il rentre et triomphe des Ammonites au combat. Nos Sages ne semblent pas louer excessivement Yifta’h, affirmant qu’il n’était ni particulièrement érudit ou vertueux sous certains aspects.[2] Mais si l’on pousse l’analyse plus loin, les commentateurs trouvent des points positifs qui peuvent être une source d’inspiration pour nous.

Comme mentionné ci-dessus, Yifta’h fut écarté de force de son héritage légitime par ses demi-frères. Les commentateurs remarquent qu’en tant que puissant combattant, il aurait certainement pu acquérir par la force ce qui lui revenait, mais il voulait éviter la Ma’hloket (discorde) et il s’enfuit au pays de Tov. Le terme de « Tov », à savoir « bon », n’est pas familier des commentateurs qui font des interprétations homilétiques de son usage. Le Daméssek Eliézer [3] suggère que le terme « Tov » fait allusion à la bonne action à son actif lorsqu’il a évité la Ma’hloket. Le Rabbi d’Ozrov [4]développe ce concept en remarquant que le terme Tov dans la Torah fait allusion à la paix. Nous le voyons dans le récit de la Création de la Torah. A la fin de chaque jour, Hachem vit que Sa création ce jour-là était « Tov », à l’exception du second jour. Le Midrach[5] explique que le second jour, la Ma’hloket a été créée par la séparation entre les eaux du haut et du bas. En conséquence, depuis que Yifta’h a agi pour éviter la Ma’hloket, il est décrit comme ayant fui vers un lieu nommé Tov.

Le ‘Hida[6] développe les grands efforts de Yiftza’h pour éviter la discorde. Il analyse pourquoi Yifta’h a quitté Erets Israël alors qu’il aurait pu fuir vers un lieu éloigné dans les frontières d’Erets Israël. Il explique qu’il savait qu’en restant en Erets Israël, il serait obligé de venir à Jérusalem pour les trois fêtes de pèlerinage, et il redoutait de rencontrer l’un de ses frères à cette occasion, ce qui pourrait envenimer encore plus la Ma’hloket. En conséquence, il se rendit en ‘Houts Laarets, à l’étranger, dans le but d’éviter l’obligation de se rendre à Jérusalem.[7]

Le Messilot HaNéviim, relevant toutes ces sources, souligne que la description de Yifta’h par les Prophètes fait de lui un Guibor ‘Hayil, un puissant combattant. Il suggère que ceci ne se réfère pas uniquement à ses prouesses physiques, mais à sa faculté à conquérir son penchant à se battre pour l’héritage qu’il méritait. On y trouve une allusion dans cette question des Pirké Avot : « Qui est un homme puissant ? » et la réponse : « Celui qui conquiert son mauvais penchant. » Yifta’h, par ses remarquables efforts pour éviter une Ma’hloket, a mérité le titre de Guibor ‘Hayil, ayant certainement fait preuve d’une forte volonté pour quitter sa terre natale afin d’éviter une querelle là où on lui avait causé du tort.

Malheureusement, un autre épisode de la vie de Yifta’h ne jette pas une lumière aussi positive dans ce domaine. Après avoir vaincu les Ammonites, la tribu d’Ephraïm se plaint que Yifta’h ne leur a pas demandé de se joindre à lui dans la guerre.[8] Il répond que plusieurs fois par le passé, il leur avait demandé de se joindre à lui pour des combats et ils avaient refusé, et de ce fait, il avait décidé de ne pas se reposer sur eux à nouveau. En conséquence de cette réponse brusque, une guerre civile eut lieu au cours de laquelle de nombreuses vies furent perdues. Les commentateurs expliquent que la réplique de Yifta’h était justifiée, mais comme il avait été tellement brutal, la tribu d’Ephraïm se sentit insultée et une guerre préjudiciable s’ensuivit. Le Métsoudot David remarque que les Bné Ephraïm avaient exposé le même argument injustifié lors d’un épisode avec le juge Guidon, mais il leur avait répondu avec beaucoup d’humilité et s’était abstenu de les réprimander pour leur conduite. En conséquence, ils furent apaisés, et la paix fut maintenue. [9]Dans ce cas, Yifta’h ne réussit pas à s’humilier en faveur de la paix, et cela eut des conséquences désastreuses.

Il est difficile de savoir pourquoi Yifta’h a agi différemment dans deux situations, mais cela nous enseigne que le facteur décisif pour savoir comment procéder dans un désaccord potentiel est de savoir que deux choix s’offrent à nous : soit l’on redouble d’efforts pour rester sur sa propre position, soit l’on est Mévater (on renonce), même si on est sûr d’avoir raison. Dans le premier cas, Yifta’h s’est abaissé et a fui la Ma’hloket, bien qu’il eût des arguments valables, mais dans le second cas, il défendit sa position, et bien qu’il eût raison, les conséquences furent désastreuses.

Yifta’h nous rappelle les grands bénéfices de s’abaisser dans le but de maintenir la paix, et les périls de suivre une autre conduite, même si l’on a raison.


[1] Il figure dans le Séfer Choftim, chapitres 11-12.

[2] Voir Béréchit Rabbah, 60:3, Midrach Tan’houma, Bé’houkotaï 5, Yalkout Chimoni, Nakh 67.

[3] Haftarat ‘Houkat, citée dans Messilot HaNéviim, Choftim 1, p.329.

[4] Béer Moché, Séfer Choftim, chapitre 11, cité dans Méssilot HaNéviim, ibid.

[5] Béréchit Rabba, 4:6.

[6] Na’hal Sorek, Haftarat ‘Houkat, ‘Homat Ana’h, Choftim, chapitre 12.

[7] Voir Tossefot, Pessa’him, 3b, Dh: Mealékha; Michné LéMelekh, Korban Pessa’h, 1:1.

[8] Choftim, 12:1-6.

[9] Voir Michbétsot Zahav, Choftim, p.177.