Découvrez la course-poursuite palpitante de Sophie en quête de son héritage, au cœur d'une enquête qui lui fera découvrir la beauté du judaïsme. Suspens, humour et sentiments... à suivre chaque mercredi !

Dans l’épisode précédent  : Sophie apprend que la fausse journaliste s’était rendue en Israël. Mais Sarah Silberman la prévient que poursuivre l’enquête pourrait être dangereux. Sophie hésite, jusqu’à ce que le conseil sur le choix de son prénom hébraïque  lui donne la réponse qu’elle cherchait... 

Ce ne fut qu’une fois assise dans l’avion, côté hublot, à regarder l’aéroport s’éloigner de son champs de vision, que Sophie réalisa qu’elle était en partance pour Israël alors que, deux jours avant, ce voyage n’était même pas prévu !

Décidément, elle avait fait preuve de plus d’audace et de spontanéité ces derniers mois que dans toute une vie. 

Depuis qu’elle avait appris que la journaliste Ingrid Florange était la destinataire de la lettre de sa tante, elle s’était mise en tête de retrouver cette femme qui avait trahie sa tante Ida. Mais Sarah Silberman qui travaillait au CVIS (le comité responsable de retrouver les biens spoliés aux Juifs pendant la Shoah) l’avait mise en garde : cette Florange devait faire partie d’un réseau qui recelait des oeuvres d’art. Et même si des dizaines d’années s’étaient écoulées depuis, retrouver cette femme pouvait se révéler une entreprise risquée. 

D’un autre côté, Sophie ne s’était pas faite prier pour retourner en Israël. Elle avait beau se dire que sa fille lui avait manqué, ainsi que ses nouvelles amies, sa cousine Iréna et la Rabbanite Margalite, mais elle savait au fond d’elle que ce n’était pas que ça. Quelque chose d’unique à ce pays pas comme les autres, l’avait touchée en plein coeur et depuis le moment où elle était rentrée à Paris, elle avait le sentiment d’avoir laissé quelque chose derrière elle. 

Quand à Yoël...disons qu’elle serait heureuse de le revoir pour lui faire part de ses dernières découvertes, même si elle ne pouvait s’empêcher d’y penser en souriant, seule, assise sur son siège.

Les retrouvailles avec sa fille Léa furent encore plus chaleureuses qu’elle ne l’avait imaginé. Ces quelques semaines de séparation s’étaient faites ressentir chez Sophie et sa fille. Après avoir déposé ses affaires à l’hôtel, mère et fille étaient parties se balader dans la vieille ville de Jérusalem. Et elles n’arrêtaient pas de rire en se racontant toutes les aventures qui leur étaient arrivées depuis qu’elles s’étaient quittées : 

  • “Et figure-toi que ma copine Ariella va se marier ! On était cho-quées quand elle nous l’a appris il y a 2 semaines. En fait, surtout parce qu’on n’était paaaaaas du touuuut au courant qu’elle était en Chiddoukh !
  • Et vous lui en avait voulu de ne pas vous l’avoir dit ? 
  • Franchement ? Non. C’est sûr qu’avant, je n’aurais pas compris qu’une amie proche me cache quelque chose d’aussi important, mais on a appris au séminaire à juger “LéKav Zékhout”, c’est-à-dire du bon côté. Moi quand j’ai appris qu’elle s’était fiancée, je me suis dit “elle doit avoir ses raisons pour l’avoir gardé pour elle jusque là”.
  • Et alors ?
  • Ben tu sais quoi ? On aurait dit qu’Hachem m’avait envoyé un test !  Parce que quelques jours après nous l’avoir dit, elle m’a raconté que l’année dernière elle devait se fiancer mais son Chiddoukh s’est arrêté brutalement et ça lui a fait beaucoup de peine de devoir l’annoncer à tout le monde. Du coup elle ne voulait pas revivre ça une nouvelle fois. Heureuuuusement que je n’ai pas ouvert ma bouche pour lui faire une réflexion, tu imagines ? 
  • Dis-donc, j’ai l’impression que ce séminaire te plaît beaucoup, hein ?

Elles s’étaient arrêtées près d’un glacier, plus que tentant par cette chaude soirée d’été. Après avoir acheté des glaces, Sophie réalisa que Léa n’avait rien dit depuis que sa mère l’avait interrogée au sujet du séminaire. 

  • Léa ma chérie tout va bien ? Tu es bien silencieuse d’un coup.
  • Maman, est-ce que tu m’en voudrais si...si je te disais que j’aimerais rester étudier au séminaire..mais cette fois-ci pour toute l’année ?

Sophie regarda sa fille et se raisonna : avant de croire que Léa voulait profiter d’une année de liberté au soleil, elle aussi devait essayer de la juger du bon côté. Et ce fut comme si elle la voyait pour la première fois. Elle la trouvait tellement changée. Plus épanouie, plus sereine...plus heureuse tout simplement.

  • J’ai envie de te dire oui Léa, mais as-tu pensé au bac ? Et quelles études feras-tu après ? 
  • Oui j’y ai pensé. Ca n’est pas incompatible, je peux passer le bac ici et pour les études...ben comme j’envisage de faire ma vie en Israël, autant les commencer ici.
  • Ah bon ? Première nouvelle, et tu as décidé ça comme ça ?
  • Ouais. Tu vois maman, quelques fois c’est très sympa d’être une ado “rebelle”, ça me permet de prendre des décisions sans avoir à réfléchir trop longtemps”.

Léa avait dit cette dernière phrase en plaisantant, mais Sophie ne pouvait qu’admirer la confiance et détermination de sa fille. Elle aussi aurait tout donné pour avoir son âge et pour consacrer toute une année à étudier la Torah. 

Mère et fille reprirent leur balade dans les rues calmes de la vieille ville. Sophie ne savait pas si elle devait dire à sa fille qu’elle avait commencé à se renseigner sur l'Aliya, quand elle eut la sensation désagréable que quelqu’un marchait de trop près derrière elle. Elle se retourna brusquement, mais la rue était déserte. 

  • Qu’y a-t-il maman ?
  • Non rien, j’ai cru qu’il y avait quelqu’un derrière nous.
  • Ça doit être le vent.

Elle reprirent leur marche en direction du Kotel, Léa était absorbée dans la description du Vort - la fête de fiançailles - de son amie Ariella. Sophie écoutait d’une oreille distraite. Elle jetait de temps en temps des coups d’oeil derrière son épaule et quelques fois, elle aurait pu jurer voir une ombre tapie dans les recoins de la rue.

  • Léa, je suis fatiguée après ce voyage, rentrons dormir à l’hôtel, on ira au Kotel une prochaine fois.”

Elles rebroussèrent chemin et Sophie hâta le pas. Peut-être que tout ça n’était que dans sa tête ou peut-être pas…

Le lendemain matin, Sophie repensa à sa peur de la veille et se sentit ridicule. Cette sensation était sûrement dûe à son imagination et à la mise en garde de Sarah Silberman. Après avoir quitté sa fille, Sophie se rendit dans la galerie Ahuva, en centre-ville. C’était l’adresse que Sarah lui avait donnée, celle-là même où Ingrid Florange s’était rendue quelques 30 ans plus tôt. D’après les quelques informations qu’elle avait reçues, cette galerie était parmi les plus anciennes du pays. Quand elle entra dans la galerie, une belle jeune femme d’une trentaine d’année, l’accueillit d’un chaleureux “Chalom”. 

Sophie demanda à s’entretenir avec Ahouva Kohn, mais fut frappée de stupeur quand celle-ci répondit : “c’est moi”. 

  • Vous êtes Ahouva Kohn ? La propriétaire de la galerie.
  • Je suis sa gérante en effet. Mais à voir votre tête, vous espériez peut-être rencontrer ma grand-mère paternelle ? Je porte son nom. 

Oui c’était plus logique, pensa Sophie. Elle expliqua à la jeune Ahouva la raison de sa venue et celle-ci se figea net.

  • Alors grand-mère disait vrai ?!
  • Je vous demande pardon ?
  • Ecoutez j’ai des clients qui arrivent, je ne peux pas quitter la galerie. Revenez ce soir à 20h, je vous accompagnerai chez ma grand-mère, je vais la prévenir de votre venue. Il faut absolument que vous lui racontiez ce que vous venez de me dire. Je dois vous laisser, à ce soir”.

Ahouva sourit comme si de rien n’était et partit accueillir ses clients… en laissant Sophie abasourdie à la porte.

Le soir, comme prévu à 20h, elle était de nouveau devant la galerie, bien décidée à rencontrer la grand-mère Ahouva Kohn, qui visiblement pourrait l’aider dans ses recherches.

La jeune Ahouva ferma la galerie et sourit à Sophie, avec le même sourire chaleureux du matin, puis lui dit : “Je suis désolée, je n’avais pas le temps de discuter ce matin, vous avez du trouver mon attitude étrange. Suivez-moi, ma grand-mère habite dans la rue derrière”. Ahouva lui montra le chemin et en quelques minutes seulement, elles se trouvèrent dans le majestueux salon de la vieille dame, qui les attendait en faisant les cents pas à l’aide de sa canne. 

Dès qu’elle les vit entrer, elle leur dit immédiatement : “Vous ne savez pas depuis combien d’années j’attends ce moment !”

Sophie était confuse. Pourquoi cette vieille dame qu’elle n’avait jamais rencontrée l’attendait ainsi et pourquoi son attitude exprimait autant d’empressement que de tristesse ?

Sophie prit place dans le canapé et attendit que la vieille dame prit la parole. Ce qu’elle fit comme si elle était pressée de parler : 

  • “Depuis que ma petite-fille m’a appelée ce matin pour me parler de vous, je n’ai pas été tranquille. Laissez-moi vous raconter mon histoire. Ma famille vient d’Angleterre et s’est installée à Jérusalem, fin des années 30. A l’époque, les temps étaient très durs, alors après quelques années nous sommes retournés à Londres, avant que la guerre éclate. Après la guerre, il n’y avait plus de place pour les Juifs nulle part ailleurs alors ma famille a décidé de revenir ici, mais nous étions considérablement appauvris et cette angoisse du manque d’argent nous a suivi de nombreuses années. Nous avons ouvert cette galerie, quand je me suis mariée et nous vendions des tableaux Judaica, principalement des familles juives d’Europe de l’Est. Mais c’était difficile, nous manquions d’argent. Au début des années 80, une femme est venue dans la galerie, elle disait être une marchande d’art et avait repéré certains de nos tableaux dans les catalogues et voulait les acheter. Mon mari me disait de refuser, qu’il n’avait pas un bon pressentiment et je partageais son intuition, mais cette femme avait apporté des dollars, beaucoup de dollars dans un sac de voyage. On était acculés, sur le point de fermer la galerie alors j’ai cédé.”

La vieille dame se tut, le visage empreint d’une infinie tristesse. Sa petite-fille l’encouragea à continuer : 

  • “Grand-mère, tu nous as dit que tu avais regretté cette décision par la suite, peut-être que tu peux expliquer pourquoi à Mme Sophie…?
  • Shapiro. Je m’appelle Sophie Shapiro et mon grand-père s’appelait Shmulik Grinbaum, c’était un peintre-’Hassid polonais.
  • Grinbaum...Shmulik Grinbaum...oui je me souviens. Dans le lot que cette femme a acheté, il y avait une toile de Shmulik Grinbaum : “l’homme au Sefer Torah”. C’était une oeuvre magnifique. Un ami de mon mari, qui vivait à Kazimierz en Pologne. 
  • C’est la ville de mon grand-père ! l’interrompit Sophie.
  • Je me souviens que cet homme avait vendu le tableau à mon mari à contre-coeur après la Shoah, mais il faut le comprendre, il n’avait pas d’argent et venait de s’installer ici.
  • Mme Kohn, Sophie réfléchit au choix de ses mots, pour ne pas heurter la dame, pourquoi avez-vous regretté la vente des toiles à Ingrid Florange ?
  • Parce que j’avais un mauvais pressentiment sur cette femme, mais je lui ai quand-même vendu les tableaux. Plusieurs mois après, le Mossad m’a contactée et m’a interrogée. Ils avaient découvert que son passeport était un faux et qu’elle n’était pas ce qu’elle disait. J’ai passé beaucoup d’heures dans leurs bureaux à répondre à leurs questions, ainsi qu’à celles des hommes de Moché Gluk, le bras droit de Simon Wiesenthal.
  • Simon Wiesenthal… le…?
  • Oui Mme Sophie, le chasseur de nazis. Vous comprenez maintenant ? J’ai vendu des tableaux à des nazis, moi Ahouva Kohn. J’ai profité de leur argent et jusqu’à maintenant je porte cette culpabilité en moi.”

Sophie observa longuement Ahouva Kohn qui baissait la tête, confuse de honte et de tristesse. Les mots de sa fille lui revinrent d’un coup en mémoire : “Savoir juger favorablement”. Comment faire des reproches à cette dame ? Elle comprenait les circonstances de la vente, la peur de perdre sa galerie, l’angoisse de manquer d’argent...est-ce qu’elle Sophie aurait réagi différemment à sa place ? A part D.ieu, personne ne le saurait jamais.

Elle se leva et, sans un mot, alla poser sa main sur celle de la vieille dame. D’un regard, celle-ci comprit toute la compassion et un sourire de remerciement silencieux se dessina lentement sur son visage sillonné de rides.

Quand Sophie prit congé des deux femmes, elle était sous le choc. Des receleurs nazis...à la recherche des toiles de son grand-père… dans quelle affaire était-elle embarquée ?

La suite la semaine prochaine...