Découvrez la course-poursuite palpitante de Sophie en quête de son héritage, au cœur d'une enquête qui lui fera découvrir la beauté du judaïsme. Suspens, humour et sentiments... à suivre chaque mercredi !

Dans l’épisode précédent  : Sophie et sa fille Léa ont rencontré les amies d’enfance de la tante décédée, qui leur ont parlé de la Shoah et de la vie dans le ghetto. Sur leurs conseils, elles décident de partir à Tel-Aviv rencontrer une cousine, qui pourrait en savoir plus sur la mystérieuse lettre retrouvée dans les affaires de la défunte…

Léa et Sophie étaient montées dans le bus, direction Tel-Aviv, à la rencontre de la cousine Iréna. Elle ne serait pas difficile à trouver, puisqu’elle était… à l’hôpital ! La pauvre femme âgée avait fait une mauvaise chute et se retrouvait la cheville plâtrée, sans pouvoir se déplacer. Heureusement qu’elle avait prévenu les amies d’enfance de la tante Ida. Depuis qu’elle était arrivée en Israël, Sophie avait l’impression de chercher une aiguille dans une botte de foin, sans avoir l’impression de progresser. C’était décidé, après la visite chez la cousine, elle annoncerait à Léa leur retour à Paris. 

“Maman, pourquoi les gens devant se disputent ?” 

Sophie n’avait même pas remarqué l’agitation à l’avant du bus. Elle était trop absorbée par cette idée de retour en France. Mais effectivement, en levant les yeux, elle voyait plusieurs personnes haussant le ton face à une femme assise, un bébé tout rouge, en pleurs dans ses bras.

“Je n’ai aucune idée de ce qu’ils se disent, Léa, ils parlent en hébreu et très vite !” 

A ce moment, une jeune fille assise devant elles, se retourna et leur dit dans un grand sourire en français : 

“Ils sont en grand débat pour savoir pourquoi cet enfant pleure non-stop ! 

- Ah ok, j’ai compris, répondit Léa, c’est parce qu’il leur casse les oreilles. Je comprends, j’avoue que je suis à deux doigts de mettre mon casque sur les oreilles. 

- Ah mais pas du tout ! Ce n’est pas pour ça qu’ils s’excitent ! Tout le monde se préoccupe du bébé et chacun cherche à l’aider. Là, tu vois, le monsieur chauve qui parle très fort, dit la jeune fille en le pointant du doigt, dit que le bébé a chaud et qu’il a besoin d’eau. Et l’autre dame en face, pense elle que c’est un mal d’oreille, quant à la troisième dame, bah je capte pas tout, mais je crois qu’elle raconte comment elle faisait avec ses enfants quand ils étaient petits. 

- Ouah ! Tout ça pour un bébé, dit Léa étonnée.

- Qu’est-ce que tu crois ? On est en Israël, ici on se mêle de tout, mais pour le bien, ça veut dire qu’on se soucie de notre voisin, comme si on était une grande famille. Je t’avoue des fois c’est lourd, quand par exemple on te demande, sorti de nulle part, si tu es mariée et qu’on veut te présenter des inconnus. Mais dans l’ensemble, moi j’aime. C’est aussi pour ça que j’ai fait la ‘Aliya, ce n’est pas quelque chose que tu verrais ailleurs !”

Intriguée, Léa alla s’assoir à côté de la jeune fille et elles se mirent à discuter tout le trajet. Elle s’appelait Ariella, elle vivait à Jérusalem depuis près de 3 ans et trouvait que c’était la meilleure “décision qu’elle aie prise” de venir vivre en Israël. Elle raconta à une Léa fascinée son quotidien d’étudiante dans une école religieuse, ses sorties, ses cours de Torah. 

Sophie se dit en écoutant Ariella parler avec joie de son école, qu’elle aurait tout donné pour que Léa partage cet enthousiasme, elle qui trainait toujours des pieds pour aller étudier… quand elle se décidait à aller en cours. 

Grâce à la jeune étudiante, le trajet leur sembla plus rapide que prévu et déjà le bus entrait dans Tel-Aviv. 

“On doit se rendre à l’hôpital Ikhilov, vous savez dans quelle direction nous devons aller ?” demanda Sophie à Ariella, quand elles descendirent du bus. 

Ariella décida de marcher avec elles jusqu’à l’arrêt d’autobus, pour “ne pas qu’elles se perdent en route”. 

Mère et fille étaient vraiment surprises par autant de bienveillance. Et quand elles lui le dirent, Ariella répondit dans un grand rire : “Alors vous allez adorer Israël, c’est comme ça qu’on fait ici. Ça crie fort parfois, mais les gens ont un grand cœur.” Effectivement, ça donnait envie. 

Léa et Ariella s'échangèrent leurs numéros en promettant de se revoir à Jérusalem, puis Ariella reprit son chemin. Grâce à son aide précieuse, mère et fille arrivèrent facilement jusqu’à l’hôpital. 

En arrivant dans la chambre indiquée, elles trouvèrent une vieille dame, qui devait être Iréna, assise dans un fauteuil, face à un garçon en costume noir et chapeau, ainsi qu’une jeune fille, qui semblait avoir le même âge que Léa.

“Maman, je crois qu’on s’est plantées, c’est pas la bonne chambre, viens on sort avant qu’ils nous voient… Aïe trop tard !” murmura Léa.

La dame âgée tourna la tête vers elles, et Sophie décida de se présenter : 

“Je suis Sophie, la fille de votre cousin Simon de Paris.” Elle avait beau avoir fêté ses 40 ans depuis longtemps, Sophie se sentait intimidée d’un coup.

Il y eut de chaleureuses embrassades et quelques larmes de la part d’Iréna, qui ne s’attendait pas à cette surprise.

Léa regardait intriguée les deux jeunes personnes assises près du fauteuil de la vieille dame. Peut-être qu’ils étaient ses petits-enfants ? 

Iréna suivi le regard de Léa et compris la curiosité de la jeune fille : “Laissez-moi vous présenter Yinon et Batchéva. Ce sont les jeunes enfants de ma Rabbanite. Ils viennent me voir presque tous les jours depuis Jérusalem, ce sont des Tsadikim

- Des quoi ?, demanda Léa timidement.

- Littéralement, ça veut dire des Justes en hébreu, mais Mme Iréna emploie ce mot gentiment pour dire de nous que nous sommes des personnes qui faisons le bien, répondit Yinon. D’ailleurs, nous allons vous laisser, mais si vous le voulez bien, on reviendra la semaine prochaine.

- Oh oui, mes enfants, je vous attends avec impatience ! J’ai hâte d’en savoir plus sur ‘Akiva et sa femme Ra’hel. Rentrez bien.”

Une fois Yinon et sa petite sœur Batchéva partis, Sophie et Léa s’installèrent.

“Qui sont ‘Akiva et Ra’hel ?, demanda Sophie, qui n’aurait pas été étonnée de découvrir de nouveaux membres de cette famille, que finalement, elle connaissait bien mal.

- Rabbi ‘Akiva ! Répondit en riant la vieille dame. Un des plus grands maîtres de la Michna ! Ces jeunes sont formidables, à chaque fois qu’ils viennent, ils m’apprennent plein de choses sur la Torah.”

Puis, le visage d’Iréna se ferma et son sourire disparut. Elle se confia : “ Vous savez, j’ai vécu toute ma vie dans l’ignorance. D’abord l’ignorance de la guerre, j’étais une enfant cachée chez une famille catholique par-delà la frontière, avec une fausse identité, qui ne disait rien de sa vraie famille. A la fin de la guerre, je suis partie à Paris, j’étais adolescente et je m’étais faite la promesse de profiter un maximum de la vie, de sortir, voyager, m’amuser. Il ne fallait pas me parler de foi, mais de liberté, c’est pour ça que je n’ai jamais voulu avoir d’enfant. Pour moi, c’était synonyme d’emprisonnement.” Iréna se tut, visiblement, elle regrettait à présent sa décision.

“Comment avez-vous rencontré Yinon et Batchéva ? demanda Léa, qui essayait de changer de sujet.

- Oh, mais je les ai vus naître !” Iréna retrouvait le sourire à présent. “Après la guerre, notre famille s’est réduite à mon cousin Simon et sa mère, Myriam. Chaque année, le 18 mai, nous nous retrouvions à la synagogue du quartier, à Paris, pour commémorer la disparition de nos familles. C’est comme ça qu’à force, j’ai fait connaissance avec le Rav et la Rabbanite, quand ils vivaient encore en France et nous avons gardé contact depuis. 

- Et pourquoi vous avez quitté la France pour Israël ?, demanda Léa.

- En fait, un jour que je rangeais des photos de mes parents disparus pendant la Shoah, j’ai réalisé qu’Hitler - que D.ieu efface son nom -  avait réussi son horrible plan. 

- Hein ?

- S’il n’avait pas réussi à exterminer tous les Juifs du monde, il avait quand-même éloigné beaucoup d’entre nous, dont moi, de la foi en D.ieu et de la pratique. Et ce jour-là, ce fut comme un déclic. Je me dis en moi-même : ‘Je ne te laisserai pas gagner !’ C’est comme ça que je me suis mise à m’intéresser au judaïsme. Et vous savez quoi ? Plus j’apprenais, plus tout devenait censé et clair. Et voilà comment j’en suis venue à faire ma ‘Aliya, pour pouvoir rattraper le temps et vivre une vie de Torah en Israël.

- Waw, c’est trop beau”, souffla Léa. 

Iréna regarda la jeune fille, émue.

Sophie n’avait pas envie de gâcher cette ambiance, mais elle brûlait d'envie de lui montrer la lettre et la lui tendit.

Iréna observa la lettre et passa ses doigts sur l’écriture, comme si elle pouvait ressentir les mots sur le papier. Sans rien dire, elle ferma les yeux et soupira.

“Oui, je suis au courant”, dit-elle calmement.

Sophie et Léa marquèrent un temps d’arrêt. Tant de questions se pressaient dans la tête de Sophie, mais elle ne voulait pas se risquer à brusquer Iréna. 

“Votre tante Ida était à la recherche des tableaux de son père, le peintre Shmulik Grinbaum. Sophie, est-ce que ta mère t’a parlé de lui ?

- Euh...non, bredouilla Sophie, sous le choc de la révélation. 

- Ne t’inquiète pas, je m’en doutais. Il ne faut pas en vouloir à ta mère, elle a vécu l’horreur des camps. Elle a été arrachée à ses parents, à son frère, ses grands-parents, ses cousines… On n’en a jamais parlé, mais je pense qu’elle ne pouvait pas reparler du passé, c’était la seule survivante avec sa sœur. Et c’était un fardeau très lourd à porter, je sais de quoi je parle, malheureusement.

- Est-ce que le grand-père Grinbaum était connu ? demanda Léa.

- Oh oui, sourit Iréna. Déjà, il était très connu dans la communauté. A Kazimierz, on l’appelait le peintre-‘Hassid. C’était rare chez les ‘Hassidim de peindre des tableaux. Mais je me souviens que tout le monde admirait ses toiles. Des gens venaient même d’autres villes pour lui acheter des peintures ! Un jour, ça devait être peu de temps avant la guerre, un Allemand avec un beau costume est venu dans notre petite ville pour rencontrer M. Grinbaum, ça m’avait impressionnée. Nous étions une petite communauté juive orthodoxe près de Cracovie, aucun notable ne venait nous voir. 

- Qui était cet homme ?, demanda Léa.

- C’était un marchand d’art et il avait proposé une grande somme d’argent pour une série de tableaux que Shmulik avait peint, tout le monde en parlait dans le quartier ! Mais, je ne sais pas pourquoi, votre grand-père ne voulait pas vendre cette série de tableaux.

- Alors que s’est-il passé ?” Sophie et Léa questionnèrent Iréna en même temps.

“La guerre a tout changé. Des rumeurs ont commencé à circuler, disant qu’il fallait fuir et que pour passer la frontière, il fallait payer des passeurs, des Polonais, qu’ils demandaient une fortune, mais qu’après au moins, on serait en sécurité. 

- C’est comme ça que vous vous êtes retrouvées à passer la frontière ?

- Oui, mais, malheureusement, mon père n’avait pas assez d’argent pour faire passer tout le monde, donc étant leur fille unique, ils n’ont pu envoyer que moi... et je ne les ai jamais revus.”

Elle se tut, visiblement émue par le souvenir de ses parents disparus. 

“Je suis vraiment désolée, répondit sincèrement Sophie. Et pour Shmulik Grinbaum ?

- Juste avant que mes parents me fassent quitter la ville, il s’était passé quelque chose d’étrange. Shmulik devait lui aussi traverser la frontière avec toute la famille, et me prendre sous sa garde. Mais un peu avant, il s’est absenté quelques jours avec ses tableaux et au retour, il n’avait plus aucune peinture, ni l’argent pour payer les passeurs polonais. Je me suis retrouvée à traverser la frontière seule, et la famille Grinbaum a été parquée dans le ghetto de Cracovie au même moment. 

- Il est revenu sans ses tableaux, vous pensez qu’on les lui a volés ?”, demanda Léa qui essayait de faire le lien avec la lettre retrouvée.

- C’est aussi ce qu’Ida a pensé. Des années après, elle s’est rendue à Paris, je crois qu’elle menait l’enquête. Elle en avait parlé à ta mère, Sophie, mais Halina ne voulait rien entendre. Pour elle, le passé était mort.

- Au bout du compte, dit Léa, les tableaux ont disparu et tante Ida n’a jamais pu les retrouver.

- En quelques sorte, oui”, répondit Iréna d’un ton résigné. 

Encore une impasse ! Sophie se désespérait. Pourquoi, quand elle ouvrait une fenêtre sur sa vie et sa famille, elle se heurtait à un mur ?

“Dommage, soupira Léa. On ne saura jamais si grand-grand-père Shmulik était un peintre doué.

- Ça, je n’en suis pas si sûre. répondit mystérieusement Iréna. Vous devriez aller rencontrer ma Rabbanite, qui vit maintenant à Jérusalem. C’est la mère de Yinon et Batchéva que vous avez vus. Ida l’avait rencontrée et je suis sûre qu’elle pourrait vous donner plus d’informations sur ses peintures.

- Euh...oui, pourquoi pas. De toutes façons, on doit retourner à Jérusalem.

- Ça tombe bien, sourit Iréna, demain c’est Chabbath et je suis sûre que la Rabbanite sera ravie de vous recevoir. Et pour l’avoir vécu, un Chabbath chez elle est une expérience incroyable. Je l’appelle de suite, vous allez adorer !”  

Puisqu’elles n’avaient pas leur mot à dire, Sophie et Léa s’apprêtaient à vivre leur premier Chabbath, à Jérusalem, chez la Rabbanite de leur lointaine cousine ! 

La suite, la semaine prochaine...