La Parachat Vayigach est très centrée sur la confrontation entre Yéhouda et Yossef et sur la relation entre ces deux tribus tout au long de l’histoire. Ces Parachiot évoquent une autre relation, moins connue, mais non moins significative – celle de Yéhouda avec Binyamin. Dans la Parachat Mikets, Yéhouda se porte garant auprès de Yaacov Avinou et lui promet de ramener Binyamin du périple en Égypte, où il devait rencontrer le sévère Vice-roi. Cela signifie qu’il fut prêt à mettre sa propre vie en danger pour la sécurité de Binyamin. Au début de la présente Paracha, Yéhouda montre sa détermination à tout faire pour assurer la sécurité de Binyamin, un acte de Méssirout Néfech sans précédent. Son dévouement est d’autant plus remarquable, étant donné la jalousie que Yéhouda, fils de Léa aurait pu avoir à l’égard de Binyamin, fils de Ra’hel, que Yaacov favorisait clairement.

Comme l’enseigne le Ramban, « Maassé Avot Siman Labanim » – les actes de nos ancêtres sont un signe de ce qui se passe ultérieurement, avec leurs descendants. En effet, nous voyons plusieurs exemples, dans la Bible, qui montrent le lien unique entre Yéhouda et Binyamin, plus qu’avec toute autre tribu.

L’exemple le plus frappant est la relation entre David – descendant de Yéhouda – et Yonathan, le fils du roi Chaoul, membre de la tribu de Binyamin. Yonathan avait de très bonnes raisons de jalouser David puisque ce dernier allait prendre le pouvoir et recevoir la royauté. L’héritier de Chaoul était de toute évidence Yonathan, donc il allait tout perdre si David montait au trône. Pourtant, au lieu d’envier celui-ci, il développa un amour sincère à son égard. Le prophète affirme que « l’âme de Yonathan se lia à celle de David ». Notons que la seule fois où la Torah emploie une expression similaire pour parler d’une relation entre deux personnes, fut quand Yéhouda parla du lien qu’entretenait Yaacov avec… nul autre que son fils Binyamin : « Son âme [celle de mon père] est liée à l’âme de Binyamin. » Et plus l’hostilité de Chaoul envers David s’intensifiait, plus Yonathan se sentit lié à lui et accepta volontiers de rester de côté : « N’aies crainte, la main de Chaoul mon père ne t’atteindra pas. »[1]

II semble que la Messirout Néfech et l’altruisme que manifesta Yéhouda à l’égard de Binyamin créa un amour profond entre les deux, qui se manifesta plusieurs siècles plus tard, par un amour inconditionnel du descendant de Binyamin – Yonathan – pour celui de Yéhouda – David. Là aussi, à l’instar de Yéhouda qui aurait pu envier Binyamin, mais qui mit ce sentiment de côté, Yonathan fit fi de toute jalousie et se dévoua corps et âme pour venir en aide à David[2].

Ce lien positif entre Yéhouda et Binyamin ne se limite pas à des particuliers. Quand le peuple juif se scinda, toutes les tribus rejoignirent Yérovam pour établir le royaume d’Israël, à l’exception de la tribu de Binyamin qui resta fidèle au royaume de Yéhouda.

Toutefois, le ’Hikré Lev parle de la relation bien plus hostile entre les membres des tribus de Yéhouda et de Binyamin – il s’agit de celle entre David et le roi Chaoul lui-même. À l’origine, Chaoul semblait aimer David, mais son amour se transforma en jalousie féroce dès lors qu’il réalisa que David allait prendre sa place sur le trône. Le prophète nous raconte que la haine de Chaoul naquit quand il entendit que des femmes chantaient « Chaoul tua des milliers et David des myriades »[3]. Ceci éveilla la jalousie de Chaoul au point qu’il chercha à tuer David. Il n’y parvint pas, mais son hostilité l’entraîna à commettre un crime haineux ; il anéantit toute la ville de Nov, ce qui causa sa mort par la suite, en pleine bataille.  

Le ’Hikré Lev[4] demande comment un sentiment de jalousie a pu ébranler un homme aussi vertueux que Chaoul. Il estime que c’est également une manifestation du principe « Maassé Avot Siman Labanim ». Quand a-t-on vu qu’un ancêtre de Chaoul fut jaloux d’un ancêtre de David ? La Torah nous raconte qu’étant encore fertile, Ra’hel jalousa Léa, qui avait déjà plusieurs fils. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une basse convoitise, mais Ra’hel envia Léa pour les bonnes actions qui lui donnèrent le mérite d’avoir des enfants. Le ’Hikré Lev estime que la jalousie de Chaoul provient de cet incident et s’exprima par la suite de manière moins positive. Il souligne que le verset parla de la jalousie de Ra’hel après la naissance du quatrième enfant de Léa[5], qui n’est autre que Yéhouda ! Ce sentiment se perpétua chez les descendants de Ra’hel et ceux de Léa – et chez Yéhouda en particulier.

En une autre occasion, on trouve un membre de la tribu de Binyamin qui jalousa David.il s’agit de Chéva ben Bikhri – qui est appelé Ich Yémini – qui se rebella contre David[6] .

Le ’Hikré Lev précise que le principe de Maassé Avot Siman Labanim ne signifie pas que les générations suivantes n’eurent pas de libre arbitre. Preuve en est, Yonathan et David parvinrent à se défaire de ce sentiment. Dans toute relation, on peut laisser la place à la jalousie ou bien l’empêcher de dévorer nos liens avec autrui et la remplacer par de l’altruisme. Ce n’est pas seulement une Midat ’Hassidout, mais, comme l’écrit le Rambam, c’est l’accomplissement de la Mitsva d’aimer son prochain comme soi-même. Cette Mitsva consiste à vouloir le meilleur pour l’autre et à effacer toute trace de jalousie devant son succès. Pour y arriver, il nous faut réaliser que tout ce qu’il a est nécessaire pour sa réussite et que si nous n’avons pas la même chose, c’est parce que cela ne nous est pas indispensable, que ce n’est pas un outil dont nous avons besoin pour atteindre notre objectif.

Puissions-nous mériter d’émuler Yéhouda et Yonathan et leur capacité d’éliminer toute trace de jalousie de leur cœur.

 

[1] Chmouël I 23,17.

[2] Voir ’Hikré Lev, Béréchit, Maamar 36 et « Yéhouda et Binyamin : aller au-delà de la rivalité entre frères, du Rav David Fohrman pour d’autres liens entre Yéhouda, Binyamin, David et Yonathan.

[3] Chmouël I, 18,7.

[4] ’Hikré Lev, ibid., p. 263.

[5] Voir Rabbénou Be’hayé, Béréchit 29,35. Yaacov devait avoir quatre femmes et douze fils, donc la logique aurait voulu que chaque femme ait trois garçons.

[6] Chmouël II 20,1.